La caravane de Mgr Nicodème Barrigah était toute la semaine à Aného où les audiences tournaient principalement autour des violences politiques de 1958, 1993 et 2005. Les langues se sont déliées sur les événements d’avril 2005 pour lesquels la ville d’Aného a payé un lourd tribut, surtout pour évoquer les tirs de mitraillettes sur les populations à partir des hélicoptères. Mais cette étape d’Aného clôturée hier, aura été surtout marquée par le boycott des audiences par les populations d’Aného, assez symptomatique de l’indifférence généralisée du peuple togolais, et aussi par un discours réaliste du prélat, qui semble bien conscient des difficultés qui plombent la réconciliation tant recherchée.
 
« Le véritable acteur de la réconciliation, c’est le peuple tout entier, à qui il revient de s’engager résolument dans une démarche sincère de changement », reconnaît Mgr Barrigah dans une allocution prononcée mardi. Mais justement parlant du processus actuel qui est presque à son terme, le peuple togolais ne s’y est nullement retrouvé. On n’en voudrait pour preuve que la faible mobilisation lors des audiences publiques, surtout à Lomé au début de cette phase. Même à l’intérieur du pays, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation a dû recourir à des méthodes de mystification, comme les projections sur écran géant, pour appâter les populations de l’Hinterland pour qui c’était un grand événement.
 
« La réconciliation ne peut se faire par procuration ni par délégation ; elle ne peut s’imposer ni se décréter, puisqu’elle est le fruit d’un engagement personnel à s’élever au-dessus de la rancœur pour tendre à l’autre la main de la fraternité », assène le prélat par ailleurs. Quelle inspiration ! Dira-t-on. On croirait un de ces observateurs avisés, qui refuse de s’engager dans la comédie de réconciliation managée par Mgr Barrigah. Mais justement les Togolais ont l’impression, d’ailleurs fondée, que c’est une réconciliation décrétée et par procuration de Faure Gnassingbé que conduit le prélat, avec un plaisir étonnant. On veut visiblement forcer les Togolais à se bécoter devant les caméras. En tout cas il n’y a absolument rien qui incite à la fameuse « catharsis collective » et au pardon des fautes commises indispensable à la réconciliation chantée de tous ses vœux par Mgr Barrigah. Et il se fait que ce sont les serviteurs et protégés des ordonnateurs de la réconciliation, les mandants de Mgr Barrigah donc, qui mettent le pied dans le plat.
 
C’est constant, le préalable au pardon et à la réconciliation, c’est l’acte de contrition. Mais il se fait que les auteurs avérés des violences abordées ne reconnaissent aucune responsabilité, ou mieux, les déclinent royalement et chargent même les victimes. Le cas le plus illustratif est celui de l’armée togolaise. La phase des auditions est censée permettre d’entendre non seulement les victimes, mais aussi et surtout les bourreaux. Elle est presque à son terme, mais les Togolais n’ont vu aucun coupable venir témoigner et avouer ses péchés. Ceux qui ont les armes au Togo ne reconnaissent aucune culpabilité jusqu’à ce jour. Evénements de la Lagune de Bè et attaque de la Primature en 1991, les Forces armées togolaises disent n’en être pour rien. Elles se permettent même de charger les victimes de s’être noyées et les opposants d’être allés chercher à la morgue des corps pour jeter dans la lagune, et le Premier ministre d’alors d’être responsable de l’attaque de la Primature. Attentat de Soudou en mai 1992 sur le convoi de Gilchrist Olympio, autour duquel une enquête de la Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh) avait noté la culpabilité de l’armée togolaise et cité des noms, dont la tête de liste n’était autre que Ernest Gnassingbé, les porte-parole de l’armée parlent d’ « éléments incontrôlés », histoire de se dédouaner. Violences électorales d’avril 2005 à Atakpamé, les corps habillés brouillent les pistes et parlent de « responsabilité collective ».
 
Ces sorties de l’armée ont l’effet de faire des émules. C’est le cas chez l’ex-ministre Okoulou Kantchati cité dans les violences à Mango, et surtout chez celui qui est caricaturé de « La terreur d’Atakpamé », nous avons nommé Major N’ma Bilizim Kouloum. La plupart des rapports d’enquêtes ou tous élaborés sur les violences de 2005 à Atakpamé, l’ont nommément cité comme le chairman de ces événements dans cette ville et ses environs. Et presque tous les témoins qui sont passés devant la Commission lors des audiences publiques à Atakpamé l’ont chargé à visage découvert. Mais comme dans un scénario hollywoodien, l’homme est venu balayer d’un revers de la main toutes ces accusations. Et le comble, il menace de poursuivre tous ceux qui l’ont cité. Quel culot, dites-vous ? Rien d’étonnant, c’est l’illustration patente de l’impunité dont il jouit. Malheureusement de la part des mandants mêmes de Mgr Nicodème Barrigah.
 
Le manque d’adhésion populaire au processus ne date pas d’hier. Il était visible depuis le début du processus, et le prélat lui-même s’en était rendu compte et s’en plaignait. Le négationnisme manifeste des corps habillés et des protégés du régime Faure Gnassingbé conduit irrémédiablement le processus vers l’échec. L’acte de contrition des bourreaux avérés du peuple est le préalable à toute réconciliation. Or ces derniers, en plus d’avoir ôté des milliers de vies, font preuve d’arrogance outrancière. Et lorsque dans ces conditions, Mgr Barrigah trouve une certaine « détermination à poursuivre cette mission complexe et délicate » à lui confiée, « avec la ferme conviction qu’il s’agit d’une chance offerte à notre Nation pour consolider les bases de son unité », on tombe carrément des nues. Sans détour, on dira que le prélat est le bras spirituel, sert de caution à Faure Gnassingbé qui veut forcer la réconciliation des Togolais.
 
« Avouons-le, les conditions d’une véritable réconciliation ne sont pas encore réunies au Togo. Et le prélat aura beau avoir une foi d’acier, je vais même choquer des susceptibilités, Jésus Christ même peut descendre au Togo, il ne fera pas de miracle, parce que ceux qui crient à la réconciliation ne font absolument rien pour cela. On ne peut pas demander à une victime de se réconcilier avec son bourreau si ce dernier fait encore preuve d’arrogance. La toute première condition, c’est l’alternance au pouvoir », glose un confrère. En attendant peut-être cet idéal, pour cette compatriote auditionnée à Aného, c’est la proclamation des vrais résultats, c’est-à-dire ceux sortis des urnes. Qui dit mieux ?
 
Tino Kossi
 
source : groupe presse liberté hebdo togo

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