Les mutations que le monde expérimente actuellement ne sont pas uniquement celles qui découlent de la pandémie du COVID-19. Elles émanent également d’une prise de conscience planétaire concernant le déséquilibre qui s’est installé au fil du temps dans les rapports sociétaux, entre riches et pauvres, entre personnes de religions ou de philosophies différentes, entre personnes n’ayant pas la même couleur de peau… L’exacerbation des tensions qui en découlent s’exprime à travers la répétition de manifestations parfois violentes, mais aussi par l’émergence et le développement des extrémismes violents et du terrorisme.
A la surprise générale, voici que nous assistons à présent à un raz-de-marée quasi mondial de soulèvements contre le racisme anti-Noir, suite au nième meurtre d’un jeune homme Noir à Minneapolis (USA- Minnesota).

De Tokyo à Londres, de Johannesburg à Tunis, de Paris à Berlin, de Sydney aux grandes villes des Etats-Unis, les rues ont grondé parce que nous avons tous désormais à l’esprit l’agonie de Georges Floyd sous le poids de la barbarie ! L’onde de choc portée par la force des vidéos de ce drame contraint l’actualité à mettre les projecteurs sur les populations qui manifestent dans les rues, en proclamant la phrase devenue virale « Black Lives Matter », slogan issu du mouvement du même nom qui existe pourtant depuis 2013. Cette mobilisation à travers le monde entier traduit bien que le principe sous-jacent au meurtre de Georges Floyd est ressenti par chacun des manifestants comme le point culminant d’un déséquilibre des rapports raciaux. Une minorité revendique ce déséquilibre et assume son racisme anti-Noir.

Force est de constater que les grandes manifestations qui ont serpenté dans les rues à travers le monde pourfendant le racisme anti-Noir, ont eu peu d’écho en Afrique subsaharienne. Le « continent des Noirs » n’a pas bougé de manière significative. Quels sont les blocages dans nos cerveaux africains pour que nous soyons prostrés dans une absence de réaction d’ensemble ? N’est-ce pas là justement un indicateur du fait que nous portons encore des chaînes dans nos cerveaux comme l’éléphant domestiqué ? Ne sommes-nous pas d’une certaine façon, par une docilité hypnotique, en train de cautionner la pérennisation de ce que nous appelons vulgairement le racisme ?

Le mot racisme porte en lui-même sa propre négation. Il sous-entend l’existence de plusieurs races. Or les scientifiques nous enseignent que la race humaine est unique. Le rejet de l’autre basé sur la race est donc un non-sens, parce que cela revient au rejet de soi-même.
Notre histoire commune a contribué à forger, entre autres, la conscience populaire dans le déséquilibre de notre rapport à la couleur de la peau. C’est l’histoire de l’esclavage – pas uniquement le commerce triangulaire – et c’est aussi l’histoire de la colonisation. Ce déséquilibre a été porté, parfois théorisé, au fil de l’histoire par des hommes brillants et de grande notoriété de leur époque. Il s’agit de plus de cinq siècles d’histoire que rien ne pourra et ne doit effacer. Depuis cinq cents ans de pratiques inacceptables, les séquelles sont toujours là, au cœur de nos relations quotidiennes, de manière consciente ou inconsciente. Ce qui constitue aujourd’hui l’histoire – histoire rude dont les séquelles heurtent très majoritairement les consciences d’aujourd’hui – a été longuement tue, voire cachée, par les politiques contemporains.

Certains pays qui ont connu et pratiqué la conquête d’autres territoires, avec les affres qui l’accompagnent, ont franchi le pas de la reconnaissance des atrocités posées par leurs ancêtres, parfois ils ont fait acte de repentance. Ce sont des actes symboliques qui ont toute leur portée et il faut le souligner, mais qui sont très insuffisants, car ils ne mettent pas encore un terme chez certains à la perpétuation des modes de pensées ayant conduit à de telles ignominies.

Nous devons ensemble regarder avec courage notre histoire commune, de manière rationnelle, sans complaisance ni excès. La réécriture conforme à la vérité de cette histoire s’impose, afin que l’ensemble des générations futures apprennent à l’école la même histoire commune, celle de l’Humanité.

Tant que les partenaires de l’Afrique ne franchiront pas le pas de s’engager dans une démarche mémorielle conjointe avec les africains, c’est l’humanité tout entière qui prend le risque de devoir vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête et de voir des extrêmes en profiter pour provoquer des débordements incontrôlables. Les manifestations organisées contre ce fléau dans le monde est un signal fort. A la pointe de ce mouvement de rejet du racisme anti-Noir et de toutes les formes d’ostracisme, on retrouve la jeunesse mondiale. Elle est engagée dans les grandes causes de notre époque comme la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. Elle revendique un monde plus empreint de valeurs humanistes, de justice et de paix.

L’absence de réaction organisée de la jeunesse africaine à l’unisson avec les grandes manifestations à travers le monde trouve également ses fondements dans les conditions politiques qui prévalent encore ici et là sur le continent.

Dans ce tableau peu reluisant dont pâtissent les Noirs dans le monde, la responsabilité des dirigeants africains actuels est pleinement engagée. La présence sur le continent de régimes qui ne respectent pas la dignité des citoyens et qui continuent à pratiquer une politique qui donne peu de considération à la liberté, à l’Etat de droit et à la démocratie, est un facteur non seulement d’encouragement pour tous ceux qui choisissent de mépriser les Noirs mais également d’aggravation de la pratique du racisme anti-Noir. L’on ne peut s’ériger contre le racisme et laisser prospérer dans nos pays des vagues de violences populaires aux relents de xénophobie ciblée. L’image que nous renvoyons de nous-mêmes nourrit le regard que les autres portent sur nous.

Il est évident qu’un nouvel ordre mondial s’impose du fait des expériences planétaires que le monde vit actuellement. Ce nouvel ordre doit concomitamment s’opérer dans les pays africains avec une politique nationale qui renforce un vivre-ensemble harmonieux, particulièrement dans les pays où sévissent encore une dictature. L’inscription des pays africains dans les normes internationales en matière de respect de la dignité humaine, de floraison de l’économie, d’efficacité du système éducatif et de la recherche scientifique, de puissance militaire, de valorisation et d’exportation du patrimoine culturel par exemple, est un facteur déterminant qui contribuera à asseoir le respect dû aux Noirs, comme à tout être humain, à travers le monde.
La jeunesse africaine dans sa grande majorité ne veut plus être méprisée par qui que ce soit, ni par ses propres dirigeants ni par ceux qui expriment un racisme ou une xénophobie. Dès à présent, les dirigeants du monde entier devraient prendre cela en considération, quand on sait que d’ici à 2050, un (1) enfant sur trois (3) naîtra en Afrique et près d’un (1) enfant de moins de dix-huit (18) ans sur trois (3) sera africain, selon les études menées par l’Unicef en 2014.
Nous avons le devoir de laisser aux générations futures un monde meilleur. L’Afrique tient une part importante dans ce monde de demain. Commençons par en changer les réalités actuelles.

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here