Trois mois après les élections présidentielles du 22 février 2020, que certains qualifient d’une histoire désormais ancienne, des partis politiques en sont encore à s’interroger ou à se quereller sur les résultats de ces élections. Ces partis politiques et leurs soutiens inconditionnels font comme si les conditions dans lesquelles ces élections s’étaient déroulées étaient transparentes. Et, ils affirment que « Gabriel Messan Agbeyomé KODJO a bel et bien gagné la présidentielle du 22 Février 2020 !« (cf. la déclaration publiée le 20 mai dernier, par la CDPA‑France et Fédération Europe, une section de la CDPA, parti membre de la Dynamique Kpodzro).

1- Des affirmations fondées sur des hypothèses

Selon la Dynamique, même avec le bourrage des urnes et les fraudes massives, le candidat de l’UNIR ne pouvait pas gagner ces élections avec plus de 70% des voix, parce qu’il est rejeté par le Peuple. Et Agbéyomé Kodjo a été clair à ce sujet. Il dit que sa victoire lui a été volée, comme l’ont toujours dit des candidats qui ont participé à ces types d’élection depuis 1993.

Et selon l’article de Godfried Akpa publié dans icilome.com le 26 février 2020, Agbeyome aurait dit que « Le pouvoir a envoyé un avion au nord pour récupérer les présidents [de CELI], notamment de Dankpen, Cinkassé, Dapaong, Mango, Kara, Sotouboua, Sokodé, Bafilo et de Blitta pour les amener à Lomé. Que s’est-il passé dans l’avion pour que le taux de participation soit de 97 et 97% (sic)? Je crois (dit-il encore) que l’arme du crime se trouve dans l’avion qui a été envoyé aux présidents de CELI au nord […]Tout cela explique, [dit-il] pourquoi la CENI s’est précipitée pour annoncer les résultats. Sinon, les résultats provisoires devraient être proclamés lundi 24 février à 20 heures. » Et Agbeyome s’interroge : « Comment est-on arrivé à la proclamation des résultats le dimanche dans la nuit ? « 

Manifestement, toutes ces affirmations sont des hypothèses, puisqu’elles ne sont soutenues par aucune preuve vérifiable. L’actualité politique renvoie d’ailleurs la même question à Agbeyomé lui-même : Sur quoi s’est-il fondé, lui aussi, pour proclamer « avoir gagné les élections » ce dimanche du 22 février 2020 à 16 heures, alors que les bureaux de vote n’étaient pas encore fermés ? Et à partir de quelles compilations de PV, puisque tous les procès-verbaux n’étaient pas encore disponibles à cette heure-là ?

On retrouve dans le débat postélectoral bien d’autres affirmations qui sont, elles aussi, des hypothèses, et qui ne permettent donc pas d’y voir clair dans ce processus électoral du 22 février 2020. Ainsi par exemple, peu après la fermeture des bureaux de vote, Patrick Lawson, en sa qualité de Vice-président de l’ANC et directeur de campagne de son candidat, annonce dans un communiqué daté du 22 février 2020 ce qui suit : « Les premières tendances placent en tête les candidats du MPDD et d’UNIR« . Puis il continue plus loin, en signalant que « La mise hors service du système de compilation de l’ANC par TogoCom, ne permet pas de collecter toutes les informations nécessaires à une analyse plus complète des résultats. » Puis, dans un article de Delali AYITE en date du 11 mars 2020 (Il est temps de mettre fin aux drames électoraux au Togo)cf.togomedia24.com, l’ANC annonce dans un autre communiqué (10 mars 2020) « avoir introduit une requête auprès de la cour de justice de la CEDEAO« pour demanderl’annulation pure et simple de l’élection, estimant que « le scrutin présidentiel n’est ni transparent, ni équitable« .

Des affirmations de ces genres reviennent très souvent dans le débat postélectoral. Tant du côté du régime, qu’au sein de l’opposition, aucune d’entre elles n’est soutenue par une preuve vérifiable. Quel crédit le citoyen peut-il accorder à ces affirmations sans preuve pour se former un jugement clair et prendre position avec lucidité ?

2- Des interrogations sans réponse

L’élection du 22 février ne fait pas exception. Comme tous les précédents scrutins présidentiels, les  participationnistes savaient bien que les conditions de la transparence et de la régularité du scrutin n’étaient pas réunies. Et pourtant, ils y ont participé dans cette situation où la porte était ouverte à la fraude massive.

Dans ces conditions, comment est-il possible de recompter les bulletins, bureau de vote par bureau de vote, comme l’a demandé l’Ambassadeur des USA, alors même que l’état du rapport des forces met l’opposition dans l’incapacité totale d’imposer quoi que ce soit au régime ? Qui devra procéder à un tel recomptage ? La même CENI ?

Des partis politiques d’opposition ont donné des leçons de patriotisme à tous ceux qui se sont retrouvés dans une situation de doute, du fait des obscurités qui ont émaillé la procédure de désignation d’Agbeyome comme « candidat unique » (Rappelons qu’il y avait 6 candidats de l’opposition). Et ils ont traité de la même manière tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ont refusé de s’aligner derrière la Dynamique Kpodzro, parce qu’ils ne s’y retrouvent pas.

Faut-il donc, au sein de l’opposition, suivre désormais les yeux fermés un candidat de l’opposition et lui apporter un soutien inconditionnel comme au temps d’Eyadema ?  Par ailleurs, suffit-il d’avoir l’onction de Dieu, ou d’hommes de Dieu ou de charlatans, pour réussir la transition démocratique ?

Après six élections présidentielles, les candidats opposants n’ont pas pu prendre le pouvoir d’Etat parce qu’il s’agit d’élections pipées d’avance par le régime pour continuer de se maintenir au pouvoir. Comment comprendre que l’on continue, comme on l’a vu lors de ces élections de février 2020, de croire et de faire croire qu’il faut aller encore à ce même type d’élection parce qu’on aurait maintenant un « candidat unique « charismatique ?

Les élections du 22 février 2020 suscitent bien d’autres interrogations. On aurait dû les formuler toutes parce que chacune d’elles présente un intérêt pour la clarté du débat postélectoral en cours. Dans tous les cas, cette pléthore de questionnements invite le citoyen à une réflexion tranquille, sans passions sur ce scrutin de 2020 et sur tous les précédents pour répondre à la question suivante : Faut-il que l’opposition continue d’aller à ces élections en sachant bien qu’elles sont organisées pour maintenir en place le régime auquel la lutte d’opposition veut mettre fin?

3 – Faire tomber une dictature par les élections truquées d’avance ? Une imposture

On sait bien qu’on ne peut pas faire tomber une dictature par des élections, à plus forte raison si ces élections sont organisées par la dictature elle-même et dans les présentes conditions d’organisation de l’opposition togolaise. Et l’on a bien vu que depuis 1993, la fonction des élections dans la politique togolaise est de maintenir le régime de dictature au pouvoir. On a bien vu également que la participation de l’opposition à ces élections destinées à maintenir le régime en place, n’est finalement qu’un accompagnement du régime et une façon de le faire passer pour un régime démocratique.

C’est pour toutes ces raisons que la CDPA-BT a toujours recommandé depuis 1993, le boycott de ces types d’élections par tous les partis d’opposition réunis, et par tous les opposants.

Malheureusement, l’orientation électoraliste de la lutte d’opposition a conforté les partis du courant majoritaire de l’opposition et une large fraction de l’opinion dans l’idée selon laquelle c’est par des élections qu’il faut mettre fin à la dictature, alors qu’il s’agit là d’une véritable imposture destinée à finir de briser l’insurrection populaire d’octobre 1990, à faire tourner les partis d’opposition en rond, et à diviser l’opposition dans son ensemble.

Et, au lieu de travailler ensemble pour créer les conditions objectives et subjectives du renversement de la dictature, des partis d’opposition ont ajouté à cette imposture, l’idée que les leaders des partis d’opposition doivent rivaliser entre eux pour cette conquête du pouvoir par des élections. Il s’est trouvé que des partis d’opposition du courant majoritaire de l’opposition (UFC, CAR, ANC …), qui ont ainsi créé, depuis 1992, un climat de rivalités atroces entre eux pour le pouvoir, n’ont jamais réussi à le prendre  par ces types d’élection.

Face à cette situation, comment peut-on affirmer que les conditions objectives et subjectives du renversement de la dictature existent dans le pays, comme certains de ces partis veulent le faire croire ?

Les partis d’opposition rivalisent entre eux pour le pouvoir ou une parcelle du pouvoir à travers des élections pipées d’avance. La procédure de désignation d’Agbeyome comme « candidat unique de l’opposition » et les modalités de la campagne électorale, ont transformé ces rivalités en de véritables confrontations où chacun y va avec les armes qui lui tombent sous la main, y compris les plus ignobles. Les discours des leaders de ces partis rivaux entretiennent la foule dans la croyance qu’il suffit de répondre à l’appel de tel parti ou de telle coalition et d’aller marcher pour faire tomber la dictature. Le rapport des forces est plus que jamais en faveur du régime. 

Il est évident que des conditions objectives et subjectives doivent être réunies pour rendre possible l’abolition du régime de dictature. Il revient à l’opposition de réunir ces conditions.

Dans tous les cas, les présidentielles de 2020 ont laissé l’opposition dans une situation incroyable. Tout se passe désormais en son sein comme si tout le monde est devenu l’ennemi de tout le monde. Les rivalités et les divisions y ont porté les tensions et les confrontations à un point tel que chacun se croit le droit d’invectiver l’autre par des procédés qui relèvent bien plus du règlement de compte que d’un débat politique.

Au lieu de s’opposer les uns aux autres, les partis d’opposition et tous ceux qui se sentent impliqués dans la lutte pour la fin du régime doivent se surpasser pour mettre au centre du débat, la question de savoir comment poursuivre la lutte d’opposition pour mettre un terme à la dictature.

Comme la CDPA-BT l’avait déjà dit à plusieurs reprises, il ne faut pas se tromper de combat.

Le Pays que nous voulons construire et qui justifie la lutte en cours contre la dictature, est un pays où le débat démocratique doit être libre et pluriel, et non un pays où tout le monde doit s’aligner sur une pensée unique et regarder dans la même direction comme par le passé.

Paris, le 21 juin 2020

Pour la CDPA-BT, Section de Paris

E.Boccovi

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