Il y a sept (10) ans, le 15 août 2008, le corps nu et sans vie de l’opposant togolais Atsutsè Kokouvi AGBOBLI a été retrouvé sur une plage de Lomé. Le pouvoir togolais avait promis de « faire toute la lumière » sur la mort dramatique du journaliste et homme politique togolais. Sept (10) ans après, où en est l’enquête ?
Je saisis l’occasion de ce funeste anniversaire, comme devoir de mémoire, pour rappeler l’hommage que je lui ai rendu en 2008, à l’annonce de la contre-expertise de son autopsie.
JOACHIM ATSUTSÈ KOKOUVI AGBOBLI: UNE RENCONTRE
Par Eloi Koussawo (2008).

Le 15 août 2008, Joachim Atsutsè Kokouvi Agbobli nous a tragiquement quittés. La récente et ambiguë contre-expertise d’autopsie n’enlève rien à la douleur qui nous assaille encore.
D’autres que moi ont élégamment rendu hommage à cet homme aux talents multiples. Je voudrais simplement, en toute humilité, évoquer quelques souvenirs d’une époque où j’ai eu l’honneur et le privilège de rencontrer un homme qui, même s’il avait presque le double de mon âge, m’a fait un réel signe d’amitié.
Lomé, début septembre 1991. La Conférence Nationale Souveraine venait de tirer le rideau sur ses tumultueux travaux, avec la formation d’un gouvernement censé mener le pays vers la transition démocratique. L’incertitude planait dans le pays. Atsutsè Agbobli, alors responsable du CALDAN (Club des Amis de la Liberté et du Développement en Afrique Noire), souhaitait, via le Dr Ayité, rencontrer le leader des jeunes actifs de son quartier. Le rendez-vous fut donc pris.
Je le revois encore nettement. Il y a de cela pourtant plus de dix-sept (17) ans. C’était un après-midi ensoleillé, devant la maison familiale des Agbobli, en face de la mairie de Lomé à Nyékonakpoè. Il m’attendait. J’étais dans la vingtaine et je présidais la Jeunesse d’Action Nyékonakpoè-Kodjoviakopé (JANK). Quand je me rendis à ce rendez-vous, c’est autant le journaliste dont le nom s’inscrivait dans l’hebdomadaire « Jeune Afrique » que le politologue averti que j’allais voir. Il était décontracté. Le regard étincelant. Il me donna la main avec une cordialité lucide qui lui fut toujours familière. «Vous êtes diplômé de lettres, je crois», me demanda Agbobli à brûle pourpoint, au moment où nous franchissions le seuil de la maison. «Le Togo attend beaucoup de sa Jeunesse!», enchaîna-t-il en se dirigeant vers une pièce sur la droite. Je lui emboîtai le pas.
Nous prîmes place. Indubitablement, il était renseigné sur mon cursus universitaire d’alors. J’avais, en effet, une licence ès lettres. Lorsque nous eûmes trinqué en signe de bienvenue, sans langue de bois, mon hôte s’enquit aussitôt de mes ambitions pour la JANK qui était fortement médiatisée. Je me souviens des propos échangés ce jour-là. Ils étaient littéraires et surtout politiques. Ce qui frappait de prime abord chez Agbobli, c’était sa simplicité, sa courtoisie, son urbanité. L’humour était souvent de la partie. Il avait manifestement le don d’écoute et de causerie. Il argumentait avec une verve admirablement convaincante, surtout lorsqu’il abordait le Nationalisme togolais. Ses propos ne manquaient pas d’illustrations. Les discussions s’élargissaient vite aux perspectives internationales, panafricaines. Il avait évidemment une préoccupation d’ouverture au-delà de nos frontières.
De notre première rencontre, il est une phrase que je l’entendis répéter maintes fois, avec une intonation particulière: «l’Afrique doit penser son développement industriel!» Enhardi par cette affirmation de l’éveilleur des consciences, je lui proposai, pour le compte de la JANK, une conférence-débat sur «Démocratie et Développement.» Il accepta sans hésitation. C’était sa toute première depuis son retour au Togo, ou l’une de ses premières.
Ce n’est pas sans émotion que, ce jour-là de septembre 1991 au Lycée de Nyékonakpoè, le politologue se trouva devant un nombreux auditoire. D’une logique rigoureuse, il soutint ses idées. De son analyse émanait un rayonnement extraordinaire.
Il y eut ensuite, il m’en souvient, une admirable suite d’amitié. Que de causeries nous allions avoir durant de longs mois, hélas, interrompues par mon exil !
Après m’avoir courtoisement rendu visite, j’allai le voir au moins un week-end sur deux, en compagnie de mon ami Fernand Tounou, mon second à la JANK. Même lorsque l’ami Agbobli déménagea pour sa «villa blanche» en banlieue de Lomé. Une villa où trônait une bibliothèque impressionnante, qui offrait à l’œil et à l’esprit du curieux une monstrueuse séduction. On devinait immédiatement le goût de lecture du maître de maison. Il nous disait chaque fois le réconfort de jeunesse et la joie que lui apportait notre visite. Il ne savait pas à quel point, personnellement, j’appréciais sa simplicité, son extraordinaire culture, sa jeunesse d’âme.
Je dois dire que nos relations faiblirent par la distance. Je n’avais pas beaucoup apprécié non plus son choix en 1994 de devenir Ministre, somme toute, du système. J’étais déjà en exil. Il a voulu à un moment donné, probablement, mener le combat démocratique de l’intérieur du système.
Je le reverrai par la suite, seulement, une fois. C’était à Paris, en mai 2006 à une rencontre initiée par ‘Sursaut Togo’ dans le 20è arrondissement. Comme pour marquer les retrouvailles, j’étais toujours avec Fernand Tounou: un moment de souvenirs et d’émotion. Depuis ces années d’éloignement, le temps avait entrepris son inévitable et insidieuse progression sur nous tous. Atsutsè Agbobli donna, à chacun de nous, un exemplaire dédicacé d’un numéro d’Afric’ Hebdo.
Il serait prétentieux de limiter sa mémoire en aussi peu de lignes. Notons tout simplement que de temps à autre naissent des hommes extraordinaires, et que Joachim Atsutsè Kokouvi Agbobli était de ceux-là.
Dans la déréliction où nous laisse sa perte, il nous reste l’espoir de voir triompher ses idées.
Bruxelles, 17 novembre 2008
Eloi Koussawo

Photo: De gauche à droite: Eloi Koussawo, Atsutsè Agbobli, Fernand Tounou, à Lomé, septembre 1991.
 

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