Depuis 1987, la construction du barrage de Nangbéto par la Communauté électrique du Bénin (CEB) a impacté la vie de milliers de Togolais originaires de la préfecture de l’Ogou. Une situation similaire se prépare avec la décision du gouvernement d’immatriculer un domaine vaste de plus de 20 mille hectares dans le patrimoine de l’Etat. Les populations concernées dénoncent une action visant à leur arracher leurs terres au profit d’investisseurs étrangers.

Les populations de l’Ogou ont organisé hier une conférence de presse à Lomé pour alerter l’opinion nationale et internationale sur le drame qui se prépare le long du fleuve Mono. Un domaine de plus de 20 mille hectares abritant plus de 50 villages est en passe d’être immatriculé comme étant propriété de l’Etat togolais. Les villages en question se trouvent dans les Communes d’Ogou 2 et Ogou 4.

En effet, le 12 avril 2019, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales a, à travers deux réquisitions, ordonné l’inscription de deux domaines de terres agricoles au patrimoine de l’Etat. Il s’agit de la réquisition n°965-RP concernant un terrain d’une contenance totale de 8.403 hectares 96 ares 79 centiares situé dans les cantons d’Akparé et de Katoré dans la préfecture de l’Ogou et la réquisition n° 966-RP concernant un domaine de 12.174 hectares 90 ares 30 centiares, situé dans les cantons de Ountivou dans la préfecture de l’Ogou et Glito dans la préfecture d’Anié.

D’après la cartographie de la préfecture, les domaines longent le fleuve Mono sur ses deux rives. Et pour les populations concernées par cette expropriation annoncée, les terres cultivables du milieu sont l’objet de convoitise de la part des exploitants agricoles et des investisseurs étrangers. «Cette convoitise explique le processus déclenché par le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales ayant abouti aux réquisitions du Conservateur de la propriété foncière, Directeur des affaires domaniales et cadastrales, visant l’enregistrement des domaines convoités dans le patrimoine de l’Etat », soutiennent-elles. 

Pour justifier la forfaiture, le gouvernement dit s’appuyer sur le décret 84-171 du 25 septembre 1984 autorisant et déclarant d’utilité publique l’aménagement hydroélectrique de Nangbéto sur le fleuve Mono. « La zone de la retenue du barrage de Nangbéto est délimitée comme suit : au Nord, la piste Anié/Kolokopé et une ligne fictive Kolokopé/frontière du Bénin; au Sud, la piste Atakpamé/Kpakpo et une ligne fictive Kpakpo/Outivou/frontière du Bénin ; à l’Est par la frontière du Bénin et à l’Ouest par la route Nationale 1 Atakpamé/Anié », précisent les populations de l’Ogou. En d’autres termes, les localités aujourd’hui ciblées par le gouvernement ne sont pas dans la zone du barrage de Nangbéto.

Mais ce qui fait monter la tension, c’est que les populations de l’Ogou craignent de revivre un pan douloureux de leur passé. Des milliers de familles ayant été déplacées dans le cadre de la construction du barrage de Nangbéto ont été plongées dans l’extrême pauvreté. « Dès la réception de ces récépissés, nous, collectivités des communes Ogou 2 et Ogou 4, indignées et préoccupées, avions formulé une opposition auprès du Conservateur de la propriété foncière, Directeur des affaires cadastrales et domaniales. En effet, pour réaliser le réservoir du Barrage de Nangbéto, nombre de collectivités avaient déjà été déplacées contre leur gré et recasées dans des conditions scandaleuses par le gouvernement sur les sites qu’elles occupent actuellement. Dès lors, comment comprendre qu’aujourd’hui on cherche encore à les déplacer? Pourquoi? Pour aller où? », s’interrogent-elles.  

Au sein de la population concernée, on s’indigne du fait que l’Etat censé protéger les citoyens, les spolie après les avoir abandonnés à leur triste sort depuis 1987. « Avec l’appui de la société civile, en l’occurrence la Ligue togolaise des consommateurs et l’Association des sept collines, nous avons l’impérieux devoir de nous indigner et d’engager des actions légales pour rentrer dans nos droits. Non ! Nous ne voulons pas qu’on accapare cette fois encore nos terres nourricières et ancestrales pour les brader à des sociétés qui n’ont qu’un but : mettre la main sur l’agriculture togolaise et de facto mettre à mal notre souveraineté alimentaire, empêchant le renouvellement des agriculteurs locaux et occasionnant le chômage rural », déclarent les populations de l’Ogou qui annoncent des recours aux juridictions internationales.

Dans un mémorandum rendu public lors de la conférence de presse, les populations ont souligné que pour encourager les déplacements sur les rives Est et Ouest du fleuve Mono, le gouvernement du Togo avait fait des promesses mirobolantes aux populations, en l’occurrence : l’assistance à la réinstallation pendant trois ans ; la construction de nouveaux logements modernes en terre stabilisée aux personnes déplacées ; l’indemnisation des pertes de logements, des parcelles nues et des plantations inondées et des plants arrachés ; la promotion des cultures de contre saison à travers la pratique du jardinage bien encadrée ; la réalisation de forages en vue de favoriser l’accès à l’eau dans les localités affectées ; la création d’emplois pour les jeunes de la zone ; l’amélioration des techniques de production agricole ; la construction d’écoles, de centres de santé, de marchés ; l’ouverture de pistes en vue de désenclaver les localités, etc. Des promesses qui n’ont été tenues que « très partiellement ».  

Pour ne plus revivre ce cauchemar, les populations de l’Ogou appellent la Banque Mondiale et la CEB afin qu’elles prennent leurs responsabilités. « Elles doivent désormais mettre un bémol à cette position de Ponce Pilate, afin de défendre des populations trop longtemps bafouées dans leurs droits », insistent-elles.

La rédaction/ Togoactualite

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