Le samedi 30 mai dernier, s’éteignait en France, une étoile brillante de la politique togolaise. Le pays a perdu Apollinaire Madji Yawovi Agboyibo, un de ses acteurs politiques clés de ces trente dernières années. L’engagement patriotique reconnu et sans faille en faveur des Droits de l’Homme couplé de ses revers politiques font du désormais ex-président national du Comité d’action pour le renouveau (Car), un homme au légendaire destin de Moïse.

Une voix s’est éteinte

«Commission Nationale des Droits de l’Homme», «Accord Politique Global», «Déverrouillage des Institutions de la République», «Retour de l’ascenseur»… Tels ressassés quelques-uns des termes, désignation et équation par lesquels l’on reconnaît mieux, sur l’échiquier politique togolais, Yawovi Agboyibo. Le natif de Kouvé (préfecture de Yoto), ancien Bâtonnier du barreau de Lomé, Premier ministre et candidat à la magistrature suprême au Togo se trouve, à ne point douter, l’un des acteurs clés ayant contribué à écrire de belles pages de l’histoire du Togo démocratique.

Sur les traces d’un combattant des causes nobles

Celui que le Togo pleure aujourd’hui a été de tous les combats et luttes pour les causes nobles. En effet, très tôt, l’homme des concepts que l’on surnommait affectueusement «Elo matsi matsi mekou nawo (ndlr : Un caïman ne meurt pas jeune » a fait ses armes au titre d’Avocat, en Octobre 1969, au Barreau de Lomé chez Me Anani Santos avant de rejoindre, en mars 1971, l’Etude de Me Raymond Viale, avec aussi le goût très poussé une bonne gestion des affaires de la République fit ses premiers pas en politique en se faisant élire, en mars 1985, Député indépendant à l’Assemblée Nationale du Togo. Une première au Togo indépendant. Mais fort de sa fidélité à la justice, Me Agboyibo démissionne, en avril 1987, des fonctions de rapporteur général de l’Assemblée Nationale. Ceci, en protestation contre un projet de loi du gouvernement visant à supprimer de la liste des fêtes légales, la date anniversaire de l’indépendance du Togo, le 27 avril. Et de se faire élire, en juillet 1987, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Togo. C’est donc de là, profitant de ses relations avec le pouvoir de Lomé, à l’instar donc de tous les jeunes cadres de l’époque, qu’il enclenche une véritable lutte pour la démocratie et les Droits de l’Homme au Togo. Un engagement concluant qui aura débouché, en octobre 1987, sur la création de la Commission nationale des Droits de l’Homme (Cndh) dont il fut le premier président.

Agboyibo: Un destin à la Moïse

Mais à l’image de tous les grans  esprits, cet intellectuel et grand orateur à la voix rock,  sa finesse et son sens habile d’analyse et de réflexion n’ont malheureusement réussi à lui éviter le sort du prophète  incompris. Mais il faut se demander si lui-même n’en a pas été pour beaucoup dans ce sort ? Nous y reviendrons

À l’image du  personnage biblique  Moïse, grand acteur de la lutte de libération du peuple d’Israël aux mains de Pharaon.

Agboyibo a allié la négociation à la pression,  pesant ainsi dans la balance en faveur de l’amnistie de nombreux fils d’Ablodé dont Gilchrist Olympio, alors accablé de nombreux mandats d’arrêt internationaux. Malheureusement, ce dernier n’aura pu jouir de sa large victoire aux législatives de 1994 avec le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), sa formation politique créée en avril 1991, après son appel au soulèvement populaire du 05 octobre 1990. La faute à la tare finalement contagieuse qui a toujours caractérisé l’opposition, notamment la jalousie, la revanche, l’égoïsme dont Agboyibo lui-même n’a pu se priver face au guet-à-pens tendu à lui et Edem Kodjo dont le parti était alors arrivé 2ème force de l’opposition au parlement avec 7 élus au sortir de ces législatives.

Accusé très souvent de  traître, du fait de ses faits diurnes et nocturnes, le bélier noir, malgré son engagement déclaré pour l’alternance, sera tombé presque dans l’oubli politique où seul son nom résonnait encore ces dernières années, sans un réel poids  de son parti le Car sur l’échiquier politique national.

Les revers de l’Homme

Il est évident  de relever que «Maître», par ses micmacs, élucubrations et dribbles dont lui seul détient les secrets, aura également contribué à la démolition du monument politique qu’il constitue au Togo. En exemple, son retour inattendu à la tête du Car, après un semblant de passation de mains. Un retour sur scène à la limite incompressible pour le commun des mortels, en ce sens qu’il combat une dictature inamovible. Par l’acte du 26 février 2017, qui a entamé son retour catastrophique à la tête du Car, le bélier noir a suffisamment démontré,  qu’il n’a pas, lui-même dans ses veines, les valeurs démocratiques, notamment celles de l’alternance pour lesquelles il a pendant longtemps amené le peuple dans la rue au prix des vies. Un coup que Agboyibo ne s’est point empêcher de réaliser à un moment où sa santé était déjà précaire. Il s’était donc émergé de façon légitime des questions sur les vrais mobiles d’Agboyibo quand il enclenchait la lutte democratique dans les années 87. Etait-il vraiment poussé par des visées démocratiques ou des calculs cupides pour lui et lui seul?

Un engagement au goût inachevé

Qu’à cela ne tienne, Me Agboyibo aura combattu le bon combat, comme on le dit à titre posthume. En témoigne la floraison d’hommages, de divers acteurs de la vie sociopolitique à son endroit, des dignitaires du pouvoir à ceux de l’opposition en passant par les journalistes et défenseurs des Droits de l’Homme. Au tableau, des acquis que nul ne peut aujourd’hui ignorer quelque soient les fautes de l’homme.  Mais une fois encore à l’image de Moïse qui n’a pu mettre pied sur la terre promise, l’illustre regretté n’a pu, lui non plus, connaître, avant ses derniers soupirs, l’alternance politique pour laquelle il aura consenti une bonne partie de son passage sur terre.

Pis, à l’antipode de la Cpp d’Edem Kodjo l’on se demande si le CAR parviendra-t-il à survivre, lorsqu’on se rend compte que dans sa gloutonnerie hégémonique sur ce parti conçu en tout et pour tout pour lui seul, Me Agboyibo n’a pu préparer sa succession. Ce qui pourrait laisser entrevoir, à l’avenir, des guerres au sein de cette famille rouge. Ce qui participera à enfoncer, de plus, ce parti qui, avant la présidentielle du 22 février, était agonisant au sein de l’opinion.

FRATERNITE

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