HOMMAGE À TOUS LES COMBATTANTS QUI AURONT ŒUVRÉ POUR L’AVÈNEMENT DE LA MÉMORABLE JOURNÉE DU 27 AVRIL 1960
AU TOGO

 
« L’indépendance du Togo est un modèle de prise en main de son destin par un peuple »
Nicoué Lodjou Gayibor
 

 


À l’heure précise où le Peuple togolais, tel un beau diable, se débat pour se libérer des griffes de la sordide et surannée oligarchie clanique gnassingbéenne, et à l’occasion de la commémoration de notre Fête nationale, il convient que nous nous souvenions, avec ferveur, des Pères et Mères de notre souveraineté internationale ; il sied que nous leur rendions, à eux tous, encore une fois, un vibrant hommage.
 
Et, pour ce faire, il m’apparaît que la meilleure manière est tout simplement de rappeler, en vol d’oiseau, les linéaments majeurs de cette historique et inoubliable journée du 27 Avril 1960. Á cet effet, partons du 27 Avril 1958.
 
Oui ! Ce jour-là, sous les auspices des Nations-Unies, comme un seul homme, le Peuple togolais administra, à la face du monde entier, la magistrale preuve qu’il n’est pas un peuple adepte de la « servitude volontaire », qu’il n’est pas un peuple de masochistes … En effet, ce jour-là, le Peuple togolais, par le truchement d’élections législatives/référendum, conquit, de haute lutte, son droit inaliénable à l’indépendance, à son Ablodé vers lequel son cœur avait tant soupiré …
 
Mais les dirigeants de cette lutte jugèrent nécessaire de se donner deux ans de façon à pouvoir imprimer à la proclamation de cette indépendance tout l’éclat, toute la solennité qu’elle méritait.
 
C’est pourquoi, entre autres choses, le gouvernement Olympio décida l’édification d’un hôtel capable d’héberger les invités de marque. Ce sera l’«Hôtel Le Bénin» de cent chambres, bien connu à Lomé. (Hôtel qui, par un jeu de mots, le peuple appelait « Lébénê », ce qui veut dire, en éwé-mina, « Prends soin de lui » …). La date choisie pour la proclamation de l’indépendance est le 27 avril 1960 : le 2e anniversaire de la mémorable victoire populaire de l’inoubliable 27 avril 1958. La célébration est en effet préparée avec le plus grand soin sur toute l’étendue du territoire.
 
Les paroles de l’hymne national : « Terre de nos Aïeux », émanent de l’évêque Robert Anyron Dosseh, tandis que la mélodie de ce chant sacré est l’œuvre de mon ami personnel le professeur Alex Casimir Anyron Dosseh. Le drapeau togolais est conçu par l’artiste Paul Ahyi, en collaboration avec Jean Johnson, tous deux fils du pays … Ce drapeau se compose de cinq bandes alternées : trois vertes, deux jaunes, avec, dans l’angle supérieur gauche, un carré rouge portant une étoile blanche à cinq branches, ces dernières représentant chacune l’une des cinq régions géo-naturelles du pays. Le vert, le jaune-or, le rouge et le blanc symbolisent sans doute respectivement :
(i) l’agriculture (base de l’économie du pays) et l’espérance ;
(ii) la richesse et la prospérité que le travail doit apporter au peuple ;
(iii) le sang des martyrs de la quête de l’Ablodé ;
(iv) enfin la paix et la concorde auxquelles aspiraient et aspirent encore les Togolais.
 
En somme, les deux principaux emblèmes de la patrie sont nés des entrailles authentiques de notre peuple …
 
Le monument de la défunte République Autonome du Togo devint le Monument aux morts. Quant au Monument de la République Togolaise, il est réalisé par l’architecte français Georges Coustère assisté par Paul Ahyi. Cet édifice, « par un merveilleux raffinement pour des spectateurs non tropicalisés, ne peut être vraiment apprécié grâce aux jeux d’ombres que pendant la nuit en des conditions d’ombre et de fraîcheur admirables »
 

(Robert Cornevin). Ledit monument porte l’inscription suivante :
« EN HOMMAGE AU PEUPLE TOGOLAIS
Peuple togolais,
Par ta foi, ton courage et tes sacrifices,
La Nation togolaise est née. »

 
La devise de la nouvelle République Togolaise s’énonce : « TRAVAIL-LIBERTÉ-PARTRIE ». Les armoiries portent notre devise, notre drapeau et deux lions gardiens du Temple de notre Dignité …
 
Parmi les invités d’honneur intitu personae, se trouvaient l’Inspecteur français d’enseignement Robert Imbert, auteur du fameux manuel de lecture Mon ami Kofi, ainsi que le dernier Gouverneur allemand au Togo : Adolf Friedrich Herzog von Mecklenburg.
 
Deux jours avant la proclamation de la souveraineté internationale, le 25 avril 1960, à 11 heures, un deuil cruel frappe les patriotes togolais. Leur vieux, grand, respecté et écouté mentor : Augustino Ezéchiel de Souza (1877-1960) rend l’âme. Mais, comme le veut la coutume de chez nous, l’annonce de ce décès inopiné est différée en vue de ne pas assombrir les réjouissances du 27 avril 1960 qui aura été l’alpha et l’oméga des vingt dernières années du vieux lutteur Augustino Ezéchiel de Souza dit Gazozo.
 
Oui, le 27 avril 1960, notre petit Togo devenait un État souverain sur l’échiquier international … Des télégrammes de félicitations fusent de toutes parts et affluent dans notre capitale. En voici deux échantillons cités pour le caractère singulièrement pertinent de leurs contenus respectifs.
 
(i) Le Pape Jean XXIII aux Togolais :
« Que chacun d’entre vous songe à collaborer de toutes ses forces à la prospérité de la Patrie en chassant les illusions dont la plus grave serait de croire que l’indépendance politique résout toutes les difficultés. »
 
(ii) Le président libérien William V.S. Tubman au Togo :
« Mes vœux de bonne santé et de nombreux succès pour vous-même, de paix, de prospérité et de solidarité pour le gouvernement togolais et son peuple. » « Le Libéria prévoit également un programme spécial à l’occasion de l’indépendance du Togo : Votre drapeau national flottera sur Cape Mesurado, et à 6 heures précises du matin un coup de canon retentira du fort Norris pour annoncer l’aube et la naissance d’un nouvel État africain ; à 8 heures du même matin, un autre coup de canon sera donné à fort Norris pour hisser le drapeau et à midi, 21 coups de canon retentiront pour adresser un salut à votre pays et lui souhaiter la bienvenue dans la communauté des Nations. Á 18 heures, un autre coup de canon sera donné pour ramener le drapeau. »
 
Lisons encore Robert Cornevin qui, disons-le, n’aura pourtant guère accompagné de gaieté de cœur l’accession du Togo à la souveraineté internationale :
« Les fêtes de l’indépendance constituent la grande affaire de l’année 1960. Un hôtel de cent chambres, l’hôtel Le Benin, est édifié en un temps record. (…). Un Comité des fêtes de l’indépendance, animé par l’administrateur Maniglier, prépare minutieusement les détails de cette opération de prestige. Pendant plus de six mois, le Togo prépare le 27 avril. Et ce jour tant attendu, en présence de M. Louis Jacquinot représentant le gouvernement français, l’indépendance du Togo est proclamée.
Le grand discours que Sylvanus Olympio prononce à l’Assemblée nationale devant l’ensemble des invités est un chef-d’œuvre d’habileté qui constitue le grand moment des festivités avec la démonstration des petits chanteurs à la croix de bois. Il rend hommage simultanément à l’Allemagne et à la France, aux Nations unies, exprime des vues sages, modérées et pertinentes sur l’unité africaine et la nécessaire construction nationale …
 
Ce jour, le 27 avril 1960, à minuit pile, aux cris de Ablodé ! Ablodé ! l’Indépendance fut proclamée tandis que 101 coups de canon étaient tirés de l’aviso « Paul Goffruy » mouillant au large de Lomé. Aux « Petits chanteurs à la Croix de Bois » revient l’honneur de chanter l’hymne national Terre de nos Aïeux en ce moment historique, pathétique. La foule loméenne en liesse, massée dans les jardins du Palais du gouvernement, assiste à ces cérémonies au cours desquelles, pour la première fois, le drapeau togolais est hissé. Moment d’intense émotion pour tous : Togolais, autorités françaises dont Louis Jacquinot, représentant de la France à l’installation de la première République togolaise, délégués des pays invités. »
« Sentinelle, que dis-tu de la nuit ?
La nuit est longue mais le jour vient, répond
La sentinelle »
 
C’est par ces mots du Prophète Isaïe que Sylvanus Epiphanio Kwami Olympio entama son merveilleux discours circonstanciel.
 
À ce sujet, Robert Cornevin écrit :
« (…)
À cette occasion, M. Sylvanus Olympio devait faire à la chambre des députés un discours d’une très haute tenue qui pourrait s’intituler « Bilan, possibilités et perspectives de la Nation togolaise ». Je ne puis mieux faire que d’en livrer quelques extraits :
« Notre cher Togo, notre terre bien aimée devient aujourd’hui, au moment même où je parle, un pays libre, le peuple togolais devient une nation indépendante, souveraine, appelée à participer à la vie internationale, de concert avec les autres nations, sur un pied de complète égalité.
Le peuple togolais exulte. Une émotion intense nous étreint, et les mots sont impuissants à traduire notre bonheur en ce jour unique de notre histoire.
 
Ce jour unique, nous n’avons cessé d’y penser, depuis des années. Des années durant, nous l’avons préparé, nous l’avons voulu de toute notre volonté, de toutes nos forces. Aucun sacrifice ne nous a paru trop grand pour y parvenir. Nous l’avons attendu avec impatience, dans la fièvre de l’espoir. Et voilà que le rêve devient réalité, notre Togo va jouir de son indépendance.
 
Qu’il me soit permis de souligner que nous avons gagné la joie de vivre ce jour par un effort constant, soutenu pendant quinze ans, malgré de nombreuses difficultés qu’il nous a fallu surmonter les unes après les autres. Si notre pays – Dieu en soit loué – n’a pas traversé l’épreuve de luttes sanglantes, comme il en fut malheureusement pour d’autres nations, il nous a fallu cependant affirmer nos droits, convaincre de la justesse de notre cause, démontrer aussi notre capacité à gérer nos affaires. Ma pensée va vers tous ceux qui ont collaboré à cette œuvre, de près ou de loin, directement ou indirectement, vers tout le peuple togolais, uni dans sa détermination à vivre libre.
 
Quelque discutables qu’aient été les frontières qui nous furent ainsi attribuées, un sentiment d’unité nationale a pris corps, s’est développé, s’est affermi, s’est imposé. Depuis 1945 et tout spécialement grâce à l’Organisation des Nations Unies, une très vive aspiration à l’indépendance s’est fait jour dans les territoires coloniaux qui, comme le Togo, avaient pris conscience de leur existence en tant que nation. Nous avons l’honneur d’avoir été parmi les premiers à l’affirmer hautement et à demander une modification fondamentale de notre régime politique. Peu à peu nos idées se sont répandues, se sont précisées, et, si d’autres pays ont atteint avant nous le but que nous touchons aujourd’hui, j’ai la conviction que c’est un peu grâce au Togo.
 
En ce jour, comme d’ailleurs en aucun moment du passé, il n’y a place dans notre cœur pour aucune haine, aucun ressentiment. Au contraire – et je tiens à le déclarer tout haut – nous n’éprouvons que de la reconnaissance envers les puissances qui ont administré nos affaires.
Reconnaissance envers l’Allemagne qui a été historiquement la première à apporter chez nous la vie moderne (…).
 
Reconnaissance à la France qui n’a pas failli à ses traditions de libéralisme et de générosité pendant les quarante années de son administration au Togo. (…)
Je me dois aussi de dire toute la reconnaissance que nous avons pour l’Organisation des Nations Unies, pour les hommes qui ont eu l’idée de cette institution et pour les pays membres. L’ONU a été l’espoir qui nous a soutenus durant ces dernières années ; d’elle nous avons puisé tous les encouragements en la justesse de notre cause avec l’assurance de ne pas être laissés sans soutien et sans recours lorsque le régime de tutelle prendrait fin, et ceci sans rien aliéner de notre souveraineté.
(…)
 
Je ne retarderai pas davantage le moment d’adresser publiquement nos remerciements émus à toutes les nations qui, en ce jour, ont tenu à se faire représenter par d’éminentes personnalités à la naissance de leur jeune sœur, la Nation Togolaise, affirmant ainsi l’esprit de solidarité internationale qui les anime ; qu’elles soient assurées que notre amitié leur est acquise.
(…)
 
« Pour vous tous enfin, mes chers compatriotes aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur, ce jour est avant tout un commencement, un départ. Certes, ce qui nous tenait à cœur, et qui était notre premier objectif, l’Indépendance, est maintenant un fait accompli, une réalité tangible. Mais il nous appartient désormais, et à nous seuls, d’assumer la responsabilité de notre développement économique et social, d’imposer le respect de nos opinions et de nos droits, d’affirmer notre existence dans l’honneur et la dignité. Tout cela se fera, mais ne se fera qu’avec le concours de vous tous Togolaises et Togolais, résolument unis, résolument décidés à travailler tous ensemble à l’œuvre commune. Nous ne disposons pas actuellement de ces énormes capitaux indispensables à tout progrès matériel, mais nous disposons de nos bras et de nos têtes qui peuvent souvent en tenir lieu. Mettez-vous à l’œuvre, que la tâche qui incombe à chacun de nous soit toujours accomplie de la manière la plus parfaite et le reste nous sera donné de surcroît.
 
Pour nous, Togolaises et Togolais, nos actes quant à notre pays, doivent être accomplis dans le respect que nous devons à ceux qui, ayant vécu avant nous, sont à l’origine de notre peuple, dans l’intérêt que nous devons porter à ceux qui, demain, nous succéderont. Nous devons tout mettre en œuvre pour que le Togo de nos fils et de nos filles soit plus beau, plus grand, plus uni que le nôtre. Les vieilles querelles tribales, les vieilles animosités de famille doivent définitivement disparaître. De l’océan aux frontières du nord, de l’Akposso au Mono, le Togo doit être un, libre et fier.
Togolaises, Togolais, faisons tous aujourd’hui dans notre cœur le serment indéfectible de respecter la devise de notre État : ‘’Travail-Liberté-Patrie’’, que ces mots soient à jamais vivants dans notre esprit, que Dieu nous donne la volonté d’aimer notre Togo et d’en faire un pays heureux.
Ainsi, nous assumerons la grandeur de notre Patrie, de la ‘’Terre de nos Aïeux’’ que chante notre hymne national et que symbolise le drapeau qui, choisi par nous, flotte depuis ce matin sur tout le Togo.
 
Vive le Togo indépendant ! »
 
La proclamation de l’indépendance est marquée par diverses cérémonies : retraite aux flambeaux la veille au soir, grand défilé le 27 avril même dans la capitale, tam-tam et danses traditionnelles dans les différents quartiers, mouvements d’ensemble exécutés par des écoliers dans la matinée au Stade Municipal de Lomé, imposante marche de la jeune Union des Femmes du Togo (UFEMTO) animée par des personnalités comme Mme Marguerite Trénou. Des femmes toutes de blanc vêtues.
De nombreuses festivités ont lieu également dans le Togo profond …
 
Voilà, en grandes lignes, comment fut solennellement proclamée l’indépendance de notre pays le 27 Avril 1960 : il y a, jour pour jour, cinquante-deux ans !
 
Gloire éternelle à tous les vaillants filles et fils qui, par un combat herculéen, auront conduit la Terre de nos Aïeux à sa souveraineté internationale !
Quant à nous, leurs successeurs, faisons le serment sacré que, par notre foi, notre courage et nos sacrifices, la Démocratie vaincra au Togo !
 
ABLODÉ ! ABLODÉ ! ABLODÉ NOGO!
 
Fait à Lomé, le 26 Avril 2012
Godwin Tété
 




 

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