L’Afrique de l’ouest continue d’écrire les belles pages de son histoire démocratique. Le cas en date, ce sont les Libériens qui étaient appelés aux urnes ce mardi 10 octobre, pour des élections générales. Mais le scrutin qui suscite plus d’intérêt, c’est forcément l’élection du prochain président de la République, censé présider aux destinées du pays durant les six prochaines années.
Et la bonne nouvelle qui mérite d’être retenue, c’est la non-participation d’Ellen Johnson Sirleaf, qui boucle son second et dernier mandat à la tête du pays. Avec cette décision de ne plus se représenter, elle trace les sillons de l’alternance dans son pays. Tout le contraire de son pair togolais et président de la CEDEAO, Faure Gnassingbé, résolu à se souder au pouvoir, même dans le sang…
Ellen Johnson Sirleaf : 2 mandats, et puis s’en va
Les Libériens étaient aux urnes hier, pour élire leurs députés, mais aussi et surtout leur président de la République. Concernant la présidentielle, le scrutin est décrit comme un rendez-vous historique qui verra pour la première fois depuis la guerre civile, le pouvoir se transmettre démocratiquement d’un président élu à un autre, et les citoyens (2,2 millions électeurs) sont appelés à choisir entre…vingt (20) candidats. L’un des favoris est sans doute l’ancien footballeur George Weah, déjà candidat à deux reprises. Mais vu d’un œil de partisan de la démocratie et de l’alternance en Afrique de l’ouest, la véritable nouvelle de cette élection présidentielle au Liberia, c’est la non-participation de l’actuelle occupante de l’Executive Mansion, le palais présidentiel de Monrovia.
Ellen Johnson Sirleaf, la première présidente en Afrique n’est en effet pas en lice pour se succéder à elle-même. Elue en octobre-novembre 2005 à la tête du pays qui a connu de longues années de guerre civile, et réélue en octobre 2011 pour six ans de plus, elle est arrivée en octobre 2017 au terme de son second et dernier mandat autorisé par la Constitution. Et elle s’en va. Il y a une certaine polémique sur le bilan de ses années de gouvernance, certains détracteurs le présentant comme mi-figue, mi-raisin, surtout par rapport aux espoirs placés en elle. Mais loin de ces querelles politiciennes, l’unanimité s’est faite que Johnson Sirleaf a été une « bosseuse » et surtout aura changé le visage du Liberia. Elle a au moins le mérite d’avoir mis un terme à la guerre civile, commencé la reconstruction du pays…autant d’actions qui lui ont valu, en 2011, le prix Nobel de la paix.
Tout comme le font ses pairs du continent, Ellen Johnson Sirleaf avait toutes les cartes en main pour tripatouiller la Constitution du Liberia, sauter le verrou de la limitation du mandat et ainsi jouer la prolongation au pouvoir. Mais ayant la tête sur les épaules, elle s’est retenue de le faire. Voici le bel hommage à elle rendu par le site français lemonde.fr : « A son crédit, Ellen Johnson Sirleaf, 79 ans, n’aura pas tenté de tripatouiller la Constitution pour briguer un nouveau mandat. Mardi 10 octobre, elle ne figurera donc pas sur la liste des vingt candidats qui s’affronteront au premier tour de l’élection présidentielle au Liberia. Le résultat, incertain, signifiera nécessairement une alternance, y compris générationnelle, à la tête de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest peuplé de 4,5 millions d’habitants sorti brisé en 2003 de quatorze années de guerre civile. « Après avoir soulevé tant d’espoir, elle est devenue très impopulaire. C’est parce qu’elle a annoncé assez tôt qu’elle ne se présentera pas que la rue est restée calme », analyse un diplomate étranger ». Chapeau, Madame !
Faure Gnassingbé s’agrippe au pouvoir
Le Liberia est le nième exemple d’alternance au sein de l’espace ouest-africain. Il vient s’ajouter au cas de la Gambie et à ceux de pays ayant connu plusieurs alternances. C’est le Togo qui se retrouve davantage isolé. Ellen Johnson Sirleaf, élue à la présidence de son pays en novembre 2005 et entrée en fonction en janvier 2006, est venue voir Faure Gnassingbé au pouvoir. Tout comme les présidents actuels dans les pays de l’espace ouest-africain. Mais elle repart et le laisse au trône…
C’est depuis avril ou plutôt février 2005 que le Prince est monté au trône au Togo, dans un contexte de coups d’Etat constitutionnel et militaire, de massacre d’un millier de Togolais. Réélu en 2010, grâce à la fraude électorale, Faure Gnassingbé devrait se retirer en 2015, au bout de son second mandat. Mais il a pris prétexte sur les dispositions de la Constitution de décembre 2002, forme tripatouillée de celle de 1992 dans laquelle le verrou de la limitation du mandat a été sauté et qui a permis à son père de jouer la prolongation en 2003, pour candidater à un 3e mandat capté dans un braquage électoral inédit à la face du monde.
Cette situation, le Togo ne l’aurait pas connue si Faure était vraiment démocrate. Il lui suffisait de mettre en œuvre les réformes constitutionnelles et institutionnelles recommandées par l’Accord politique global (APG) du 20 août 2006 et se retirer. Mais il s’y est opposé résolument, usant de subterfuges, afin de créer les conditions de sa prolongation au pouvoir. Et il est parvenu à ses fins.
Faure Gnassingbé a une allergie notoire pour l’alternance au pouvoir, et il l’a montrée à ses pairs de la CEDEAO lors du sommet d’Accra en mai 2015 en refusant, en compagnie de son sosie gambien de l’époque, Yahya Jammeh, de signer le projet d’harmonisation de la limitation à deux des mandats présidentiels dans les pays de l’espace. Même président de l’institution communautaire depuis juin 2017, il ne croit pas devoir se rattraper, ne serait-ce que pour honorer son titre et son passage à la tête de la conférence des présidents. Bien plus, il manœuvre pour se cimenter au pouvoir dans son pays. C’est ce qui explique la tension politique actuelle au Togo.
Alors que le peuple réclame le retour à la Constitution originelle de 1992 qui a pavé la voie pour l’alternance au pouvoir, le Prince fait tailler et voter une Constitution inique avec des dispositions « démocraticides » – article 158 – qui lui permettent de s’éterniser au pouvoir. Et pour toute réponse aux populations qui manifestent sur toute l’étendue du territoire et dans la diaspora pour réclamer cette Constitution et son départ du pouvoir, il ne leur réserve que la violence, la terreur, la mort…Ils sont déjà sept (07) Togolais à avoir été tués depuis la levée de boucliers du peuple pour réclamer l’alternance.
Il faut être dans la tête de Faure Gnassingbé pour parier sur le moment où il acceptera quitter le pouvoir. Mais le plus cocasse, pendant qu’il se dresse résolument contre l’alternance au Togo, il s’illustre comme un renifleur et contemplateur de cette vertu sous d’autres cieux. Sans doute que lors de la prestation de serment du futur président du Liberia, il sera le premier à sauter dans l’avion pour assister à la cérémonie. Mais jamais, il ne marche dans les pas de ses pairs qui ont concouru à l’alternance dans leur pays…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2534 du 11 octobre 2017