« Faure Gnassingbé a dû manœuvrer pour ne pas être éclaboussé par l’affaire de torture » ; l’information provient de l’article de Christophe Boisbouvier publié par Jeune Afrique le 21 Mars 2012 sous le titre : « Togo : comment Faure Gnassingbé veut limiter la casse ». Pour sauver son image de jeune président moderne, ouvert au dialogue et aux antipodes de son dictateur de père, Faure Gnassingbé est en effet toujours à la manœuvre, usant malheureusement de moyens de plus en plus désastreux qui le noient chaque jour davantage, au lieu de le sortir du bourbier du « Kpatchagate ».
 
Le dernier acte en cours de préparation au Togo a manifestement pour but de bâillonner définitivement ceux parmi les membres du corps de justice qui auraient encore des velléités d’exercer leur métier, en âme et conscience. Par lettre adressée individuellement par le Garde des Sceaux ministre de la Justice Maître Tchitchao Tchalim à chacun des membres des corps de justice, hauts cadres et agents des différents personnels administratifs, hauts magistrats et magistrats de tous ordres juridictionnels, greffiers en chef et greffiers, officiers et agents de police judiciaire, surveillants des établissements pénitentiaires, bâtonniers, membres du conseil de l’ordre des avocats et avocats, présidents et membres de la chambre nationale des notaires et les notaires… huissiers, commissaires priseurs et experts judiciaires sont convoqués pour un évènement exceptionnel dans la justice togolaise les 28, 29 et 30 mars 2012. Du programme détaillé de manière pompeuse dans cette lettre d’invitation injonction, rien d’exceptionnel sous le soleil pour les citoyens togolais qui ont connu depuis l’avènement de l’«esprit nouveau», le folklore des journées réconciliation armée-nation et celui de la grande commission vérité justice et réconciliation et autres cadres permanents de dialogue de tout genre.
 
Une partie du programme de ces trois journées «portes et volets ouverts » sonne toutefois le tocsin de l’indépendance de la justice telle que garantie par l’article 113 de la Constitution. Il était en effet prévu que tous les membres des corps de justice renouvellent, chacun à tour de rôle, leur serment devant le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale. Une fois l’incongruité du projet expliquée au ministre, pourtant avocat de son état, le nouveau serment, s’est mué en une injonction de participer sous peine de radiation libellée comme suit dans les œuvres épistolaires du Garde des Sceaux: « je vous invite et vous engage à prendre toutes les dispositions pour vous rendre disponibles, afin de participer effectivement et personnellement à cette cérémonie où, seule votre présence confirmera le renouvellement de la poursuite de votre appartenance à votre corps ». En d’autres termes, vous participez à cette apothéose dont la finalité est de faire allégeance à l’exécutif et au législatif et en réalité aux dignitaires de l’armée qui tirent les ficelles en coulisse, vous êtes radiés du corps auquel vous appartenez.
 
Après avoir expérimenté, avec un succès apparent pour le moment, la radiation de députés élus par le peuple, l’homme nouveau, encadré par les tortionnaires attitrés et les faussaires-falsificateurs de rapport, veut s’essayer à la radiation des magistrats, avocats ou notaires qui oseraient encore faire entendre une voix dissonante.
 
Un tel projet risque toutefois de précipiter un peu plus le régime de Faure Gnassingbé vers sa chute.
 
La révélation des pratiques de la torture à l’Agence Nationale de renseignement (ANR) a en effet fait terriblement désordre, au moment même où le Togo siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Elle fait d’autant plus désordre que l’une des hautes juridictions du pays a condamné des justiciables à de lourdes peines, sur la base d’aveux extorqués sous la torture, alors que la Cour Suprême du Togo avait parfaitement connaissance des allégations de torture. Le moindre soupçon de torture aurait dû, dans un Etat de droit, entraîner la nullité de l’ensemble de la procédure engagée contre Kpatcha Gnassingbé et co-accusés, pour vice de forme.
 
Comme la Cour Constitutionnelle du TOGO dans l’affaire des neuf (9) élus exclus de l’Assemblée Nationale, la Cour Suprême du Togo se réfugiera, derrière le fait que ses décisions sont sans recours. Les hauts magistrats du Togo continueront de faire semblant d’ignorer que la pratique de la torture sur est devenue la marque de fabrique de l’Agence Nationale de Renseignement(ANR), qui se substitue, de manière quasiment routinière à la police judiciaire pour obtenir rapidement des aveux dans toute sorte de dossiers judiciaires, même de droit commun. La crédibilité des plus hautes juridictions du Togo en prend un sale coup, aussi bien en termes de compétences qu’en termes de capacité à résister aux injonctions éventuelles de l’exécutif.
 
L’affaire du faux rapport de la Commission Nationale des droits de l’Homme rajoute une couche, en termes d’éclaboussures.
 
Elle révèle au grand jour, toute la pratique du faux, au plus haut sommet de l’Etat. Et l’on comprend alors aisément les raisons pour lesquelles :
 
– Le VSAT qui devait assurer la transmission automatique, rapide et fiable des résultats des CELI lors de l’élection présidentielle de mars 2010 a été mis en panne « diplomatique»;
 
– Les procès-verbaux en possession des représentants du candidat Jean-Pierre Fabre ont été confisqués et rapidement détruits;
 
– Tous les résultats des élections qui se succèdent au Togo depuis le début de l’ère démocratique sont rapidement détruits par les institutions impliquées dans la centralisation des résultats, empêchant ainsi, comme cela a pu être le cas, les deux rapports de la CNDH , la comparaison des vrais procès-verbaux issus des bureaux de votes et des CELI avec les faux qui sont fabriqués de toute pièce en un seul et même lieu au nord de Lomé.
 
Mise en cause dans les témoignages recueillis par le rapport de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), l’ANR est placée sous l’autorité directe, du « garant du respect de la Constitution et des traités et accords internationaux » qu’est le chef de l’Etat (article 58 de la Constitution togolaise). Cette Constitution dispose en son Article 21 que « La personne humaine est sacrée et inviolable. Nul ne peut être soumis à la torture ou à d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
 
En ce qui concerne les sanctions prévues contre de telles exactions, le même article 21 précise plus loin que « Nul ne peut se soustraire à la peine encourue du fait de ces violations en invoquant l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique. Tout individu, tout agent de l’Etat coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi. »
 
Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave manifeste au respect des Droits de l’Homme et des libertés publiques.
 
Les langues pourraient donc être amenées à se délier, soit de peur des sanctions imprescriptibles prévues par la loi, soit simplement parce que certains membres des professions judiciaires sont de plus en plus tentés de dire NON lorsqu’il leur est demandé de commettre des actes qui heurtent leur conscience. C’est ce qu’a fait le magistrat Koffi Kounté, Président de la CNDH. Selon l’Article 157 de la constitution, aucun membre du gouvernement ou du parlement, aucune autre personne ne s’immisce dans l’exercice des fonctions de cette institution.
 
Messieurs les membres des corps de justice convoqués le 30 mars 2012 à renouveler votre serment devant les faussaires de la République, saurez-vous leur dire NON ? Saurez-vous leur dire que vous n’êtes soumis, dans l’exercice de vos fonctions, qu’à l’autorité de la loi et que le pouvoir judiciaire indépendant selon l’article 13 de la constitution du Pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif, ne saurait prêter serment de fidélité à ces derniers mais agir sans relâche en garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ?
 
« Distingués membres des corps de justice, le pays vous regarde ». Ce pays qui a adopté par référendum la constitution de la quatrième République à 97% en 1992, avec un taux de participation de 85% jamais égalé dans une consultation électorale au Togo depuis lors.
 
Venavino D’Alves
 
liberte-togo.com
 

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