L’ancien Premier ministre et ancien Président de l’Assemblée nationale togolaise, Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo se prononce dans cette interview réalisée par l’Agence Afreepress sur les conditions de détention qui ont été les siennes au cours des quarante (40) jours passés à la gendarmerie. L’homme ne mâche pas ses mots dans cet entretien et dénonce les « machinations et montages » relevés dans ce dossier. « Normalement après les graves déclarations de Mohamed Loum, notamment la torture dont il fut l’objet et la manipulation dont il fut la victime consentante, la procédure judiciaire devrait s’arrêter », avance celui qui est présenté dans ce dossier par les enquêteurs comme « le cerveau » de l’opération et le « bras financier » de l’équipe de pyromanes.
« Tout cela relève d’une machination politique, destinée à écarter des adversaires politiques, et il m’est difficile de croire que Faure Gnassingbé soit totalement étranger à cette sordide entreprise. Pour preuve lors de la levée de mon immunitaire parlementaire, dans des conditions détestables et irrégulières, le Président du Parlement a informé la représentation nationale que l’ordre venait de la présidence de la république. »
Lisez l’intégralité de l’entretien.
Afreepress : Bonjour monsieur Agbéyomé Kodjo, vous avez connu des difficultés avec la justice il y a quelques semaines de cela, vous avez passé plus de 40 jours en détention. Dites-nous, comment ont été les conditions de votre détention ?
Agbéyomé Kodjo : Abominable ! Je n’ai jamais imaginé qu’on puisse traiter un être humain de la sorte. J’avais fait 60 jours à la prison militaire de Kara à mon retour d’exil le 8 avril 2005, pour une fausse accusation (toujours sous ce régime des héritiers) mais je n’ai pas connu le même enfer que j’ai vécu dans les locaux de la gendarmerie nationale sous la férule du Capitaine AKAKPO, et de ses deux autres collègues officiers.
Cela me fait extrêmement de la peine, car je croyais qu’avec l’arrivée de Faure Gnassingbé au sommet de l’État, la situation des droits de l’homme et l’indépendance de la justice allaient connaitre une légère amélioration, je me suis lourdement trompé, ce que me confirmait d’ailleurs il y a peu de temps un séide du système selon lequel, le régime s’est plus endurci, comparativement à la situation qui prévalait lorsque je fus aux affaires.
Faure Gnassingbé est constamment dans l’incantation et le mirage tel un prestidigitateur. Sans recul, on lui donnerait la communion sans confession alors qu’il est d’un rare cynisme qui défie même le diable. Je constate que le système qu’il incarne souffre cruellement de déficit de moralité, et sous un paravent de justice, use de la violence politique et de l’inquisition pour la conservation du pouvoir.
La dictature judiciaire que maquille l’arsenal juridico-judiciaire mis en place par Faure Gnassingbé est plus que jamais mise à nue, au vu et au su du monde entier qui découvre clairement la supercherie montée de toute pièce par le pouvoir pour faire de ma personne le cerveau et le bras financier des incendies des Grands marchés de Kara et Lomé.
Fort heureusement les révélations de TOMETY Toussaint viennent corroborer la vacuité du dossier judiciaire déjà démontrée par mon conseil, Maître Amegankpoe. Dès lors, il ne reste au pouvoir que d’en tirer toutes les conséquences administratives et de droit, pour élargir les innocents leaders et membres du Collectif Sauvons le Togo (CST) qui croupissent encore en détention dans cette affaire.
À ce jour, quels sont les indices de mon implication dans cette affaire criminelle, dont disposait le Procureur général près de la Cour Suprême, pour saisir l’Assemblée nationale aux fins de lever mon immunité parlementaire ?
Je ne reviendrai pas non plus sur les conditions embarrassantes et illégales dans lesquelles l’institution parlementaire a procédé à la levée de mon immunité parlementaire, pas plus que sur le mensonge éhonté des officiers enquêteurs, qui ont vainement tenté de donner un contenu à un échange téléphonique blanc dans la nuit du drame, pour justifier leur imposture de même que les brutalités et voies de fait exercées sur ma personne ainsi que sur celles de mes enfants.
Tous ces faits laissent transparaître un acharnement politique, et l’instrumentalisation des institutions de la République à des fins de règlement de compte politique. C’est dommage pour la République, et pour l’avenir de notre pays. Quand un système politique fait de l’éthique et de la morale républicaine son marche pied, il n’y a plus de repères, et là où il n’y a plus de repères les valeurs s’effondrent laissant place à la loi de la force, au cynisme, et au déclin de la société.
Afreepress : Vous avez été inculpé dans ce dossier des incendies des marchés de Kara et de Lomé. Aujourd’hui, on vous interdit de parler de ce dossier, comment respectez-vous cette interdiction ?
Agbéyomé Kodjo : Pour moi il s’agit d’une inculpation d’essence politique, et d’une tentative tendant à faire croire aux populations que les premiers responsables de OBUTS ont pris part aux incendies des marchés de Kara et de Lomé, ceci dans le but de nous discréditer et de nous neutraliser politiquement.
Pour ce faire, on a recours à la violence policière brute, sous le couvert du ministère public qui conduit l’action pénale, dans le mépris des droits subjectifs rattachés à ma personne et à la vérité. La posture du parquet général devrait être pourtant uniquement la recherche de la vérité et une stricte application de la loi.
Malheureusement, on a le sentiment qu’il y a des interférences qui perturbent la conduite sereine de l’instruction, quand on observe la distribution tous azimuts des inculpations, parfois ridicules, avec des mesures de restriction abusives des libertés, pour laisser libre le champ politique au pouvoir en place, pour son entreprise d’intoxication et de manipulation de l’opinion.
C’est quand même cocasse, qu’à la veille d’une compétition électorale, alors que les partis au pouvoir et leurs satellites sont déjà en campagne, on soumet des adversaires politiques à des humiliations, à l’embastillement pour certains pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, d’autres sont inculpés avec interdiction de quitter la communauté urbaine de Lomé. Est-ce une décision de justice qui mérite le respect ? Où est-ce de la provocation ? Pendant ce temps, le Premier Magistrat est muet comme une carpe, certainement heureux de la persécution dont sont victimes ses adversaires politiques.
Pour le moment nous faisons l’effort de respecter ces contraintes illégales et illégitimes, mais nos relais sur le terrain assurent une communication efficace qui déroute les manipulateurs qui rêvent ainsi de conquérir les suffrages de nos électeurs. Faure Gnassingbé espérait faire dissoudre OBUTS et l’ANC, pour conforter la coalition RPT/UNIR-UFC, aux prochaines compétitions électorales, mais c’est oublier que rien ne vient à bout d’un peuple déterminé à avancer.
Afreepress : Vous venez de parler du principal accusateur, Mohamed Loum qui a cité des noms de certains officiers qui sont en même temps des enquêteurs dans ce dossier. Que peut demander Agbéyomé Kodjo par rapport au sort de ces officiers ?
Agbéyomé Kodjo : Que demander si ce n’est l’application de la loi dont se prévalent Faure Gnassingbé et son gouvernement ! Ce qui suppose l’ouverture immédiate d’une enquête administrative pour vérifier les allégations de torture et de sévices corporels dont Mohamed LOUM déclare avoir été victime. Si elles sont vérifiées, des sanctions sont prévues par la loi, et la loi doit passer au-dessus de toute considération. Ensuite le zèle et la méchanceté dont ces officiers ont fait preuve, dans cette affaire des incendies des Grands marchés de Lomé et de Kara, sur des personnes innocentes sur un coup politique fumant monté de toute pièce pour protéger les vrais pyromanes, traduisent l’insécurité judiciaire dans laquelle se trouve le pays. Faure Gnassingbé devra tirer toutes les conséquences administratives et de droit voire politiques pour prendre sans délai les mesures qui s’imposent avant qu’il ne soit trop tard.
Enfin j’ajouterai ceci par rapport à la confiance qu’on nous demande de faire aux institutions judiciaires de notre pays. Je rappelle que la confiance qui est toujours la résultante de relations sincères et loyales s’impose d’elle-même sinon se mérite !
Comment puis-je faire confiance à la justice de mon pays quand des citoyens sont enlevés à leur domicile un jour férié et gardés à la Gendarmerie, sans que le Procureur de la République ne réagisse ?
Comment puis-je croire à la bonne foi des juges de mon pays, quand on délivre en 2007, un certificat de cessation de recherches tendant à mettre fin au mandat d’arrêt illégitime délivré en 2002 contre ma personne, sans prendre le soin de saisir Interpol à cette fin ? Et que la levée du mandat dont il s’agit n’a été effective qu’en 2012, suite à une action efficace des services diplomatiques d’une puissance étrangère.
Comment puis-je croire à l’indépendance de la justice, quand un Procureur général avoue à mes avocats au terme d’une instance judiciaire qu’il était chargé de me faire taper sur les doigts en raison de ma rupture avec le RPT ?
Comment puis-je faire confiance à la justice de mon pays, quand un Président du Tribunal qui a procédé au mépris de la loi à la dissolution de la formation politique OBUTS déclara quelques instants après sa forfaiture que le procès dont s’était agi était politique et que sa décision de dissolution de OBUTS avait été une décision politique ?
Et cela ne date pas d’aujourd’hui : Comment faire confiance à une justice quand délibérément un Doyen des Juges d’instruction confond à dessein, les délits aux crimes dans le seul but de m’envoyer en prison, pour faire plaisir à ceux qui un intérêt particulier à me priver de liberté avec mon élimination physique préméditée à Sotoboua, lors de mon transfèrement à la prison militaire de Kara le 8 avril 2005?
Comment puis-je enfin faire confiance à la justice de mon pays, quand le Procureur de la République qui a assisté en compagnie du Garde des Sceaux, à la levée dans des conditions irrégulières de mon immunité parlementaire n’a pas formulé la moindre objection et qu’aucune réaction n’est intervenue de sa part quand il lui a été signifié par mon avocat, que la délibération de l’Assemblée nationale ne m’a jamais été notifiée. . Pire, il n’a nullement été perturbé que je sois inculpé alors qu’il sait en son âme et conscience que je suis parfaitement innocent dans ce dossier. Comment, puis-je dans ces conditions faire confiance à la justice de mon pays ? Comment croire que ceux qui sont censés travailler à la manifestation de la vérité n’avaient pas un autre objectif dans cette affaire ? Le Procureur de la République serait-il impliqué dans le sordide montage politique visant à décapiter le Collectif Sauvons le Togo ? Toujours est-il que toutes ces interrogations légitimes ne sont pas de nature à fonder une confiance en la justice, en l’état actuel des choses au Togo.
Afreepress : Dernière question, nous avions lu sur votre page Facebook une réaction par rapport à la dernière sortie du leader de l’UFC Gilchrist Olympio dans le Grand Nord du Togo. Il disait que les Togolais ne sont pas pauvres, mais plutôt qu’ils étaient des esclaves. Est-ce vrai ?
Agbéyomé Kodjo : Gilchrist Olympio et Faure Gnassingbé sont les fils de deux anciens Présidents de la République, et qui assurent ensemble aujourd’hui la gouvernance du pays.
Le leader de l’UFC au terme de sa récente tournée dans la région des Savanes a déclaré que les populations de cette région ne sont pas dans une pauvreté absolue, mais dans une situation d’esclavage. Je regrette que depuis trois années que l’UFC participe à l’action gouvernementale, ce soit à la veille d’un scrutin électoral que son leader découvre cette réalité au niveau des populations dont il est proche par rapport à ses origines. En effet la misère a progressé dans le pays, et ce constat de Gilchrist Olympio confirme notre réaction par rapport à la propagande du RPT/UNIR qui annonce que le taux de croissance enregistré par l’économie togolaise en 2012 est en forte progression, ce que nous avons contesté. À moins qu’on admette que celui-ci a été très inégalement réparti !
Afreepress : Vous avez annoncé que la Justice togolaise vous a restitué votre passeport, qu’en est-il réellement ?
Agbéyomé KODJO : À ma demande, mon passeport m’a été restitué pour aller me faire soigner des suites pathologiques de mon incarcération. Je me rendrai prochainement à l’extérieur du pays, pour des contrôles, qu’impose mon état physique. Il n’a échappé à personne que j’ai failli laisser ma vie dans cette accusation outrancière qui a débouché sur mon enlèvement et ma séquestration dans des conditions inhumaines dénoncées unanimement par les organisations de défense des droits de l’homme. J’ai perdu 7 kgs en 40 jours de détention, pendant lesquels il me fut interdit de marcher dans la journée conformément à une prescription médicale.
Enfin il vous souvient que suite à un malaise cardiaque survenu un week-end, l’officier de service n’a daigné me trouver un médecin que 9 heures de temps après qu’il soit alerté à trois reprises. L’irréparable aurait pu se produire, et peut-être c’était l’objectif inavoué de cette entreprise criminelle déclenchée au sommet de l’État.
Quoi qu’il arrive, nous poursuivrons le combat jusqu’au triomphe des idées auxquelles nous croyons et ceux qui nous persécutent doivent méditer cette phrase « on peut tuer un homme ; mais on ne peut pas tuer ses idées ».
Je vous remercie pour votre travail de vérité à l’endroit de l’opinion, et félicite les médias pour leur combat ardu en faveur de la justice, la liberté d’expression et la démocratie au Togo.
Propos recueillis par Olivier A.
afreepress