Collectif « Sauvons le Togo !» / Entre adhérer, ou ne pas adhérer
De la nécessité pour tous les acteurs de jouer franc jeu
4 avril 2012. Cette date restera longtemps gravée dans la mémoire collective des Togolais, et pour cause. C’est cette date qui a vu naître le Collectif « Sauvons le Togo ! ». Un regroupement d’Organisations de la société civile (Osc) et de partis politiques, qui s’assigne pour mission de faire changer la gouvernance au Togo. C’est ceux qui « n’aiment pas le Togo », ont mangé leur conscience, voyaient cette coalition naître avec un pied bot, des bras disproportionnés, un œil troué, y décelaient des germes de danger dans la cité – en réalité, de menace pour leurs intérêts – qui doivent raser les murs – suivez juste les regards.
Le nouveau bébé sème déjà du baume au cœur des populations, et certains lui prédisent un avenir à la « Vidahé ou l’enfant prodige », une croissance précoce et de grandes actions. En un mot, il est porteur d’espoir. La dynamique unitaire qui l’entoure est fortement appréciée, mais c’est compter sans les calculs politiciens de certaines parties prenantes. Une brebis galeuse commence déjà à s’illustrer. Il s’agit du parti des déshérités.
Initiative légitime, vision partagée
Tout Togolais qui aspire à un mieux-être, toute âme censée ne peut qu’apprécier à sa juste valeur cette initiative et louer ses promoteurs. Le diagnostic du problème togolais est bien posé et le remède proposé conforme. Au plan politique, le processus démocratique amorcé depuis 1990 se révèle un échec, faute d’alternance au sommet de l’Etat, les accords issus des multiples négociations se sont révélés des marchés de dupes, dans le seul but de maintenir la pérennisation du clan Gnassingbé au pouvoir, la dernière preuve en date étant le simulacre de réformes envisagées par le fameux CPDC rénové. Il est aussi noté des violations massives des droits de l’Homme, avec une banalisation de la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants.
Sur le volet institutionnel, il y a le fléau de l’instrumentalisation des institutions censées réguler la vie démocratique et contrôler l’action du pouvoir (Justice, Assemblée nationale etc.), l’immixtion intempestive de l’Armée dans le débat politique. Pillage des ressources publiques par un réseau politico-mafieux, gestion obscure des ressources minières (illustration avec le rapport de l’ITIE), confiscation des richesses nationales par une minorité, train de vie sultanesque des gouvernants, paupérisation généralisée (65 % de la population) sur le plan socioéconomique. Voilà un tableau réaliste de la situation qui justifie un remède idoine. Et la vision que porte le Collectif est juste.
Il y a donc urgence de mettre fin aux violations massives des droits de l’Homme, aux crimes économiques, aux pratiques maffieuses, à l’impunité et au gangstérisme d’Etat, de normaliser la vie politique et « parvenir dans un bref délai, à une alternance démocratique en vue de la normalisation de la vie politique ». Bref, aboutir, dans une dynamique unitaire, à un changement radical de la gouvernance actuelle. Cela passe déjà par l’organisation des futures échéances électorales, et ainsi les initiateurs s’engagent à veiller à ce qu’elles se tiennent dans des conditions de transparence et conformément aux standards internationaux.
Les ambitions nourries par ce Collectif sont nobles, et on ne peut que louer ses promoteurs, surtout que l’initiative se veut inclusive et s’ouvrir même aux syndicats, mais aussi ceux qui y ont adhéré. Au registre des Organisations de la société civile, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat Togo), l’Association togolaise des droits de l’Homme (Atdh), l’Association togolaise pour la défense et la promotion des droits humains (Atdpdh), le Collectif des associations contre l’impunité au Togo (Cacit), la Coalition togolaise des défenseurs des droits de l’Homme (Ctddh), la Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh), les associations Journalistes pour les droits de l’Homme (Jdho) et Synergie-Togo. Et des partis politiques, l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi), l’Alliance nationale pour le changement (Anc), la Convention démocratique des peuples africains (Cdpa), l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts), le Pacte socialiste pour le renouveau (Psr), le Parti des travailleurs et le mouvement politique Sursaut-Togo.
Le CAR manque à l’appel et pose des conditions préalables
Les partis politiques ayant signé le pacte d’adhésion à ce Collectif constituent largement la quintessence de l’opposition. On l’aura constaté, un parti manque à l’appel ; il s’agit du Comité d’action pour le renouveau (Car) de Me Yawovi Agboyibo ou Dodji Apevon, c’est selon. Le nom du Car figure bien dans la liste des partis ayant adhéré à l’initiative, mais souffrez qu’on vous dise que le parti du Bélier noir – vraiment noir – n’a pas (encore) signé le document de création du Collectif. Plus évocateur, aucun de ses leaders n’était à la conférence de presse de mercredi. Et pourtant ils étaient de toutes discussions préparatoires. Une position justifiée par des caprices, qui cachent mal des calculs politiciens.
Ceux qui y ont assisté l’auront constaté, la conférence de presse a accusé du retard. Un retard qui serait justement dû, selon les informations, aux hésitations du Car à adhérer formellement au mouvement. Jusqu’aux tout derniers instants de ce lancement, des émissaires parmi lesquels le président de l’Obuts, Agbeyome Kodjo, et l’ancienne candidate de la Cdpa Mme Adjamagbo Johnson seraient encore à l’Etat-major du parti pour convaincre ses responsables de poser leur signature. Une démarche qui s’est révélée vaine.
Tout devrait être prêt depuis lundi, et même bien avant, mais ce sont les humeurs des partis politiques qui auront retardé l’annonce officielle. Cela peut prêter à sourire, le point d’achoppement était juste de forme. Le passage de la version originelle de la plate-forme incriminé était : « Aucune formation politique ne peut à elle seule opérer le changement ». Cette toute petite phrase a énormément braqué au sein de l’Anc, où l’on croit, à tort ou à raison, à tout le contraire. Cette position du parti orange, il faut l’avouer, a entrainé une bonne coulée de bile et d’adrénaline. A défaut de parvenir à une formule consensuelle pour modifier ce passage, sous l’impulsion du Coordonnateur, Me Zeus Ajavon, il a été convenu d’élaguer carrément ce passage à polémique. C’est malheureusement cette concession qui suscite une crise de jalousie au Car (soutenu en coulisse par certaines prenantes) et sert de prétexte. En fait chez certains de ses leaders, car il nous revient que la plupart n’en font pas/plus une fixation. Pour les partisans de cette petite logique, c’est un crime de lèse-majesté que d’accéder aux desiderata de l’Anc. Cette raison suffit-elle pour légitimer le refus d’adhérer à une initiative aussi louable que ce Collectif « Sauvons le Togo ! » dont la vision est tout autant partagée ?
Comme pour prouver toute la mauvaise foi au sein de ce parti, l’argument évoqué jusqu’ici est abandonné et on pose d’autres conditions, pour le moins fantaisistes. Il nous revient que lors d’une rencontre qui a suivi dans la soirée, la conférence de presse au siège du Cacit et à laquelle le Car a bizarrement assisté, ses représentants ont fait savoir les nouvelles conditions. Trois en tout. D’abord le Car propose que soit consigné dans le procès-verbal à annexer au document fondateur que le Collectif ne viendrait pas à appeler les partis politiques membres à boycotter les élections législatives et locales à venir. Secundo, le parti de Me Yawovi Agboyibo laisse entendre qu’il a derrière lui d’autres partis et associations de la société civile qu’il pourrait bien amener dans le Collectif, mais voudrait qu’il leur soit réservé une place de membre fondateur. Tertio, le parti des « déshérités » souhaiterait qu’il soit consigné dans le procès-verbal au crédit des missions que le Collectif devra obliger les partis politiques de l’opposition à signer une alliance électorale. Des exigences somme toute capricieuses.
C’est manifeste donc, les arguments mis en avant varient au gré du temps et tiennent à peine debout. On parle d’arguments « aussi flous les uns que les autres ». Une situation qui fait voir à des observateurs avisés des calculs politiciens cachés, l’éternelle fourberie politique qui a toujours caractérisé ce parti. « Les dignitaires du Car veulent tout simplement exploiter ce Collectif pour satisfaire des desseins obscurs. Il s’agit pour eux de passer par le truchement de ce Collectif pour arracher à Jean-Pierre Fabre et les siens cette alliance électorale qu’ils ont tenté de négocier et qui consiste à se partager les circonscriptions, mais en vain. C’est l’échec de ces petits calculs qui explique cette tergiversation au Car. Et vous savez, tout comme moi, celui qui doit être derrière tout ça … », confie une source proche de la nouvelle coalition.
Il est en effet aisé d’identifier ce calculateur, et il suffit juste de suivre les regards. Le Car finira-t-il par entendre raison et rallier la barque ? Difficile de le savoir. Mais il faut le souligner, cette attitude du parti des « déshérités » illustre assez bien l’adage local de l’igname pourrie, qui se détache. Cela pose aussi la sempiternelle problématique de la sincérité de tous les acteurs de ce nouveau collectif. Chacun jouera-t-il franc jeu ? La question se pose, car l’histoire des tentatives de regroupement des acteurs de l’opposition au Togo est remplie d’enseignements. Et celle de la coalition de 2005 est encore vivace dans les mémoires. Les taupes, ces acteurs qui vendent la mèche à l’ennemi avec qui ils sont liés par des pactes secrets, contre des pécunes, ils ne sont jamais loin. Et ces doubles jeux font malheureusement partie des causes de l’échec de l’alternance au Togo.
Tino Kossi
liberte-togo.com