« Le rapport a été bien accueilli quand même de la part du président de la République lui-même, mais c’est beaucoup plus l’entourage du Chef de l’Etat qui y était hostile », c’est la jolie image peinte de Faure Gnassingbé par Koffi Kounté, dans une interview accordée à Rfi depuis son asile parisien le mardi 21 février après la publication du vrai rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh).
« En notre sens, c’était le symbole même de la lutte contre l’impunité à ce stade des événements, parce qu’il n’y a que l’exemplarité de la sanction qui puisse décourager les éventuels tortionnaires de l’ANR demain. A l’allure où vont les choses, il ne leur arrivera absolument rien », avait-il ajouté, tout pessimiste quant à l’issue à réserver à ce rapport. A travers ces propos, Koffi Kounté redoutait déjà que les tortionnaires ne soient pas châtiés. On y est presque, avec les demi mesures prises mercredi par le Conseil des ministres par rapport à ce dossier.
Les treize (13) « mesurettes » du Conseil
« 1) La réorganisation de l’ANR, (Agence nationale de renseignement).
2) L’Agence ne peut plus garder dans ses locaux des personnes appréhendées ni pour une détention provisoire, ni pour une garde à vue. Cette prérogative est dévolue à la police judiciaire.
3) Le commandement militaire a été instruit pour des procédures disciplinaires immédiates contre les personnes mises en cause.
4) Organisation des ministères de la santé, de l’économie et des finances, au Garde des sceaux en collaboration avec des équipes de spécialistes pour examiner de façon urgente les personnes qui ont été indexées comme ayant fait l’objet de traitement inhumain, dégradant dans les locaux de l’ANR. Cette équipe fera des propositions idoines dans le cadre de la réparation des préjudices au cas échéant.
5) Intégration dans le code togolais des différentes conventions signées et ratifiées par le Togo en matière de traitement inhumain et dégradant.
6) Toutes les personnes gardées à vue, toutes les personnes en détention doivent être suivies par un médecin à toutes les phases de la procédure.
7) Le code togolais prend désormais en compte la définition du traitement inhumain et dégradant et de torture.
8) La CNDH qui bénéficie maintenant du statut A va être retouchée dans ses attributions. Ses prérogatives seront révisées afin de lui permettre de s’autosaisir, de faire des investigations et de prévenir s’il y a lieu toutes les actions des agents de l’exécutif qui serait de nature à être considérées comme un traitement inhumain et dégradant., un traitement de torture.
9) Renforcement sur le plan budgétaire, sur le plan des infrastructures, des compétences de la CNDH.
10) Instruction du garde des Sceaux pour proposer un projet de réforme de la législation sur l’administration pénitentiaire, le régime d’exécution des peines et la réadmission après l’exécution des peines.
11) Prises des mesures pour renforcer l’organisation, l’équipement et la formation de la police judiciaire dans les domaines de la police technique et scientifique pour éviter que certains comportements ne surviennent dans le cadre des investigations et des gardes à vue. Le but est de former, outiller les agents de police et de gendarmerie qui font office d’officier de police judiciaire en matière des droits de l’homme.
12) Le gouvernement rassure la famille de Kounté, le président de la CNDH et lui-même des mesures sécuritaires prises pour assurer et garantir leur sécurité.
13) Mise en place d’une commission interministérielle charger de suivre l’exécution des décisions prises et des recommandations de la CNDH ».
Les recommandations de la Cndh
Koffi Kounté et les siens n’ont pas fait qu’affirmer l’existence de la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants à l’Anr, à la Gendaremerie et au Camp Gal Gnassingbé Eyadéma. La Commission a aussi formulé des recommandations qui, mises en œuvre, pense-t-elle, devraient réparer le tort causé et participer à empêcher la récidive. Treize (13) en tout. Elle suggérait justement de :
– prendre des sanctions exemplaires à l’encontre de toutes les personnes ayant participé directement ou indirectement à la commission des actes incriminés ;
– procéder à une juste réparation des victimes ;
– faire faire un suivi psychologique des victimes ;
– réviser le statut de l’Agence de manière qu’elle ne se consacre exclusivement qu’aux faits et actes concernant la sûreté de l’Etat ;
– limiter le pouvoir de l’Agence Nationale de Renseignements aux missions d’interpellation et d’investigation en confiant la détention à une structure des forces de sécurité (Gendarmerie ou Police Nationale) ;
– prendre des mesures pour qu’à l’avenir les lieux de détention soient strictement soumis à un contrôle judiciaire ;
– prendre toutes mesures afin de faciliter la visite des lieux de détention ou d’exécution des sanctions disciplinaires par la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) et des organisations de Défense des Droits de l’Homme (ODDH);
– construire des bâtiments modernes répondant aux caractéristiques de lieu de garde à vue ou d’exécution de sanctions disciplinaires pour les Forces Armées ;
– créer une Inspection interne des droits de l’Homme au sein des FAT et de la Police dont les rapports seront adressés trimestriellement au Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées et au Ministre de la Défense Nationale ;
– équiper la Gendarmerie Nationale et la Police Judiciaire d’outils modernes d’investigation ;
– moderniser la capacité de recherche de la Police Scientifique ;
– procéder à la révision du Code Pénal afin d’y ériger la torture en infraction pour asseoir une base légale de poursuite judiciaire pour les actes à venir ;
– faire adopter le projet de loi investissant la CNDH comme mécanisme national de prévention contre la torture et lui apporter l’appui financier nécessaire pour l’accomplissement de cette mission.
Les mesures biaisées
La toute première recommandation formulée par la Cndh était de prendre des « sanctions exemplaires » contre les personnes ayant participé directement ou indirectement à la commission des tortures et autres traitements cruels, inhumains et dégradants. Mais le conseil des ministres décide juste de mesures « disciplinaires » contre les tortionnaires. « Faure Gnassingbé insulte l’intelligence des juristes togolais ! Il ne s’agit pas d’un larcin, d’une bavure militaire du genre les descentes dans les quartiers à des fins de représailles, d’une simple faute professionnelle comme l’oubli de son arme de service chez sa maîtresse, pour qu’on prenne une mesure disciplinaire. Il est question ici de torture reconnue comme un crime contre l’humanité et combattu comme tel par tous les instruments internationaux. C’est une véritable procédure pénale qui doit être enclenchée contre les auteurs de ces crimes qui sont bien connus. Une mesure disciplinaire ne peut pas primer sur une procédure pénale ; elle est juste une sanction interne au corps auquel appartiennent les accusés. C’est clair que Faure n’est pas très chaud pour sanctionner convenablement les tortionnaires », s’est désolé un défenseur des droits de l’Homme.
Les tortionnaires ont pour noms Col Massina Yotroféi, Cdt Kuloh Kodzo, Gal Atcha Titikpina, Cpt Pali Yao, Kadanga N’Guwaki, MDL/Chef Bobozi Biki et Essobiyou, Sgt Addi Kpatcha. Au registre des personnes ayant participé indirectement à la commission de ces crimes, figurent en bonne place le Col Yark Daméhane qui a été témoin de certaines séances, le Col Dokissime Gnama Latta qui s’est rendu complice de tortures infligées à l’Anr au sens de l’article 14 du Code pénal, par son communiqué du 4 août 2011 laissant entendre que l’Anr « s’acquitte scrupuleusement de sa mission dans le cadre de ses attributions qui sont clairement définies par les textes et dans le strict respect des procédures en vigueur dans notre pays ». Ce sont des officiers de l’Armée actuellement en fonction. Le bon sens voudrait que tous ces hommes soient démis de leurs fonctions et l’opinion s’attendait à voir le Conseil des ministres y procéder. Les accusés sont toujours à leur poste et ont toujours tous les moyens de nuisance. Mais Faure Gnassingbé n’a pas eu ce courage. Comble de l’ironie, c’est le commandement militaire qui a été instruit d’enclencher cette procédure ; or à sa tête se trouve un certain Mohamed Atcha Titikpina, qui est aussi cité parmi les auteurs des tortures et autres traitements cruels, inhumains et dégradants infligés aux inculpés du dossier Kpatcha Gnassingbé. C’est facile donc d’imaginer la suite. Où est alors le sérieux dans tout ça ?
D’ailleurs l’opinion ne saurait rien de la fameuse sanction disciplinaire. Il est constant que lorsqu’il s’agit d’un corps habillé, on annonce publiquement l’ouverture de la procédure, mais jamais le peuple ne sait par la suite la nature de la sanction. C’est le cas du militaire qui a « sécurisé » l’urne en 2005. Au cours des fameuses journées portes ouvertes sur les Forces armées togolaises en mai 2011, ses porte-parole ont laissé entendre lors d’une émission télévisée que l’athlète (sic) a été sanctionné. Mais Dieu seul sait ce qu’il en est réellement. On n’étale pas les dessous d’un homme en arme sur la place publique.
S’agissant toujours de la responsabilité de ces actes, le lot des complices s’est agrandi. Il s’agit des personnes qui se sont rendues coupables du travestissement du rapport authentique pour en arriver au faux publié le 18 février sur le site du gouvernement. Ces faussaires sont bien connus. Il s’agit de Charles Debbasch, le conseiller spécial de Faure Gnassingbé, du ministre de la Justice Me Tchitchao Tchalim, de l’Eve autochoisie du Togo, Ingrid Awade, du bourreau de l’Anr, le Col Massina Yotroféï et du chef d’Etat-major des Fat, le Gal Atcha Titikpina, avec le ministre des Arts et de la Culture, Me Yacoubou Hamadou comme 6e larron. L’acte posé était déshonorant et grave. En plus, tout s’est fait à la présidence de la République. Le bon sens s’attendait donc à ce que le premier des Togolais tape du poing sur la table et sanctionne tout ce beau monde. Mais rien n’a été décidé à leur encontre. C’est cocasse, non ?
Le principe de la réorganisation de l’Anr est désormais acquis. Il a été laconiquement annoncé qu’elle sera restructurée, sans autre précision. Cette réorganisation touchera-t-elle le fonctionnement même de cette institution devenue le royaume de la torture ? Il faut être dans le secret des dieux, plutôt dans la tête de Faure Gnassingbé pour le savoir. Mais déjà, il est promis que l’Anr ne peut plus garder dans ses locaux des personnes appréhendées ni pour une détention provisoire, ni pour une garde à vue, et que cette prérogative est dévolue à la police judiciaire. Cette mesure, avec d’autres, a fait jubiler republicoftogo, le site qui aime publier les faux rapports sur les tortures, que « le gouvernement change tout ». Mais voilà en réalité, ce n’est pas une nouveauté. Dans son décret de création, l’Anr était censée s’occuper juste de la recherche des renseignements concernant la sécurité intérieure et extérieure du Togo. Il n’est écrit nulle part qu’elle est un centre de détention, encore moins de tortures, ou de saisie de fonds des commerçants. Mais c’est dans ces domaines que Yotroféï Massina et compagnie se sont le plus illustrés.
Pour faire diversion, nombre des décisions prises concernent la réactualisation du Code pénal et la revue des compétences de la Cndh. Mais il se fait que ce n’est pas d’un problème de texte qu’il s’agit, mais de comportements. Le Togo a toujours fait de jolis textes, ratifié les instruments internationaux ; mais c’est leur respect qui a toujours posé problème. La Cndh souhaitait dans ses recommandations la visite régulière des lieux de détention et le suivi de l’exécution des sanctions disciplinaires par les Oddh, mais Faure Gnassingbé et les siens l’ont stratégiquement occulté.
Le syndrome Toumba Diakité
Le commun des observateurs ne voyait déjà pas Faure Gnassingbé sévir comme il le faudrait. Car il n’est pas étranger à tout ce qui se passe. Il existait déjà des services de renseignements ; mais à son avènement au pouvoir il a trouvé nécessaire d’en créer un autre : l’Anr. Cette structure de tortures est donc le fruit de sa propre création, c’est sous son autorité directe qu’elle est placée, les tortionnaires sont ses protégés. N’a-t-il pas décoré le 27 avril 2011 Massina Yotroféï au moment même où les voix s’élevaient pour décrier les pratiques y observées ? N’a-t-il pas balayé du revers de la main les appels incessants des Oddh ?
Ces hommes cités dans les cas de tortures et le charcutage du rapport sont les proches serviteurs de Faure Gnassingbé et sont devenus puissants au point de se poser comme les vrais gouvernants du pays. Et de tels hommes, on ne prend pas le risque de s’en défaire facilement. Nous le disions tantôt, ces « mesurettes » prises ne traduisent que la duplicité, mieux, la peur de Faure Gnassingbé qui a certainement encore à l’esprit le cas Dadis Camara et son aide de camp Aboubacar Toumba Diakité.
En effet, les deux hommes étaient les meilleurs amis du monde. Mais leurs relations ont commencé à se détériorer depuis que l’aide camp a senti que Dadis Camara voulait le livrer en victime expiatoire, avec le rapport de la Commission nationale d’enquête qui l’accusait d’être le principal auteur des tueries du 28 septembre 2009 au Stade de Conakry qui ont coûté la vie à 63 Guinéens et entraîné la blessure de 1480 autres. Pour ce dossier, ce n’est un secret pour personne que l’aide de camp ne pouvait pas agir sans avoir reçu l’ordre de la hiérarchie, de Dadis Camara donc. C’est voyant le danger que Toumba Diakité a tenté de tuer son patron en tirant sur lui en décembre 2009. L’« Esprit nouveau » a cela sans doute encore frais dans la mémoire. Il y a donc de quoi avoir peur de sévir.
Tino Kossi
liberte-togo.com

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