Deux hommes, même système, même ambition pour un pays encore incertain

 
L’un est arrivé au pouvoir en 1967 par un coup d’État militaire, l’autre en 2005 dans un cafouillage militaro-constitutionnel. L’un est le père, militaire de son état, l’autre, le fils, gestionnaire de formation. Eyadema Gnassingbé et Faure Gnassingbé, deux générations que tout oppose sauf que tous deux partagent un même rêve et les mêmes outils pour le réaliser. Pile et face, portrait croisé d’un père et de son fils.
 
Sur une bande de terre de 56.600 Km2, le père, d’une main de maître, par la faveur du premier coup d’Etat d’Afrique, profite d’abord de deux décennies d’une dictature tolérée avant de se voir imposer la démocratie. Une démocratie qu’il gardera sous ordre le reste de sa vie. Depuis que cette démocratie est annoncée, le pays va tourner au ralenti jusqu’en 2005 où le fils lui succède dans un cafouillage militaro-constitutionnel plus tard légitimé par un hold-up électoral. Contrairement au père, qui a mis ses premiers jours pour faire de son pays ce qu’on désignera par Suisse d’Afrique, le fils prendra tout son premier mandat pour jouer à la comédie. Avec un niveau d’étude à la limite de l’illettrisme, le père, autodidacte qui s’en est plutôt bien sorti, mourra à petit feu de l’usure d’une lutte pour un pouvoir sans partage.
 
L’autre, dit éminence grise et annoncé tambours battants du pays de l’Oncle Sam, se révèle un éléphant avec un pied cassé. Crimes économiques, instrumentalisation de l’armée et usage de la fibre ethnique, voilà entres autres, autant d’outils de travail qui rapprochent les deux hommes. Faure Gnassingbé-Eyadema Gnassingbé, pour un même pays, en quoi les deux hommes sont-ils les mêmes ? En quoi ils se mettent dos-à-dos?
 
SIMILITUDES
 
Les deux hommes se rapprochent sur plusieurs traits. Teins noirs, regards et démarches similaires, tous d’eux sont soucieux de la griffe dans leurs habitudes vestimentaires. Ils ont le même rêve : être devant une scène politique, conquérir un pouvoir et le conserver contre vents et marrées. Pour y parvenir, la même stratégie, les mêmes instruments, les même hommes, sinon presque: acheter les consciences, garder les institutions de la République sous sentinelle, user de la force militaire pour réprimer, la fibre ethnique pour entretenir la méfiance réciproque et diviser. Tous, portés au pouvoir par l’armée, celle-ci deviendra très vite un outil de répression et un épouvantail pour mettre l’adversaire politique aux pas. Une fois au pouvoir, ils ont le même reflexe, s’y maintenir par la machine à fraude d’un parti qui se veut rassembleur, le RPT. Légitimité toujours écornée par des élections fraudées, tous ont souffert d’une crédibilité qu’ils mettront toute leur carrière à chercher. Plutôt que de penser à un réel développement du pays, tout est mis en effet en berne pour la recherche de voies et moyens afin de conserver un pouvoir permanemment vacillant. Dans les discours, tous sont capables de dire une chose et d’appliquer son contraire. Ils se recoupent dans un goût poussé pour les femmes pour lesquelles ils ne se font pas prier pour briser les tabous. Pour se construire un entourage, le fils utilise les ressources puisées dans les souvenirs d’école, le père, dans le monde des serviteurs dévoués. Mais ils se retrouvent sur le fait que l’amitié n’a de sacré que d’intérêts. Ainsi, sont-ils tous disposés à broyer chacun à sa manière, au besoin, des amis dont la collaboration n’invite plus à la confiance. Contre les crimes économiques et politiques, aucun des deux n’a de potion magique. Ce fléau a eu et aura encore de beaux jours. C’est le mal le mieux toléré. Pour peu qu’on soit appelé à gérer les biens publics, l’écrasante majorité est mouillée, encore que l’exemple est toujours venu d’en haut. Ce crime devient une gangrène qu’on feint d’ignorer. L’essentiel est de ne pas toucher à l’intégrité du pouvoir en place. Dans la doctrine de la conservation du pouvoir, le fils reste un bon héritier pour un père qui croit que le pouvoir, quand «… on le laisse s’échapper, il est difficile de le récupérer ».
 
Vis-à-vis des relations avec les parents, les deux hommes se retrouvent. Tel père tel fils. Si Eyadema est resté très attaché à sa mère qu’il a célébrée tous ses jours, il fait parler le moins possible de son père, au point où les mauvaises langues se demandent si Eyadema a vraiment eu un père et si oui quelle relation il a entretenue avec celui-ci. Le fils ne se montre pas différent. À la mort de son père, sur la dépouille encore chaude de celui-ci, plutôt que d’en assumer le passif avant de présenter des excuses, il clame haut et fort : « lui c’est lui, moi c’est moi ». Il se démarque ainsi d’un père auquel il refuse d’être identifié, au point où certains estiment que c’est une façon d’être un renégat.
 
DIFFERENCES
 
Sans exagérer, des nombreux rejetons d’Eyadema, aucun ne semble plus beau moins encore imposant que leur père. Sans être sorti des meilleures universités du monde dont se réclame difficilement le fils, le père, diplômé « des universités de la nature », pour reprendre un de ses ministres, signe les grands actes. Le fils, dans ses agissements, donne paradoxalement du grain à moudre à ceux qui pensent qu’il est en deçà des diplômes qu’on lui attribue ou au mieux, le fruit d’un véritable cursus bâclé. À quelques exceptions près, les grands n’ont souvent pas le temps matériel pour encadrer leur progéniture. Évidemment, Eyadema aura laissé en héritage, au pays, au moins une centaine de rejetons dont un nombre limité aura franchi le cap du baccalauréat malgré l’opulence dans laquelle ils ont grandi.
 
Contrairement au fils, le père est d’une autorité naturelle et d’une sagesse qui impose une discipline. Même improvisées, ses sorties médiatiques portent l’emprunte d’un dirigeant-né.
 
Si le géniteur a grandi et s’est fait former sous le soleil africain, les champs de guerre et les travaux champêtres, faisant de lui une somme d’expériences qui va résister aux académiciens, le fils, bien qu’ayant connu une enfance difficile, tombera très vite sous le charme d’une vie opulente. Loin des affres du soleil, dans un environnement climatisé, pain beurré toujours prêt, les doigts permanemment mobilisés pour envoyer et recevoir un message sur portable, friand des escapades, souvent entre deux avions, il sera formé à l’ombre de la fortune engrangée par le père. Le voilà, enfin, un colosse qui, en réalité, ne pèse rien.
 
Sur le terrain politique, quand bien même le père et son fils utilisent les mêmes instruments, à l’arrivée du fils, le contexte a changé. La fibre ethnique, par exemple, n’est plus une garantie pour se maintenir longtemps au pouvoir. Pour cause, tous les Togolais se reconnaissent dans une misère commune, un sort commun manipulé par une autorité qui fait de leur bien-être social le cadet des soucis. Face aux mêmes problèmes existentiels, ils unissent désormais leurs différences pour une fatidique lutte de libération. Le sacro saint principe de fief du parti au pouvoir a disparu des radars. Le parti fétiche, RPT, qui rassemblait de gré ou de force, est rentré dans un coma profond. Le miracle annoncé pour le remplacer, UNIR, est mort-né.
 
Sur le plan matrimonial, leurs goûts restent les mêmes mais les visions sont discordantes. Le père a très tôt offert une première dame digne de ce nom aux Togolais faisant de lui un père de famille responsable. Mieux, il savait discerner les sentiments des affaires publiques. Et ses conjointes, si puissantes qu’elles soient, étaient loin des affaires politiques. Le fils, pour sa part, estime qu’une première dame est un luxe pour son peuple. Il continue, jusqu’à l’heure où nous mettons cet article sous presse, par se chercher entre les nombreuses maîtresses dont certaines n’hésitent pas à participer à la déconfiture des affaires publiques.
 
Les coups bas, les deux personnalités en font usage. Coup d’État imaginaires et affaires cousues de toutes pièces pour assainir l’entourage. Pour embrigader les textes de loi et anticiper les évènements politiques, le père s’est doté d’un véritable laboratoire. Pour sa part, le fils se contente des improvisations qui ne tiennent pas la route.
 
Les querelles intestines, si elles ont toujours été habillement étouffées par le sentiment d’un sort commun par l’un, l’autre ne fait pas de mystère pour exposer au grand jour ces divisions internes et n’hésite pas à se mettre dans la peau des magistrats pour des dossiers signalés. Comme dans la cour d’un roi, avec un père ouvert et magnanime, même le fou du quartier a droit à la parole et surtout au pain du jour. Le fils, très critique de la légendaire largesse du père, est sélectif quand il lui arrive de mettre la main à la poche et d’écouter les gens.
 
Vis-à-vis de l’entourage, plus que tout, la philosophie des deux personnalités les divise. Un diable, il vaut mieux l’avoir à côté ou mieux en poche que de l’avoir en face de soi. Ainsi, Eyadema supportait-il tout le monde, y compris les diables incarnés. Le fils, quant à lui, estime qu’un mauvais grain, il faut l’isoler de l’ensemble. Ainsi, même pour des menus fretins, c’est avec un sang froid qu’il mange ses proies qu’il n’abandonne jamais pour rien au monde. Les dinosaures, le système en place en a fabriqués. Les deux chefs d’État s’en servent. Mais si le défunt père leur reste fidèle jusqu’à la fin de ses jours, le fils s’en débarrasse après avoir tiré la substance. « Les souris d’un même trou ne se mordent jamais ». Voici un autre aspect de la philosophie d’Eyadema. Faure n’en a cure, il estime que les souris d’un même trou peuvent même se manger.
 
Voici deux hommes que tout, de leur personnalité, divise. Tous ont dirigé le même pays. L’un appartient déjà à l’histoire, l’autre, encore d’actualité, pense qu’il est capable de miracles pour changer le triste héritage socio-économique que le père a laissé aux Togolais. Mais il reste plombé par les tares et avatars qui ont terni le règne du père. Le miracle annoncé s’éloigne. L’homme est déjà ivre des délices d’un pouvoir qu’il ne veut quitter contre rien au monde. Les esprits s’échauffent. Il fonce la tête baissée. Si l’on ne prend garde, l’héritage socio-économique, déjà sombre, risque d’être alourdi de troubles sociopolitiques aux lendemains incertains. Un petit pays aux atouts anéantis par l’absence de vision, le manque d’initiatives, les intérêts personnels, l’approximation au sommet. Un pays au miracle impossible, deux hommes, un même rêve, un même sort fatal à l’horizon pour un peuple qui ne demande que le bien-vivre.
 
Réalisé par Abi-Alfa
 
Rendez-vous 178 du 02 Novembre 2012
 

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