Rapport CNDH / De la responsabilité des traitements cruels, inhumains et dégradants

Massina Yotroféï, Pali Yao, Kuloh Kodjo, Kadanga N’Guwaki, Addi Kpatcha, Atcha Titikpina…Voilà les noms qui sont les plus cités ces derniers temps, et ils le seront encore pour longtemps. Ils sont sur toutes les lèvres. Et pour cause, ce sont les têtes de liste dans l’affaire de tortures au Togo. Ils ont été cités dans le rapport – l’authentique – de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh), que le Gouvernement a dû accepter au forceps. En l’état actuel des choses, ils ne peuvent plus se dérober à la Justice. Les portes de la Cour pénale internationale (Cpi) leur sont grandement ouvertes. Mais quid de Faure Gnassingbé, sous l’autorité directe duquel est placée l’Agence nationale de renseignement (Anr), là où ont été exercés la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants sur les détenus du dossier Kpatcha Gnassingbé ?
Le rapport a été « bien accueilli quand même de la part du président de la République lui-même, mais c’est beaucoup plus l’entourage du Chef de l’Etat qui y était hostile. L’entourage voulait que nous publiions un contre-rapport pour prendre littéralement le contre-pied de ce que nous avons pu constater », déclarait le mardi 21 février, depuis Paris où il s’est réfugié Koffi Kounté, au lendemain de la publication du vrai rapport concluant à l’existence de torture. Si ce n’est pas juste une impression simulée et si cette acceptation est sincère, cela suppose que Faure Gnassingbé n’a absolument rien à se reprocher dans cette affaire de tortures. Et pourtant il n’est pas aussi blanc comme neige, surtout quand il s’agit des tortures exercées à l’Anr. Il est visiblement la caution n°1 à ces actes dans ce coin.
Des cas de tortures étaient déjà rapportés par la presse et les défenseurs des droits de l’Homme. C’est le dossier Bertin Agba qui aura le plus mis à jour ces pratiques. L’image de lui, menotté sur son lit d’hôpital avait fait le tour du monde et remis à jour la problématique des pratiques indécentes exercées sur les détenus de l’Anr. L’opinion en saura plus sur le supplice de l’eau glacée, du bruit du groupe électrogène allumé à côté duquel les détenus sont obligés de passer des nuits, du soleil qu’ils sont forcés de regarder sans sourciller ou baisser la tête, de la station debout durant toute une semaine. Certains étaient contraints de se coucher tout nus à même le plancher, de rester sous la pluie durant de bons moments…Mais contre toute attente, c’est au moment même où les voix s’élevaient pour dénoncer ces pratiques que Faure Gnassingbé décora, à l’occasion de la célébration en 2011 du 27 avril 1960, le Directeur général de l’Anr, le Colonel Yotroféï Massina en lui décernant le titre honorifique de « Grand-croix du mérite ». C’était impensable. Faure Gnassingbé le décorait-il pour avoir torturé des citoyens ? Il va de soi qu’il se voit adoubé et continue sur cette lancée.
Depuis lors, l’Anr sortait dangereusement de sa sphère de compétence. Selon l’Art 2 de son décret de création, elle a juste pour mission de « coordonner les opérations de recherche opérationnelle et de recherche de renseignements en vue de mettre à la disposition du chef de l’Etat les informations nécessaires à l’exercice de ses attributions constitutionnelles en matière de défense et de sécurité ». Elle est notamment chargée, selon l’article 3, de « rechercher et exploiter les renseignements intéressant la sécurité nationale, rechercher et analyser les activités d’espionnage dirigées contre des intérêts togolais, assurer les liaisons nécessaires avec les services et organismes de sécurité, exécuter, à la demande du gouvernement, des missions spécifiques relatives à la sécurité intérieure et extérieure ». Mais elle s’illustre beaucoup par les tortures, tant dans le dossier Kpatcha Gnassingbé que dans le cas Agba Bertin, Eugène Attigan et les saisies de fonds sur des commerçants et autres Libanais.
La banalisation de la torture a interpellé la conscience des Organisations de défense des droits de l’Homme. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat-Togo), l’Association togolaise des droits de l’Homme (Atdh), l’Association togolaise pour la défense et la promotion des droits de l’Homme (Atdpdh), le Collectif des associations contre l’impunité au Togo (Cacit), la Coalition togolaise des défenseurs des droits de l’Homme (Ctddh), Amnesty International-Togo (AI-Togo), La Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh), Journalistes pour les droits de l’Homme (Jdho), et Nouveaux droits de l’Homme (Ndh-Togo), ont saisi en mai 2011 Faure Gnassingbé par courrier, pour lui « exprimer leurs vives préoccupations concernant le fonctionnement et les pratiques ayant cours au sein de l’Agence nationale de renseignement (Anr) ». Elles avaient exigé « la clarification du statut, du rôle, des prérogatives et du fonctionnement de l’Agence nationale de renseignement ; l’autorisation aux ODDH soussignées à visiter périodiquement et de manière inopinée les locaux de l’Agence Nationale de Renseignement afin de rassurer l’opinion nationale et internationale sur la nature des activités effectuées dans cette Agence ; la cessation immédiate de tous les actes de torture, exactions et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants commis sur des personnes incarcérées dans la dite Agence ; le transfert immédiat et sans délai de tous les détenus qui sont encore dans les locaux de l’Agence Nationale de Renseignement, que ce soit dans l’affaire Kpatcha GNASSINGBE ou dans d’autres affaires dans les centres de détentions habilités à les accueillir » et menacé qu’ « en cas de refus de votre part de satisfaire à ces doléances, les ODDH soussignées se verront dans l’obligation d’interpeller l’opinion nationale et internationale, notamment le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, le Procureur Général près la Cour Pénale Internationale (CPI) pour l’ouverture d’une enquête sur les cas de torture et toutes les autres formes de traitements cruels, inhumains et dégradants qui se commettent au sein de l’Agence Nationale de Renseignement ». Mais Faure Gnassingbé a multiplié ce courrier par zéro. Non seulement les détenus n’ont pas été transférés comme exigé, mais en plus les tortures ont continué. Comment en serait-il autrement, si le Colonel Yotroféï Massina a été décoré ?
SOS Journaliste en Danger avait également saisi le « Leader nouveau » pour lui faire part des menaces venant de l’Anr qui pesaient sur la vie de certains journalistes jugés critiques à l’endroit du pouvoir. Mais sans suite.
Comme pour ne rien arranger et conforter le Colonel Yotroféï Massina dans son boulot, c’est le ministre de la Sécurité Dokissime Gnama Latta qui déclara, dans le cadre de la marche de SOS Journaliste en Danger sur justement ces menaces, que « l’Anr s’acquitte scrupuleusement de sa mission dans le cadre de ses attributions».
« A la lumière des faits ci-dessus, la Commission constate qu’il a été commis sur les détenus des actes de violences physique et morale à caractère inhumain et dégradant », a conclu le rapport de la Cndh, et de nuancer : « La Commission n’a pas pu toutefois établir que ces actes ont été commis sur instruction des Autorités de tutelle desquelles relèvent les structures où ces personnes ont été détenues ». Soit ! Mais voilà, les faits reprochés à Massina Yotroféï et les siens ne datent pas d’aujourd’hui. Le bon sens voudrait que les responsables de l’Anr soient interpellés, et c’est ce que les Oddh ont fait, en saisissant Faure Gnassingbé, en réalité l’autorité suprême de cette agence. « Il est créé et placé sous l’autorité directe du Président de la République, une agence nationale de renseignement, ci-après dénommée « l’Agence » », indique l’article 1er de son décret de création daté du 26 janvier 2006. L’agence est dotée, outre les fonds spéciaux et les crédits divers, d’un budget, dissimulé sans doute dans le budget général de la présidence de la République qui est de 12 milliards FCFA cette année, leur gestion soumise à un contrôle dont les modalités sont fixées par lui (Cf Art. 9, al. 2) et les indemnités du personnel déterminées sur son instruction (Art. 13). Au-delà du courrier sus évoqué, les Oddh ont multiplié les plateformes revendicatives, les appels à son endroit ; mais ils sont tous restés lettres mortes. Que peut-on voir en cette passivité, si ce n’est une caution ouverte à ces pratiques ?
Aujourd’hui le rapport est rendu public et conclut à l’existence de la torture ; mais le chemin pour y arriver n’a pas été facile. Les ennemis de la vérité ont tenté de le travestir, ce qui a donné lieu à la première publication. Pour y arriver, ils ont convoqué le président de la Cndh et lui ont mis une arme sur la tempe afin de l’obliger à signer le faux. Ils sont bien identifiés et ont pour noms Yotroféï Massina, Atcha Titikpina, Charles Debbasch, Tchitchao Tchalim et Ingrid Awade. Et tout cela se passait à la…présidence de la République ! Faure Gnassingbé n’était pas au pays ; il était requis de toute urgence (sic) pour présider le Conseil de sécurité des Nations Unies, et on peut supposer que tout cela a été fait dans son dos. De retour, l’opinion s’attendait logiquement à le voir taper du poing sur la table. Mais depuis bientôt une semaine qu’il est rentré au pays, rien ne se passe. Les tortionnaires et les faussaires se la coulent toujours douce. Seront-ils un jour inquiétés ?
Koffi Kounté a peut-être flairé la réponse, dans son intervention le 21 février dernier sur RFI : « A l’allure où vont les choses, il ne leur arrivera absolument rien ». Mais il faut l’avouer, Faure s’illustre comme la toute première caution morale des tortionnaires. « Si on est gardien de la constitution, on ne peut pas avoir sous ses ordres un service qui pratique la torture », disait en mai 2011 le Sénégalais Alioun Tine, le président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho) au cours d’une conférence de presse des Oddh à Lomé.
Il faut le dire, Faure Gnassingbé n’est pas moins coupable des tortures et autres traitements cruels, inhumains et dégradants que Massina Yotroféï, Atcha Titikpina, Kadanga N’Guwaki, Kuloh Kodzo, Pali Yao et compagnie. Jean-Pierre Bemba et Hisseine Habre n’étaient pas les exécutants des crimes qui leur sont reprochés. Mais ils sont poursuivis par la Cpi à cause de leur position de chef. Ce qui vaut pour Pierre doit l’être pour Paul aussi.
Tino Kossi
liberte-togo.com

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