A quoi sert le pouvoir au Togo ? Il y a un an que Faure Gnassingbé a été une fois encore imposé comme président du Togo par les différents clans du système qui travaillent en coordination. On ne sera pas sévère en disant que le pays a hiberné depuis que le fils d’Eyadèma s’incruste dans le fauteuil. Aujourd’hui, il remet sur la table quelque chose qu’il aurait dû faire un an plus tôt s’il veut vraiment servir l’intérêt général. C’est l’éternelle question du dialogue qui révèle l’incapacité du système au pouvoir à réaliser l’intérêt général.
365 jours pour rien
Que peut-on retenir du premier an que Faure Gnassingbé vient de passer à la tête du Togo ? Le ministre Bodjona à une question pareille peut vider tous les mots du dictionnaire de la langue française. Il ne manquera pas de mots pour égrener le chapelet interminable des réalisations griffées Faure Gnassingbé. Il dira des vertes et des pas mûres, assurera de ce qui n’est pas. C’est normal et cela ne peut étonner personne. Mais, dans la vérité, on aura de la peine à identifier les faits probants qui garantissent un devenir meilleur pour le pays.
Les routes, le pays en a besoin certes, mais à quoi serviront des routes dans un pays divisé, sans âmes, condamné à une décrépitude et à un chaos certains ? Les problèmes matériels du pays, on ne peut pas les occulter ; toutefois, il est préférable que les Togolais aient enfin le courage de regarder la réalité en face. Il est important aujourd’hui que Faure Gnassingbé et le système qui l’impose aux Togolais sans qu’il le mérite comprennent que le nœud gordien de la crise togolaise ne réside pas dans la multiplication bling bling des chantiers de routes mais bien ailleurs. L’enjeu est bien de réconcilier le pays avec lui-même, de recoller les morceaux en lambeaux du tissu social et surtout de désamorcer de loin la bombe à retardement que constitue la crise politique exagérément longue, la crise qui perdure, qui ne finit pas. Cette crise ne finit pas simplement parce que l’on n’y a jamais apporté la réponse.
De père en fils, on a préféré des raccourcis qui n’amènent pas à la bonne destination : on a préféré des antalgiques aux médicaments curatifs : on a donné au malade des antipaludéens alors qu’il souffre de gastro-entérite. A moins que le système RPT ait les moyens de rivaliser avec le médecin malgré lui de Molière, on ne peut que s’étonner et s’indigner de cette incapacité atavique à soigner le malade Togo parce que si le malade se guérit, c’est la fin des haricots dans le clan. Les 365 et plus jours qui viennent de s’écouler ont malheureusement présenté le même tableau. Le malade grabataire souffre, les parents ou médecins font la sourde oreille. On ne peut pas demander à un maçon de monter une cuisinière à gaz. Toute l’année, on a fait ça : la comédie politique pour grandes gens.
Une impertinence décourageante
Le lundi 7 mars dernier, le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) était au Palais de la Présidence. Il y était invité pour la raison du « dialogue inclusif ». Une semaine plus tôt, c’est l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre qui était invité, mais les concernés ont décliné l’offre. Selon les discours officiels, un communiqué du gouvernement en date du 28 février qui fait référence au discours à la nation du 31 décembre 2010 de Faure Gnassingbé, ces rencontres visent à ouvrir des discussions avec les différentes forces vives de la nation qui sont disposées à œuvrer pour l’amélioration du processus démocratique.
Pour beaucoup d’observateurs, cette démarche procède d’une impertinence décourageante dans la mesure où elle aurait dû intervenir depuis un an et aurait eu plus de sens et de pertinence. Ces observateurs indiquent notamment que Faure Gnassingbé et le RPT auraient été plus inspirés s’ils avaient montré autant de bonne volonté en février, mars et avril 2010. Cela renferme que l’invitation au dialogue aurait dû intervenir en cette période où le climat politique était très tendu, où la tension entre forces politiques était forte. En cette époque en vérité, toutes les forces d’opposition, hormis quelques-unes qui lorgnaient les portefeuilles ministériels, avaient crié au scandale face aux résultats proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et validés par la Cour constitutionnelle, sans raison valable. Les plus pudiques avaient estimé qu’elles ne se reconnaissaient pas dans les chiffres qui leur sont affectés comme suffrages obtenus, les plus sévères avaient parlé de « hold up », non sans raison. Celles-ci ont organisé et continuent de le faire, des manifestations publiques de protestation et de contestation desdits résultats.
Pour toute réponse à ces élans, Faure Gnassingbé et les siens n’ont eu que la répression et les étouffements de liberté. Au lieu de saisir l’occasion pour donner une chance véritable de sortie de crise, ils se sont obstinés à aller de l’avant, faisant la sourde oreille à toutes les propositions et à tout bon sens. C’est là où réside l’impertinence ; avec elle, la méchanceté politique. Si Faure Gnassingbé et le RPT savaient qu’ils viendraient au dialogue, pourquoi ne l’avoir pas ouvert au bon moment, quand cela pouvait produire des effets avérés ? En le faisant aujourd’hui, ils ont apporté la preuve que c’est au mieux un piège pour opposants gentils, au pire une comédie grotesque destinée à amuser la galerie.
Le système en place n’a pas eu le courage d’ouvrir le dialogue avec les candidats à la présidentielle de mars 2010, ce qui aurait un sens, pis, il s’est engagé dans l’aventure d’un accord avec l’Union des Forces de Changement (UFC) en mettant de côté le candidat qui a porté le flambeau de ce parti à la joute électorale. En lieu et place de Jean-Pierre Fabre qui avait sans doute son mot à dire pour avoir participé à la présidentielle, Faure Gnassingbé et le clan discutent avec Gilchrist Olympio, président national, qui avait longtemps montré de la réticence vis-àvis du candidat de rechange de son propre parti. Un accord dit historique a été signé le 26 mai 2010 qui promettait une sortie de crise et un meilleur essor pour le pays. A bientôt un an après sa signature, on ne peut pas dire que cet accord a servi à quelque chose, sauf à perdre du temps et à creuser davantage le fossé de la crise politique nationale.
Ce que Faure Gnassingbé propose aujourd’hui à M. Fabre, il aurait dû le faire depuis des mois. La volonté du pouvoir pour le pouvoir, la méchanceté et l’arrogance politiques qui caractérisent le système l’en ont empêché de sorte qu’on ne sait pas au juste ce qu’il veut obtenir aujourd’hui comme résultat en jetant dans la mare le pavé du dialogue inclusif. Peut-être se sont-ils rendu compte de leur erreur de l’accord du 26 mai 2010 et ils veulent sauver ce qui pour eux peut l’être encore.
Que veut-on faire du Togo ?
Faure Gnassingbé vient de boucler un an sur les 5 que le système lui a donnés, arbitrairement. En une année, il n’a pas montré de signes probants d’une quelconque détermination à réconcilier le Togo avec lui-même et surtout à en garantir un avenir radieux. A contrario, on a constaté des poussées liberticides notamment les astuces malsaines mises en œuvre pour tenter le musellement de la presse indépendante, l’animosité visible à l’égard des adversaires qui ne veulent pas avancer dans le sens de la compromission. On voit plutôt une détermination à confisquer éternellement le pouvoir, à instrumentaliser les forces armées, la justice et toutes les institutions de la république.
On a vu une absence bruyante de volonté de faire la démocratie orthodoxe, lui préférant une démocratie à la togolaise dans laquelle la loi n’a de sens que vu du point de vue du Prince et de ses humeurs, une démocratie dans laquelle on peut garder en prison un député sans procès pendant deux ans, on peut renvoyer des députés de l’Assemblée nationale sur la base de documents sans valeur juridique, où la cour constitutionnelle peut valider des décisions que tout le monde juge sensément erronées et injustes.
Au lieu de s’attacher à apporter des réponses pertinentes, Faure Gnassingbé et les siens ont pris goût aux fuites en avant et au placebo. C’est une habitude. Jusqu’à quand va-t-on s’amuser ainsi avec le destin de ce pays ? L’histoire retiendra que, comme son feu père, Faure Gnassingbé n’a pas eu les moyens de prendre les décisions pertinentes pour remettre le pays à flot, au lieu de penser qu’il suffit de s’accrocher au pouvoir et de proposer des gâteaux à la menthe aux adversaires. La même histoire lui tiendra rigueur de ce qu’il va advenir de ce pays dans 5, 10 ou 50 ans. C’est le grand enjeu des tergiversations d’aujourd’hui.
Nima Zara – Le correcteur N°234 – 11 mars 2011

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