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Le chemin de la démocratie emprunté par le Togo depuis plus de 20 ans, semble être sans fin. La mauvaise volonté politique du ?régime dynastique ” en place, la situation de précarité de la population et l’indifférence de la Communauté Internationale ont fini par indigner les togolais. Déterminés plus que jamais, ces derniers accentuent les pressions sur le gouvernement en multipliant les marches de protestation dans le but de reprendre en main leur destin. Parmi les moyens déployés, le plus orignal est surement celui de la grève du sexe, trouvé par les femmes du Collectif Sauvons le Togo.
 
« Nous appelons toutes les femmes à priver leur partenaire de sexe pour une semaine, à compter de lundi »[1]  
C’est par cette déclaration du 26 août 2012 que Mme Isabelle Améganvi, avocate togolaise et membre du Collectif Sauvons le Togo, a incité les femmes togolaises à la grève du sexe.
 
Cette nouvelle qui a capté l’attention des médias occidentaux par son audace n’est que l’un des moyens mis en place par le CST, « Collectif Sauvons le Togo » né le 4 avril 2012, pour protester contre le régime de Faure Gnassingbé.
 
Manifestations populaires réprimées dans le sang, marches hebdomadaires puis quotidiennes inondant les rues de la capitale, sit-in, arrestations qui s’en suivent, voila ce qui constitue l’actualité socio-politique du Togo ces derniers mois.
 
Récit d’une démocratie bafouée
 
Pour comprendre l’objectif de cette grogne populaire, il faut remonter à une vingtaine d’années plus tôt ; parcourir l’histoire politique de ce pays et la recadrer dans le contexte actuel caractérisé par des revendications des partis de l’opposition et des organisations de la société civile regroupés au sein du CST.
 
Nous sommes en 1990, le Togo tout comme beaucoup de pays africains, s’ouvre à la démocratie : une exigence prônée par la conférence de la Baule (20 juin 1990) qui conditionne dorénavant les aides au développement à la démocratie et à la bonne gouvernance.
 
Un an plus tard le Togo organise une Conférence Nationale Souveraine pendant laquelle les plus hauts représentants politiques, religieux et de la société civile posent les jalons de ce qui va être la Constitution de 1992[2].
 
Cette Constitution adoptée par referendum à plus de 90% des suffrages est le symbole de l’ouverture démocratique de ce qui avait été jusque là un régime dictatorial tenu depuis presque trente ans par le General Eyadema Gnassingbé.
 
Elle garantit le multipartisme, un régime semi-présidentiel, la limitation des mandats présidentiels à un maximum de deux ainsi que le respect des Droits de l’Homme.
 
Les jalons de la démocratie viennent donc d’être posés : le surnom « Suisse de l’Afrique » attribué au Togo semble plus que jamais pertinent.
 
Malgré cet élan d’ouverture, très vite « démocratie » n’est devenu qu’un mot sur la bouche des ténors du RPT[3] qui, loin de la pratiquer, perpétuent des actes de répression. L’opposition et les syndicats réagissent en lançant une grève générale illimitée[4] très suivie par la population. Le pays s’isole, l’économie tourne au ralenti, les denrées se raréfient: au lieu de frapper le régime, qui reste impassible, cette grève, l’une des plus longues de l’histoire, a comme résultat la paralysie de l’économie et le déplacement massif de la population vers les pays voisins.
 
Huit mois après, sous l’égide du Burkina Faso, les négociations entre le régime et l’opposition reprennent. La grève prend fin et le pays se prépare aux nouvelles élections présidentielles.
 
Beaucoup d’observateurs voient les élections de 1993 comme porteuses d’espoir. Toutefois ce régime coutumier des fraudes et des répressions ne va pas manquer à sa réputation.
 
Au lendemain de ces élections irrégulières remportées par le General Eyadema, l’Union Européenne décide de suspendre sa coopération avec le Togo. Le régime se ferme encore plus sur lui-même et s’endurcit. En 1998, aux nouvelles élections présidentielles, l’histoire se répète : le General Eyadema se maintient au pouvoir.
 
Après autant de violences et d’exactions, les togolais voient 2003 comme une date libératoire : le deuxième et dernier mandat d’Eyadema arrivant à son terme, la Constitution ne lui permet pas de se représenter[5].
 
Cependant, le Général se maintient au pouvoir suite à l’amendement de l’article 59 par le Parlement : la Constitution « toilettée[6] » ne prévoit plus de limitation des mandats présidentiels.
 
De père en fils
 
Aucun homme étant éternel, Eyadema disparait le 5 février 2005, un événement qui aurait pu marquer une nouvelle ère politique pour le Togo. Le chef n’était plus là, mais son clan, oui.
 
En dépit de la Constitution qui prévoit la succession du Président de la République, en cas de vacance du pouvoir, par le Président de l’Assemblée Nationale, le fils d’Eyadema, Faure Gnassingbé, lui succède avec l’appui de l’armée.
 
La dynastie Gnassingbé perpétue son pouvoir, rendu ?légitime”[7] par des élections organisées sous la pression de la Communauté Internationale, quelques mois après son installation.
 
Encore une fois, élections au Togo riment avec fraudes, violences et violations des Droits de l’Homme. Selon le rapport de l’ONU[8], suite à ces élections, il y aurait eu plusieurs centaines de morts[9].
 
Toutefois, après une conquête douteuse du pouvoir, pour marquer une certaine différence avec les méthodes propres au régime de son père[10], Faure Gnassingbé calme le jeu en acceptant des négociations avec l’opposition. Ouverture politique qui a valu au Togo la reprise de la coopération avec l’UE en 2007.
 
Le plus important des résultats de ces négociations est marqué par la signature de l’Accord Politique Global (APG) en août 2006[11]. Les points essentiels de cet accord sont :
 
– la formation d’un Gouvernement d’union nationale, ouvert aux partis de l’opposition et aux représentants de la société civile.
 
– la création d’une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) pour veiller au bon déroulement des élections.
 
– la suppression du scrutin uninominal à un tour avec proposition soit d’un scrutin uninominal à 2 tours, soit d’un système de proportionnalité.
 
– la réforme de l’armée et non interférence de cette dernière dans le débat politique
 
– la volonté de mettre fin à l’impunité des actes de violence à caractère politique qui préconise la création d’une Commission ad hoc (actuelle CVJR: Commission Vérité, Justice et Réconciliation).
 
Depuis la prise du pouvoir par le Président Faure Gnassingbé, les bonnes intentions affichées n’ont pas été suivies dans les faits : le scrutin uninominal à un tour est toujours en vigueur, la réforme de l’armée n’a pas été entamée, les crimes à caractère politique restent impunis. Dans d’autres cas, les actions mises en place ont été vidées de leur sens initial : le Gouvernement formé au lendemain de l’APG a très vite perdu son équilibre à la faveur du parti au pouvoir[12], la CENI ne peut pas assumer pleinement son rôle[13], en outre la CVJR a bien été mise en place mais n’a pas pu soulager la soif de vérité du peuple togolais[14].
 

Une société à bout de souffle

 
Après des années d’accords non respectés et de promesses non tenues, la société togolaise est exaspérée.
 
De plus en plus de togolais vivent dans la précarité . Les salaires n’ont pas évolué depuis des années ce qui affaiblit le pouvoir d’achat des togolais devant l’augmentation du prix des denrées alimentaires. Autre fléau qui mine la société : le chômage. Sans chiffres officiels, il est difficile d’estimer le nombre réel de chômeurs au Togo. Il suffirait pourtant d’un regard sur la jeunesse, aussi bien de la capitale que des autres villes du pays, pour en faire l’amer constat. Beaucoup de jeunes, pour échapper au chômage, sont obligés de se reconvertir , dans les meilleurs des cas, en conducteurs de taxi moto ou en vendeurs ambulants.
 
Ces milliers de jeunes, malgré leurs diplômes, ne mettront peut être jamais leurs compétences au service de leur pays.
 
La situation des infrastructures au Togo représente sans doute un autre frein au développement du pays. Même si certaines artères et rues de la capitale font peau neuve, les soucis des togolais se situent ailleurs. Le premier de ces soucis étant la santé. Le système d’assurance maladie n’existant pas au Togo, les patients doivent eux-mêmes assurer tous les frais de santé. Autre handicap: les hôpitaux souffrent d’un manque criard d’équipements et de personnel. Triste réalité, les togolais surnomment le Centre Hospitalier Universitaire de Lomé, « le mouroir ». Passer de vie à trépas pour une opération bénigne n’étonne plus grand monde au Togo.
 
La voie de la désobéissance civile
 
Face à cette situation, le Collectif Sauvons le Togo a adopté la voie de la désobéissance civile[15], dont la grève du sexe n’est qu’un moyen original pour inciter les hommes togolais s’engager davantage dans la vie politique et par conséquent, faire avancer les revendications du Collectif.
 
Mais quelles sont ces revendications ?
 
Tout d’abord, le respect des engagements pris au fil des années par le parti au pouvoir :.
 
Si le leitmotiv du CST est le retour à la Constitution de 1992, afin d’empêcher le Président Faure Gnassingbé de rester éternellement au pouvoir, beaucoup d’autres revendications motivent ce sursaut populaire.
 
Bonne gouvernance  
Au moment où la population togolaise tire le diable par la queue, on remarque le train de vie insolant de certains fonctionnaires proches du régime, qui vivent largement au dessus de leurs moyens. Les ressources générées par le Port Autonome de Lomé, seul port en eaux profondes de l’Afrique de l’Ouest, et les recettes douanières s’évaporent rapidement sans participer au développement du pays, ne profitant qu’à une minorité.
 
Alternance
politique  
Arriver à combler le déficit démocratique chronique du pays et promouvoir une véritable alternance politique jusque là étouffée.
 
Respect des Droits de l’Homme
 
Mettre fin aux violations des droits de l’Homme, en totale impunité, par le régime en place, qui se singularise par des assassinats politiques, la torture de citoyens mis aux arrêts sans le respect des procédures judiciaires[16], l’instrumentalisation de la justice à des fins répressives, partisanes et personnelles de conservation du pouvoir politique.
 
Pour l’opposition, longtemps minée par des luttes internes et désormais réunie au sein du CST, c’est le moment ou jamais de jouer son va-tout en accentuant les pressions sur le gouvernement. Dans cette perspective, les marches, sit-in et manifestations sont les moyens d’attirer les regards sur la réalité togolaise.  
Ce collectif a réussi son pari médiatique en usant d’une méthode un peu originale telle que la grève du sexe. Pour une fois, l’une des rares fois, certains grands médias se sont penchés sur la situation socio-politique du Togo. En outre, le report des élections législatives initialement prévues pour la fin de cette année, est sans doute un fruit de la désobéissance civile.
 
A la croisée des chemins, le Togo, petit pays d’Afrique ébloui par les avancées démocratiques de ses voisins, le Ghana et le Bénin, se sent injustement oublié et finalement abandonné à son propre sort. Malgré la situation sociale et politique, caractérisée par une effervescence permanente, l’actualité togolaise ne fait pas la une des médias internationaux. Elle est souvent obstruée par les différentes crises de la sous-région. Il aura fallu évoquer le sexe pour que ces médias s’intéressent au Togo, sans toutefois que cela favorise l’intégration du dossier togolais dans l’agenda international.
 
Fragilisé par 8 mois de grève générale, 15 ans de suspension de la coopération avec l’Union Européenne, et 45ans de pouvoir dynastique, le Togo a accusé un énorme retard dans son développement. Les togolais conscients de cela manifestent sans trêve leur exaspération en espérant secouer les hommes au pouvoir. Mais quelle est la portée de ces manifestations observées de près par l’armée qui, à tout moment, peut imposer le silence ? Et le pouvoir est-il prêt à écouter le peuple et s’engager véritablement sur la voie de la démocratie et du développement en brisant le statu quo politique ?
 
Fran & Ezoa
 
mediapart.fr
 

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