Les populations se soulèvent et disent non à 35 ans d’expropriation de leurs terres


 
Privilégier le bien-être d’expatriés est une chose à l’heure de la mondialisation ; mais le faire au détriment des autochtones en est une autre. Spoliés de leurs biens depuis plus de 35 ans, les populations de Bado (Yoto) ont tenu à manifester leur détermination à mettre un terme à cet état de chose tôt dans la journée de mercredi. Et à l’issue des discussions, un sursis de 48 heures a été accordé tant aux responsables de la société Wacem, qu’aux autorités de la préfecture afin qu’une issue qui ne lèse aucune des parties, soit trouvée.
 
Tabligbo et ses villages environnants sont situés dans la préfecture de Yoto. Et pour quelqu’un qui laisse son engin roulant sans couverture pendant trente minutes, il le retrouve couvert d’une poussière fine qui se dépose permanemment sur tout. Comme le bruit de l’excavatrice à Treblinka en Pologne durant la deuxième Guerre mondiale, la vie dans cette petite ville est régie par le bruit d’un moteur qui rythme tout. Celui des moteurs de l’ex-Cimao devenu Wacem (West African Cement).
 
Depuis 1976, l’extraction du calcaire pour sa transformation en clinker ou ciment a commencé dans cette localité. Mais le calcaire gît dans le sous-sol de la région où la principale activité demeure l’agriculture. Aussi, les propriétaires terriens se sont-ils vu déposséder de leur bien le plus précieux, la terre. En contrepartie, promesse leur a été faite d’un dédommagement substantiel devant compenser les pertes des cultures et autres avantages naturellement acquis. Mais depuis 1977, rien.
 
De guerre lasse, les propriétaires terriens ont décidé ce 22 février de donner de la voix et d’exprimer leur ras-le-bol face au silence assourdissant et des responsables de la société, et des autorités. Ainsi tôt dans la journée de mercredi, femmes, hommes, jeunes et vieux, sous la conduite de M. Mitronugna Robert, un des propriétaires terriens, ont bravé la distance menant à la carrière d’extraction du calcaire. Et les engins lourds (camions et bulldozers) dont on entend les bruits au loin, se sont immobilisés face à la grogne des propriétaires. Leur détermination était palpable.
 
Mitronugna Robert, un des meneurs et propriétaire terrien, nous précise le but et les revendications principales : « C’est un mouvement des propriétaires terriens expropriés de Bado. Il y a de cela 35 ans que nous avons été expropriés de nos terrains et depuis 35 ans nous souffrons, nous n’avons pas de dédommagement. Nous avons demandé à notre avocat Me Galolo de prendre l’affaire en charge mais jusqu’à présent, l’Etat ne nous dit rien et Wacem continue d’exploiter les terres. Nous et nos enfants sommes restés affamés et sans dédommagement. Donc aujourd’hui, nous avons demandé à la population propriétaire de terrains de se rassembler pour dire non et non à l’exploitation illégale de nos terres afin que nos dommages soient réparés au niveau de notre avocat ».
 
Comme il est « de coutume sur la terre de nos aïeux », les autorités ont tôt fait de convoyer les forces de l’ordre sur les lieux, oubliant que celles-ci sont des êtres sensés. Interrogé quant à la présence des hommes en treillis sur le terrain, M. Mitronugna répond : « Vous savez, au Togo, on a toujours ce problème. Quand il y a manifestation, on a toujours les forces de l’ordre mais je suis sûr que ces gens aussi sont des Togolais et ils savent ce qui se passe à Tabligbo plus précisément à Wacem. Ils ne nous feront rien et je suis sûr qu’ils sont là pour notre sécurité qui dépendra d’eux j’en suis sûr ».
 
« C’est depuis 1976 au temps de la CIMAO que nos terres sont confisquées sans dédommagement, soit plus de 35 ans. Un franc n’est donné à aucun propriétaire terrien, je vous l’affirme. Même nos palmiers, nos champs sont ravagés sur les terres sur lesquelles plus aucune culture ne peut pousser; on est dépassés », poursuit-il.
 
Un autre leader des frondeurs s’est voulu plus conciliant sans pour autant baisser la garde : « Nous ne voulons qu’une chose, c’est qu’on nous dise : à partir d’aujourd’hui voilà nos dédommagements ! Voilà près de quarante ans que nos terres ont été confisquées. Nous ne sommes pas contre mais nous exigeons un partage des bénéfices afin d’adoucir nos rancœurs. Mais c’est suite à leur refus permanent que ce matin nous avons décidé au prix de nos vies de revendiquer nos droits ».
 
Mais au Togo, une chose est de manifester et une autre est de trouver gain de cause à ses revendications. Les frondeurs sont-ils en mesure de trouver satisfaction à leurs revendications quoique légitimes? A cette question, ils répondent : « A ce stade nous sommes prêts à manifester jusqu’à ce qu’ils reconnaissent nos droits et si nous avons tort, les autorités nous le signifieront ».
 
A ceux qui pensent que ce mouvement n’est pas fondé car des écoles seraient construites par la société Wacem, la réponse d’un des manifestants est sans équivoque. « Laissez les questions de construction d’écoles de côté. Si cette société doit réaliser des choses pour la région, ce n’est pas seulement des écoles dont on doit parler. L’extraction du ciment se fait chez nous mais si vous parcourez nos routes, on ne dirait pas que c’est chez nous qu’on extrait le ciment. Parlant des embauches, on ne peut pas comprendre que ce soient les jeunes d’autres préfectures qu’on engage au détriment des nôtres. Même si les nôtres travaillent au sein de la société, ils sont minoritaires alors que la majorité vient d’ailleurs. Nous ne voulons pas êtres sectaires mais reconnaissez qu’étant les propriétaires terriens, nous devrions être majoritaires. Autre chose, un des nôtres (Adotoyo Yao Mawupé), pour avoir écrit et dénoncé les dégâts causés par les dynamites utilisées sur les carrières et qui fissurent nos murs et nos puits, a passé deux mois en prison sans autre forme de procès alors que les constats ont été faits. Le Togo étant ce qu’il est, même quand tu dis la vérité, on ne prend pas tes points de vue en compte».
 
Arrivé sur les lieux, le Préfet de la localité, M. Gado Komlan Toudeka, a regretté le fait que l’avocat des populations de Bado ne soit pas présent à la réunion qu’il a convoquée la veille et qui a regroupé quatre autres parties plaignantes. Selon le Préfet, la société Wacem est prête à dédommager les propriétaires. Il a dit regretter l’absence de l’avocat qui aurait réalisé qu’il serait perdant au bout du compte dans cette affaire. Et après maintes discussions au cours desquelles chaque partie campait sur ses positions, les propriétaires ont fini par joindre au téléphone leur avocat qui leur a demandé de rentrer. Une rencontre serait prévue aujourd’hui entre l’avocat et le Préfet pour des discussions. Des développements ultérieurs sont à attendre de ce dossier car selon un des leaders, Me Galolo a déjà entamé les démarches judiciaires et l’affaire serait pendante devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’Abidjan, et les propriétaires terriens menacent de revenir en plus grand nombre si aucune issue favorable n’est trouvée au dossier.
 
En rappel, d’autres villages comme Kini Kondji, Awouté Kondji, Simedo Kondji Wogblavi Kondji, Sedoufio Kondji, Kpokpo Kondji, Sikpé et Amoussimé sont concernés par les expropriations et menacent aussi de se faire entendre.
 
Godson K.
 
source :liberte-togo.com
 

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