La Cour d’appel ordonne une mainlevée partielle, l’ANR bloque la restitution des fonds, le dossier renvoyé à la Cour suprême
 
– Des billets de la saisie retrouvés sur le marché par les victimes
. Les commerçants abandonnés à leur triste sort, crient leur détresse
 
Il vous en souvient, en 2010, une affaire de saisie de fonds sur des commerçants avait défrayé la chronique. Ces commerçants qui faisaient passer des devises étrangères en Asie en vue de payer leurs fournisseurs, furent interpellés à l’aéroport et dépossédés de leurs sous, par des éléments de l’omniprésente Agence nationale de renseignement (Anr). Une première fois le 11 janvier 2010, et une seconde fois le 26 novembre de la même année. Beaucoup devraient croire cette affaire réglée et l’argent restitué à leurs propriétaires, puisqu’il s’est avéré que les fonds ont été légalement déclarés à la Douane. Mais il n’en est rien, deux ans après. En tout cas s’agissant de la première saisie. Et dans les rangs des commerçants, c’est la détresse totale.
 
Cette affaire avait entraîné une levée de boucliers dans les rangsde ces commerçants spoliés qui avaient menacé de marcher sur la présidence de la République pour exiger leurs sous. Un officiel nigérien avait même fait le déplacement
 
de Lomé dans le cadre de cette affaire. Sous l’effet des pressions diverses, les fonds de la seconde saisie opérée le 26 novembre 2010, estimés à huit
 
milliards onze millions (8 011 000 000) FCFA ont été restitués à leurs propriétaires. Mais pas ceux de la première prise faite le 11 janvier 2010 sur les sieurs Saadou Almoustapha,Boubacar Zakariyaou, Tessi Hamadou, Hama Kodo Loukmanr et Berjaoui Ali et évalués à environ un milliard cinq cent millions (1 500 000 000) FCFA. Il s’agissait des sous appartenant à une trentaine de commerçants que ces derniers se chargeaient de convoyer en Asie, et particulièrement à Dubaï afin d’acheter des marchandises. Ces derniers sachant n’avoir rien fait d’illégal, puisque les fonds ont été bien déclarés à la Douane, pensaient pouvoir rentrer dans leurs fonds en l’espace de quelques jours. Mais l’attente durait de trop, et ne voyant rien venir, ils saisirent la justice, aux fins de prononcer la restitution de l’argent.
 
Une première décision rendue le 21 mars 2011 par le Doyen des juges d’instruction jugeait cette restitution prématurée. Non contents de ce verdict, les commerçants interjetèrent appel et le 28 décembre dernier, la Cour d’appel a rendu sa décision ordonnant une « mainlevée partielle » sur les fonds saisis. « Il sera distrait de cette saisie un million quatre cent quatre-vingt-onze mille (1 491 000) dollars et trois cent soixante-dix mille (370 000) euros, sommes régulièrement déclarées à la Douane togolaise le 11 janvier 2010, en vue de leur restitution par l’ANR à leurs légitimes propriétaires qui sont des commerçants », dixit l’ordonnance.
 
Cette décision a semé du baume au cœur de ces commerçants qui étaient ainsi privés de leurs fonds de commerce depuis deux ans. Sans doute que les dommages à eux causés sont énormes. Au-delà de l’arrêt de leurs activités, il nous revient que certains sont devenus des hypertendus et l’un des commerçants aurait succombé quelques jours après cette saisie. Même s’ils avaient requis la restitution totale de leurs fonds, les spoliés se sont résolus à en toucher la moitié avant de poursuivre la procédure pour la restitution complète. Ainsi ils espéraient rentrer dans leurs fonds dans les jours qui suivirent. Mais quelle ne fut leur désolation de s’entendre dire que sous des pressions de l’Anr, le dossier est renvoyé à la Cour suprême. Conséquence, la restitution partielle ordonnée par la Cour d’appel est suspendue, et les fonds toujours gardés par l’Anr.
 
« Nous ne sommes pas des trafiquants, nous ne vendons pas de la drogue…Nous sommes des commerçants, et c’est avec ces sous que nous commandons les articles que nous amenons ici pour alimenter le marché. Alors qu’on nous les rende ! », crie Mme Agbalé Afi Tchotcho, l’une des malheureuses victimes de cette saisie que nous avons rencontrée samedi dernier. Elle avoue ne plus rien comprendre. « Ou on est dans un Etat de droit, ou on n’y est pas ! Ces sous ont été bel et bien déclarés à la Douane, et on ne voit pas pourquoi on nous les a saisis et on les garde depuis deux ans ! L’argent ce n’est pas à eux, c’est à nous et c’est le fruit de notre labeur ! Ce type de transaction ne date pas d’aujourd’hui, ça se faisait depuis l’époque d’Eyadéma, et cela n’a rien d’illicite. Pourquoi nous priver alors de notre argent ? », s’indigne-t-elle.
 
Les commerçants ont l’impression d’être abandonnés à leur triste sort, même par les officiels de l’Etat. Ils confient avoir saisi tour à tour le ministre du commerce Arthème Ahoomey-Zunu, de l’Economie et des Finances Adji Otèth Ayassor, des Affaires étrangères Elliott Ohin, la Directrice générale des Impôts Ingrid Awade, le Premier ministre Gilbert Houngbo. Sans suite malheureusement. Ce qui laisse croire que l’affaire est hors de leur champ de compétence ou que tout simplement, ils protègent les receleurs.
 
Dans un Etat normal, après la saisie opérée par l’Anr, et surtout qu’une procédure judiciaire est ouverte, les fonds devraient être mis à la disposition de la Justice. Mais ce n’est malheureusement pas le cas. A en croire les commerçants, l’ancien Procureur de la République Robert Bakaï leur aurait même confié à l’époque n’avoir vu l’argent qu’en photo. Et de toute vraisemblance, le pactole est toujours gardé par la fameuse Anr du Col Yotroféï Massina, à considérer ce passage de l’ordonnance : « …en vue de leur restitution par l’Anr à leurs légitimes propriétaires… ». L’Anr est-elle au-dessus de la Justice ? Quel intérêt a-t-elle à garder ces sous et à s’opposer à leur restitution ? Les commerçants doutent même de l’existence à nos jours de ces fonds. « Cela peut vous paraître invraisemblable, mais nous retrouvons nos dollars sur le marché…Ils sont numérotés », nous informe Mme Agbalé, qui parle de spoliation.
 
Ces malheureux commerçants rentreront-ils un jour dans leurs fonds ? La question reste posée, quand on sait le sort souvent réservé à ces genres de prises effectuées par cette institution à scandale. Très souvent, ces fonds disparaissent dans des circuits obscurs. Il vous souvient sans doute le cas du Libanais Mehanna Houssam, un employé de MARCO Sarl. L’homme a été kidnappé le 15 mars 2009 à la frontière de Sanvee-Condji par les éléments de l’ANR alors qu’il rentrait du Bénin. Après un séjour musclé dans ce Guantanamo local, et par un arrêté pris le lendemain par le ministre de la Sécurité de l’époque, Mohamed Atcha Titikpina, il fut conduit aux frontières et expulsé du Togo, sa carte de séjour annulée et surtout les sous, 1 275 000 dollars et 12 000 euros bien déclarés qu’il avait confiés à des proches à faire passer la frontière, saisis. Ces fonds ont malheureusement disparu, et des sources avaient laissé entendre que le butin a été partagé par le duo détonnant –suivez les regards- qui, selon les indiscrétions, fait fortune avec ces genres de prises.
 
Au demeurant, c’est bien triste que ces genres de choses se passent dans un pays qui se veut de droit. On se croirait au Far West, dans un film Western où on voit des cowboys attaquer à l’arme des voyageurs et les déposséder de leur fortune, et le butin partagé entre les membres du groupe. Dans les rangs des commerçants spoliés, c’est la détresse totale. Mais on n’entend pas laisser ces fonds dans les mains des receleurs. Il est même envisagé des manifestations de rues, entre autres actions, pour rentrer dans les fonds.
 
Tino Kossi
 
literte-togo.com
 

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