L’hypothèse d’un exil du député de la Kozah de plus en plus envisagée
 
12 avril 2009, 12 avril 2011, il y a deux ans jours pour jour, le domicile du député de la Kozah, Kpatcha Gnassingbé était soumis aux tirs nourris d’un commando lourdement armé dirigé par le colonel Félix Kadanga, le propre beau-frère de l’élu de la Kozah. Selon les informations fournies par le pouvoir togolais quelques jours après la fusillade, le frère cadet de Faure Gnassingbé était soupçonné de préparer un putsch contre le président de la République, ce qui a motivé la descente musclée à son domicile. La meilleure défense étant bien entendu l’attaque, le pouvoir de Faure Gnassingbé a choisi d’anticiper sur les événements pour faire échouer le projet de Kpatcha Gnassingbé et ses complices. Force sera donnée à la loi, avait promis Faure Gnassingbé dans l’un de ses discours à la nation où il s’était solennellement engagé à faire triompher la loi dans toute sa rigueur.
Mais cette promesse, comme toutes les autres faites à la nation togolaise par le fils d’Eyadema, est restée lettre morte. Deux ans après ces événements, la justice peine à faire la lumière sur ce dossier en vue de situer les responsabilités des uns et des autres.
 
La trentaine de personnes arrêtées dans ce mélodrame familial sont toujours gardées au secret dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement (Anr) et interdites de visites, ceci en toute violation des textes de la République togolaise. Deux ans après l’arrestation de Kpatcha Gnassingbé, où en est le  dossier ?
 
Né le 6 septembre 1970 à Lomé, Kpatcha Gnassingbé fait ses études primaires et secondaires sous l’aile protectrice de son père dans les jardins de Lomé II avant de s’envoler pour la France en vue de poursuivre ses études à l’IPME de Paris. Comme son frère Faure, Kpatcha n’échappe pas au syndrome des diplômes gonflants et ronflants acquis outre-mer. On dit de lui qu’il aurait fréquenté la London International College en Angleterre  où il aurait obtenu un Baccalauréat économique qui lui ouvrit les portes de la Southteastern University of London d’où il sortit nanti d’un Bachelor of Science, option Business Administration. Ce qu’un père n’a pu accomplir, les enfants le peuvent, dit un dicton africain ; et cela se vérifie avec l’ex-directeur de la Sazof et ses frères qui obtiennent tous, des diplômes dans de grandes écoles de renommée internationale.
 
Revenu au Togo pour faire valoir ses aptitudes, Kpatcha Gnassingbé est nommé directeur de la Société d’administration de la zone franche (Sazof) où il se lie rapidement d’amitié avec des hommes d’affaires en place au Togo qui bénéficient de sa protection de fils de président de la République. C’est le début d’une fulgurante ascension économique et politique.
 
La lune de miel Kpatcha-Faure Gnassingbé
 
Demeurés dans l’ombre  de leur géniteur, qui a juré qu’aucun de ses enfants ne ferait de la politique, deux fils de Gnassingbé Eyadema font main basse sur le pouvoir au lendemain du décès du vieux président.
 
Le premier ; Faure Essozimna Gnassingbé, jusque là ministre de l’Equipement et des Mines est fait président de la République par un quarteron d’officiers quelques heures seulement après la mort de son père, qui lui jurent fidélité. Aidé de son frère Kpatcha et d’autres caciques du régime Rpt, le jeune président s’adonne à un tour de passe-passe constitutionnel afin de légitimer son coup de force militaire. Effarouchée, la communauté internationale exigea  la tenue rapide d’élections libres et crédibles afin de dégager un président consensuel choisi par tous les Togolais.
 
C’est en ce moment qu’entra en scène, le frère cadet de l’ancien ministre de l’Equipement devenu en l’espace d’une nuit, président de l’Assemblée nationale et chef de l’Etat togolais. Dans ces temps difficiles, Kpatcha Gnassingbé vola au secours de son frère et sillonne tout le Togo, en dépit de son embonpoint, pour vanter les mérites de celui que les Togolais connaissaient à peine.
 
Au lendemain de l’élection présidentielle du 24 avril 2005 perdue par le Rpt, le député de la Kozah est aux premiers rangs de ceux qui vont imposer le fils de la nation au peuple togolais par la force des armes. Plus de 500 citoyens togolais perdront la vie dans ces violences et Kpatcha Gnassingbé est cité dans des rapports d’établissement des faits.
 
Après le travail, la récompense, dit-on. L’ancien pensionnaire de la Southeastern University of London est alors nommé dans le nouveau gouvernement comme  ministre de la Défense et des anciens Combattants. Présenté comme très extraverti, l’homme privilégie le contact humain avec ses administrés, ce qui lui a valu une grande sympathie au sein des Forces armées togolaises (FAT). De l’avis de certains analystes, ce sera aussi le début de ses ennuis.
 
Très rapidement, il est soupçonné par le régime de vouloir jouer sa propre carte. Les relations avec son frère deviennent de plus en plus tendues et la presse locale n’hésite pas à en faire son chou gras. Mais le ménage à deux à la tête de l’Etat togolais tient toujours et les deux fils de la nation continuèrent de régenter le quotidien des millions de Togolais malgré eux.
 
Le « Gros », -c’est ainsi que le surnomment ses proches- est largué du gouvernement à la faveur d’un remaniement. Il encaissa le coup et prit définitivement ses distances vis-à-vis de  son frère qui s’entoura d’amis revenus d’Occident. .Kpatcha quant à lui, se fait plus régulier dans sa Kozah natale où il peaufine son image d’homme politique. A quelle fin ? Les mauvaises langues disent qu’il avait des ambitions présidentielles.
 
Atteinte à la sûreté de l’Etat
 
Dans la nuit du 12 au 13 avril 2009, le domicile du député Kpatcha est attaqué par la Force d’intervention rapide (FIR), un corps d’élite des Forces armées togolaises (FAT). L’opération est dirigée par le Colonel Félix Kadanga, commandant de ce corps d’armée et propre beau-frère de Kpatcha Gnassingbé. D’après les informations, l’opération avait pour but la liquidation de l’élu de la Kozah afin de permettre à son frère président, de gouverner le Togo en étant le seul capitaine à bord du navire.
 
Mais dans les rouages de cette machination, se glisse un grain de sable qui fait tout capoter. En effet, l’intervention du Lieutenant-colonel Rock Balakiyèm Gnassingbé, commandant du Régiment des blindés  de reconnaissance et d’appui (RBRA) porta un sérieux coup à l’opération.
 
Pour se désempêtrer de ce bourbier dans lequel il vient de mettre pied, beaucoup de mensonges sont racontés par le pouvoir en place. Le dossier concocté par le procureur de  République, Robert Baoubadi Bakaï s’avère un tissu de mensonges. La culpabilité du principal accusé et de ses codétenus, est de plus en plus remise en cause par l’opinion publique togolaise. De statut de bourreau en 2005, Kpatcha Gnassingbé devient la victime du régime Faure Gnassingbé. Il est même défendu par ses adversaires politiques d’hier. L’Union des forces de changement (Ufc) a réclamé sa remise en liberté en soutenant qu’il bénéficierait toujours de l’immunité parlementaire que lui reconnaissent les textes en sa qualité de député de la nation.
 
Acculés et dos au mur dans cette affaire où ils peinent à produire des éléments convaincants de preuves, Faure Gnassingbé et ses amis recourent aux services de la justice togolaise pour se sortir d’affaire. Robert Bakaï, le « propriétaire de tous les dossiers », prend la défense de la partie civile et se livre à des mises en scènes sur la télévision nationals dignes des acteurs de série B.  « 10 civils ont été déférés, inculpés et mis sous mandat de dépôt ; 18 militaires dont 5 officiers, 10 sous-officiers et 3 hommes de rangs ainsi qu’un sous-officier adjoint de police qui  sont sous sanction disciplinaire de leurs corps respectifs avant d’être mis à la disposition des autorités judiciaires », annonce-t-il lors de l’un de ses nombreux one man show sur la TVT.
 
Plusieurs jours après l’attaque du domicile du député, « le corps du délit » est enfin présenté à la presse par le commandant Amana de la gendarmerie nationale. Cette sortie, au lieu d’éclairer l’opinion, a plutôt produit l’effet inverse en plongeant tout un pays dans un flou kafkaïen. En effet, pour toute preuve, quelques fusils de chasse, des cartouches, des jumelles et des pistolets automatiques sont présentés à la presse comme étant le corps du délit, c’est-à-dire des armes qui vont servir à renverser le pouvoir de Faure Gnassingbé. Ces armes brandies aux yeux de l’opinion nationale et internationale auraient-elles pu venir à bout d’un régime fortement armé et de son président, présenté comme l’un des mieux protégés de la sous région ? Les Togolais comprendront vite que toute cette manœuvre n’était en réalité que destinée à mettre à l’écart un concurrent trop dangereux pour la pérennité du régime.
 
La bataille des avocats
 
Au fur  et à mesure que les choses évoluaient, Faure Gnassingbé a fini par comprendre que laisser la justice faire son travail, risquerait fort de lui être préjudiciable, lui et son gouvernement parce que le dossier d’accusation tel qu’il se présente ne tenait sur rien. Ce n’était qu’un amas de mensonges et d’accusations sans fondements. Ainsi, de fil à aiguille, l’idée d’un arrangement entre les deux frères sera distillée au sein de la population.
 
Pendant ce temps, Mimi Gnassingbé, épouse du député incarcéré mène de son côté, un combat contre le pouvoir en vue d’obtenir la libération de son mari. Elle se dégote un duo d’avocats togolais, qui, malgré les risques, acceptent de prendre  la défense des inculpés. Mes Zeus Ajavon et Djovi Gally, puisqu’il s’agit d’eux, entrent donc en scène et bousculent le régime qui ne s’attendait pas à un tel scénario et s’était accommodé de l’idée que c’en était fini du député. Devant leur exigence de rencontrer les détenus comme la loi l’exige, l’Anr, dans son rôle d’institution hors-la-loi, se cambre et refuse toute visite à Kpatcha et ses coaccusés.
 
Ce duo d’avocats togolais reçoit alors un renfort inespéré. Mes Christian Charriere-Bournazel, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris et Mario Stasi se joignent au combat de leurs confrères togolais. L’intervention dans le dossier de ces deux personnalités du monde judiciaire décante la situation et permet aux avocats d’avoir enfin un contact avec leurs clients.
 
A la suite de la rencontre, on apprendra que Kpatcha Gnassingbé aurait plutôt sollicité une conciliation avec son frère afin de laver le linge sale en famille. Du côté de la présidence de la République, on susurre que cette requête est en réalité une manoeuvre de Faure Gnassingbé qui a abusé de la crédulité du frère jumeau de Kpatcha Gnassingbé, Toyi pour demander au député de récuser les avocats afin de régler l’affaire en famille. La manœuvre prend et Kpatcha demande à ses défenseurs de se retirer afin de donner une chance à la conciliation.
 
Le pouvoir ne tiendra pas parole, comme à son habitude. A peine les avocats de Kpatcha Gnassingbé ont-ils tourné le dos que quatre autres hommes en toges entrèrent en scène, rejetèrent en bloc la version de Zeus et compagnie qu’ils vont traiter d’opportunistes et de menteurs invétérés.
 
En effet, le collectif dit des « avocats de l’Etat », composé de deux avocats togolais, d’un Sénégalais, d’un Français et d’un Béninois en la personne du Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin, Me Gabriel Archange Dossou, font feu de tout bois pour brouiller les pistes.
 
Ces avocats font savoir que Faure Gnassingbé ne souhaiterait pas régler l’affaire dans un cadre familial, suivre la voie judiciaire. Pouvait-il faire en être autrement quand il s’est déjà publiquement engagé à faire triompher la force de la loi sur la loi de la force ?
 
Les adeptes de la séparation des pouvoirs ont jubilé en voyant dans cette décision de Faure Gnassingbé, les débuts de l’enracinement de l’Etat de droit au Togo. Un Etat où l’exécutif n’aura plus à interférer dans les affaires du judiciaire ni du législatif et vice-versa.
 
Mais c’était mal connaître le régime en place. Deux ans après, le dossier est resté au point où Robert Bakaï l’avait laissé. La lumière tant espérée tarde à se faire dans cette affaire et le flou des premiers jours n’est pas encore dissipé, vingt-quatre (24) mois après l’attaque du domicile de l’élu de la nation.
 
Sans avoir levé son immunité parlementaire comme cela se ferait dans un Etat normal, Kpatcha Gnassingbé est appréhendé par les services secrets de l’Etat togolais et croupit actuellement dans les geôles de la tristement célèbre Anr que Bertin Sow Agba a récemment présentée comme la plus monstrueuse du pays. On annonce que des tractations seraient en cours pour permettre à Kpatcha Gnassingbé de prendre le chemin de l’exil.
 
Olivier A.
 
source: liberte hebdo