Orientation politique des enquêtes sur les incendies des marchés
On sait par expérience historique que les potentats en difficulté ont toujours trouvé des prétextes pour se débarrasser de leurs collaborateurs ou adversaires politiques dérangeants ou encombrants. Les compagnons de lutte du capitaine Blaise Compaoré ont ainsi disparu du paysage burkinabè, Kpatcha Gnassingbé et Pascal Bodjona se sont retrouvés dans leurs plus petits souliers après avoir porté à bout de bras le fils d’Eyadèma en 2005 et œuvré à consolider son pouvoir. Dans le dossier des incendies, c’est une certitude que l’arrestation des responsables politiques répond à des objectifs qui ne concernent nullement lesdits incendies. De ce fait, c’est la réconciliation qui prend encore un grand coup.
« Politiciens pyromanes »
L’opinion nationale n’aura peut-être jamais de réponse à la question suivante : « pourquoi le Procureur de la république et le ministre de la sécurité ont-ils focalisé exclusivement leur enquête sur le milieu politique ? ». La question, beaucoup de gens se la posent et sont sur le gril de savoir comment il peut être possible que une enquête sur un sujet aussi sérieux ait une seule et unique piste d’investigation.
Ni le ministre de la sécurité Yark Damehame ni le Procureur de la république n’ont la pertinence de relativiser les éléments d’enquête qu’ils rendent publics. Au moment même où l’un dit que les enquêtes se poursuivent, l’autre est affirmatif sur les résultats de la même enquête. Comment l’enquête peut-elle se poursuivre au moment où le ministre de la sécurité a présenté à la presse les résultats ? Ou le Procureur de la république a « son » enquête à lui qui n’a rien à voir avec celle du Colonel Yark, ou ce dernier évolue en atome libre au lieu de se référer exclusivement au Procureur qui est a priori le directeur de l’enquête. Dans le dernier cas, c’est ce qui se passe d’ailleurs, puisque le ministre de la sécurité a présenté les éléments d’enquête alors qu’il revient normalement au Procureur de le faire, il y a des raisons de croire que la thèse des politiciens pyromanes est cousue de fil blanc. C’est une petite fougère qui essaie de cacher la forêt amazonienne.
En vérité, c’est un objet de grande surprise que de voir que les arrestations intervenues dans le cadre de l’enquête sur les incendies touchent uniquement le camp du Collectif Sauvons le Togo (CST). Les partis politiques OBUTS de Agbeyomé Kodjo, ADDI de Tchabouré Gogué et ANC de Jean-Pierre Fabre sont la cible évidente de la furia gouvernementale. Les responsables de ces partis, au plus haut niveau ou à un niveau intermédiaire, sont accablés de toutes les accusations. « Tous ceux qui sont au CST ont participé au crime » a balancé péremptoirement dans l’opinion le Colonel ministre Yark Damehame, sans pouvoir établir formellement et avec des preuves irréfutables leur responsabilité réelle. La coalition Arc-en-ciel ressent la même gêne et l’a exprimé très récemment après avoir attiré l’attention sur la nécessité de ne pas utiliser les incendies pour régler des comptes politiques. Sans suite.
Il convient à ce sujet de rappeler cette opinion qui taraude l’esprit de bien d’observateurs : la disharmonie observée entre le Procureur de la république et le Colonel ministre n’est-elle pas l’expression d’une récupération du malheur des incendies à des fins politiques ? Des observateurs pensent en effet que s’il s’agissait d’une enquête ordinaire, on n’aurait pas eu besoin de faire lever dans la précipitation, et donc en violation de la procédure légale, l’immunité parlementaire de Agbeyomé Kodjo. On ne constaterait pas non plus que la gendarmerie procède à des arrestations sans que le Procureur n’en soit informé. Pourtant, en tant que directeur de l’enquête, c’est à lui d’ordonner des arrestations, en cas de besoin.
Des calculs politiques
L’acharnement aveugle du Colonel Yark , agissant au nom et en faveur du gouvernement de Faure Gnassingbé, sur les politiciens du CST cache très mal les motivations politiques du pouvoir « à vocation éternelle » du clan Gnassingbé. A en croire cerains analystes, il faut voir à travers l’orientation politique de l’enquête sur les incendies une manœuvre politique liée aux législatives annoncées et surtout à la présidentielle de 2015.
C’est bien connu que, plus que la coalition Arc-en-ciel et d’autres forces politiques qui ne se reconnaissent pas dans la gestion du couple UFC-UNIR, le Collectif Sauvons le Togo (CST) a fait de la transparence obligatoire des législatives annoncées une condition sine qua non à leur tenue. Selon toute vraisemblance, le CST a transmis, à travers ses différentes manifestations, le message selon lequel les législatives n’auront pas lieu si les garanties de transparence et d’équité ne sont pas créées. Déjà, il a réussi à empêcher que ces législatives aient lieu au dernier trimestre 2012, conformément au calendrier constitutionnel. La dernière manifestation « les derniers tours de Jéricho » visait le même objectif. Dès lors, les analystes établissent que le pouvoir de Faure Gnassingbé qui a gardé en travers de la gorge l’ajournement forcé desdites législatives, craindrait qu’elles n’aient pas lieu cette année encore, par la faute du CST qui ne semble pas prêt de baisser la garde.
Or ces législatives doivent se tenir aux conditions du pouvoir car elles sont programmées pour garantir une majorité confortable au parti UNIR. Plus que les 50 députés actuels, susurre-t-on dans les indiscrétions, le pouvoir voudrait une majorité qualifiée qui le mettrait à l’abri de tout ennui. Dans cette perspective, tous les moyens ne sont-ils pas bons pour mettre hors d’état de nuire ce collectif qui, sans en donner l’air, dérange le sommeil et la tranquillité politique présente et future du pouvoir de Lomé ?
Des législatives à la présidentielle de 2015, le lien est naturel. Ayant fait obstacle aux réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues depuis 2006, le pouvoir compte sur des législatives à ses conditions pour garantir une présidentielle tranquille, gagnée sans la mériter, comme d’habitude. Avec la coalition Arc-en-ciel, le CST ne manque pas d’occasion pour clamer haut et fort la nécessité d’une limitation du mandat présidentiel, avec effet immédiat. Cela suppose ,que Faure Gnassingbé doit quitter le pouvoir à l’échéance 2015, pour avoir effectué deux mandats de 5 ans, de 2005 à 2015. Chose inadmissible pour le fils d’Eyadèma qui n’a admis, sous la pression, que la limitation à compter de 2015 ; ce qui signifie qu’il s’imagine au pouvoir jusqu’en 2025, au bas mot. Faut-il laisser ce CST continuer à déployer ses tentacules, lui qui le 12 juin2012 aréalisé une mobilisation populaire effrayante au carrefour Deckon et qui ouvre des brèches à Kara, à Dapaong ? Question non impertinente. Tout calcul politique fait, la réponse va de soi.
Réconciliation, merde !
Visiblement, la question de la réconciliation dans notre pays dépend de l’humeur des gens du pouvoir. Quiconque renonce à conquérir le pouvoir est présenté comme un acteur de réconciliation et Faure Gnassingbé qui en tire profit devient le prince de la réconciliation. Par contre, quiconque convoite le pouvoir ne peut guère être acteur de réconciliation. Il peut être traité comme on veut, malmené, humilié. En somme, la réconciliation au Togo dépend de la garantie que Faure Gnassingbé peut avoir de ne plus être inquiété dans « son » fauteuil présidentiel.
Si ce n’était pas le cas, s’il est vrai que la commission vérité justice et réconciliation a existé dans ce pays et porté l’idéal de réconciliation, on ne traiterait plus si sévèrement et si méchamment les dversaires politiques. Ce que soulignent plusieurs observateurs, c’est que, vu l’approche faite dans l’enquête sur les incendies, de grandes fissures ont été encore faites dans le mur de la réconciliation et du tissu social national. Peut-on penser ou croire que les militants et sympathisants du CST peuvent encore avoir du cœur à aller à la réconciliation après tout ce qu’on fait subir à leurs responsables politiques ? Aucune réconciliation n’est possile sans la justice. Même s’il peut arriver que des responsables politiques soient des pyromanes, il faut le prouver. C’est ainsi seulement qu’on mettra tout le monde d’accord sur leur responsabilité et par conséqnent sur leur arrestation.
A l’étape actuelle, tout se passe pour donner du sens à la thèse de la persécution politique. Dans ces conditions, aucune réconciliation n’est possible, à moins qu’on veuille se contenter de la réconciliation proclamée. C’est un choix à faire, le bon sens voudrait qu’on fasse le choix de l’intérêt général.
Nima Zara
source : Le correcteur