Maryse Quashie et Roger Folikoue | Photo : ALT

Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE

Quatorze, ils étaient quatorze au M5 à vouloir être premier ministre au Mali ! Quatorze à ne pas pouvoir se départager ! C’est absolument décourageant !
En fait, logiquement, ils devaient même être plus nombreux, après la foire d’empoigne qu’avait dues être les discussions, après le désistement de ceux qui ont renoncé à la compétition, il en restait encore quatorze qui se voyaient chacun seul capable d’être premier ministre. Comment comprendre cela ?

Alors, notre admiration pour le M5 n’avait pas de raison d’être puisque plus de 14 personnes y étaient avec des ambitions personnelles. Nous croyions que le M5 avait pour devise : «Libérer le Mali ou mourir !», il semble que ce soit plutôt «Devenir quelqu’un au Mali ou mourir !» Et aucun ne pouvait attendre la fin de la transition, pour se présenter aux élections tranquillement ? Et l’Imam DICKO, icône partout admirée en Afrique, à cause du bras de fer avec IBK, puis avec la CEDEAO, n’a-t-il rien pu faire ?

Et voilà qu’en Gambie aussi, la voix d’Adama BARROW s’élève contre la limitation des mandats, lui pour qui les citoyens Gambiens se sont mobilisés pour faire partir Yahya JAMMEH, qui s’incrustait au pouvoir pour un sixième mandat, il n’y a même pas quatre ans.

Mais qu’est-ce qui se passe en Afrique ? Qu’est-ce qui nous arrive ?
Comment comprenons-nous l’engagement politique ? Il semble que ce soit toujours en terme de pouvoir et de pouvoir personnel, pouvoir personnel immédiat et sans fin.

  • Nous, Togolais, pensions que dans les pays qui avaient connu l’alternance que ce soit par des coups d’état ou des élections, les citoyens avaient acquis d’autres habitudes !
  • Nous, Togolais, pensions que chez eux c’était différent de ceux chez qui on prononce le même nom depuis 50 ans lorsqu’on veut parler du chef de l’Etat !
  • Nous, Togolais, pensions que dans ces pays les gens n’étaient pas moulés dans ce système où on est chef à vie, qu’on soit chef d’Etat, chef de village, directeur de service dans une entreprise de 50 personnes, ou président d’une association de quinze personnes.

Apparemment nous avions tort, les citoyens africains ne conçoivent pas le pouvoir comme pouvant se déléguer à quelqu’un d’autre ; le pouvoir appartient à une personne et si possible pour toute sa vie.

En fait, à bien analyser les situations sociopolitiques, il semble que cela provient de la manière dont l’alternance se pratique : elle consiste en un changement à la tête de l’exécutif, un changement de personne simplement. Et c’est d’ailleurs pourquoi apparemment ça ne marche pas.

Prenons le cas des champions de la démocratie que sont les Etats-Unis et la France.
En 2008, Barack OBAMA devient président des Etats-Unis, un Noir pour la première fois ! Il fait deux mandats sans pouvoir améliorer notablement la situation des Afro-américains et après lui l’alternance donne le président le plus ouvertement raciste qu’on ait vu depuis des années aux USA ! A tel point que naît à la suite du décès de George FLOYD le mouvement Black Lives Matter (Les vies noires comptent !)

Avant cela, en France, la gauche vient au pouvoir en 1981 avec François MITTERAND après 23 ans de pouvoir de la droite. Depuis 1981, les citoyens se réclamant de la gauche sont allés de déception en déception malgré les changements de président à la tête de l’Etat français.
Comment analyser cela ? Qu’un changement de personne à la tête de l’Etat, n’induit pas obligatoirement un changement dans la vie du citoyen moyen, surtout issu d’une minorité, comme celle des Afro-américains (13%) aux Etats-Unis, pourtant vieille de plusieurs centaines d’années.
En France, Emmanuel MACRON a fait campagne en 2017, en se présentant comme n’étant ni de gauche, ni de droite, laissant ainsi à penser que pendant longtemps, il y avait eu alternance entre ces deux tendances et que cela posait un problème, car laissant pour compte un certain nombre de citoyens. Il a été élu mais c’est contre lui que se sont levés les Gilets Jaunes, mouvement de citoyens qui pensent qu’on ne tient pas suffisamment compte d’eux dans leschoix politiques français.

Ces deux exemples montrent bien que la véritable alternance devrait correspondre non à un simple changement de personne mais à un changement de système. Ainsi, aux Etats-Unis, c’est parce que le système reste raciste qu’aucune alternance n’a pu déraciner les comportements racistes dans le fonctionnement de l’administration et particulièrement de l’administration policière. Et en France, c’est parce que passer d’un président de gauche à un président de droite, ou d’un président de droite à un président de gauche, ne touche pas en fait au système en place, que rien ne s’améliore dans la vie de certaines catégories de citoyens.

Dès lors, on peut se demander pourquoi il faut se réjouir dans notre pays parce que pour la première fois une femme est nommée premier ministre. En effet le système ne change pas, cette femme en fait partie, en est même un des piliers. Qu’est-ce que cela peut apporter au citoyen ? En même temps le système se conforte en transformant en positions dynastiques des postes administratifs comme des secrétariats généraux.

Pour en revenir à notre réflexion sur l’alternance, lorsque les présidents Africains découvriront qu’on peut faire une alternance en changeant de personne sans changer de système, alors ils renonceront peut-être à s’arc-bouter sur un troisième mandat. Il faudrait pour cela qu’ils acceptent de passer la main, de ne plus être seuls à recevoir tous les honneurs, à décider en tout et pour tout. En tous les cas ils pourraient faire durer leur parti au pouvoir assez longtemps sans pour autant être chef d’Etat.

Pour notre part, nous citoyens devons être convaincus que, de la même façon que la lutte citoyenne des années 1990, a finalement amené les dictateurs en place à se résoudre à des élections, de la même manière la lutte de 2020, leur fera accepter la limitation des mandats.

Cependant, en même temps, il faut que nous nous préparions à ne pas nous laisser prendre au jeu comme d’habitude, à ne pas réinstaller et conforter l’ancien système. En effet, nous-mêmes devons renoncer au pouvoir personnel quel que soit le poste où nous nous trouvons.
Nous devons, pour cela, méditer cette pensée de GANDHI : «Le jour où le pouvoir de l’amour dépassera l’amour du pouvoir, le monde connaîtra la paix ».
Cela signifie que nous devons combler le déficit de confiance les uns dans les autres qui nous pousse à nous considérer chacun comme irremplaçable et indispensable. Nous devrions alors, dans un souci de gouvernance partagée et de la conception du pouvoir-avec les autres et non sur les autres, adopter la devise suivante :
SE FAIRE CONFIANCE, POUR SE DONNER UNE CHANCE DE TRANSFORMER NOTRE SOCIETE

citeauquotidien@gmail.com

Lomé, le 2 octobre 2020

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here