Firmin Mahé, mort étouffé, était traqué depuis plusieures semaines par les militaires français de la Licorne
 
Pour l’armée, c’est un procès à haut risque qui s’ouvre, mardi 27 novembre, devant la cour d’assises de Paris. Quatre militaires de la force Licorne présents en Côte d’Ivoire sous mandat de l’ONU en 2005, comparaissent durant deux semaines pour le meurtre d’un civil ivoirien, Firmin Mahé. Ce « coupeur de routes » (bandit de grand chemin) a été étouffé, la tête sous un sac-poubelle, le 13 mai 2005, dans le blindé qui le transportait du camp de Bangolo vers celui de Man, à 600 km d’Abidjan, au nord-ouest du pays.
 
Le colonel Eric Burgaud, ancien chef de corps du 13e bataillon de chasseurs alpins, est accusé de « complicité par instigation du meurtre » ; l’adjudant-chef Guy Raugel, du 4e régiment de chasseurs (RCH), d' »homicide volontaire ». Le brigadier-chef Johannes Schnier et le brigadier Lianrifou Ben Youssouf, du 4e RCH aussi, répondront respectivement de « complicité de meurtre par aide ou assistance » et du délit d' »omission d’empêcher un crime ». Tous les quatre ont quitté les rangs. Plusieurs généraux sont cités comme témoins au procès, ainsi que l’ancienne ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie.
 
La force Licorne, commandée par le général Henri Poncet, comptait alors 850 hommes, à Abidjan, Man et Bangolo. Leur rôle consistait à préserver la « zone de confiance » établie entre le nord rebelle et le sud fidèle au président Laurent Gbagbo. Cette zone démilitarisée, grande comme 35 départements français, avait été créée par les accords de Marcoussis de 2003. L’usage du feu y était réservé à la légitime défense. La mission était délicate. Le président Gbagbo se plaignait de la passivité de la force internationale. Miliciens des deux camps mais aussi coupeurs de route entretenaient un climat de terreur, multipliant les exactions.
 
« FAUTE INDIVIDUELLE »
 
Le 13 mai 2005, Mahé, un chef de bande local traqué depuis plusieurs semaines, est appréhendé par les militaires français. Blessé par balle le matin, il prend la fuite avant d’être rattrapé en fin de journée. Il est achevé par Raugel, sur ordre du colonel. La hiérarchie ne dénonce les faits à la justice qu’en octobre 2005. L’adjoint du général Poncet, le général Renaud Alziari de Malaussène, reconnaît alors : « Nous avons provoqué la mort de cet individu hors d’une situation de légitime défense. » Le ministère de la défense infligera un blâme aux deux hauts gradés.
 
L’armée dit assumer ces événements « anciens ». « Il y a eu faute individuelle, il n’y a aucune excuse », note le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l’état-major. Mais l’affaire soulève des débats internes.
 
Le premier porte sur le commandement et la hiérarchie. Le colonel comme l’adjudant-chef Raugel assument leur acte. « Quand on reçoit un ordre et qu’on est soldat, on l’exécute, et quand on a une mission, on la remplit. Pour moi (…) , il y a une chose fondamentale, c’est la mission », a dit Raugel lors de l’enquête. L’affaire Mahé est intervenue six mois après le bombardement de Bouaké, où, le 6 novembre 2004, neuf soldats français avaient été tués. Lors de l’instruction, le colonel Burgaud a témoigné de l’esprit de revanche qui régnait alors.
 
Le général Henri Poncet a obtenu un non-lieu définitif. Cité comme témoin, il est mis en cause par le colonel Burgaud qui s’est senti lâché. A présent dans le secteur privé, le général, qui a commandé les opérations spéciales, est classé parmi les « paras colos » (la tradition issue des régiments des anciennes colonies françaises). Il a de nombreux contempteurs. Sollicités par la défense, des officiers ont cependant renoncé à venir témoigner de ses pratiques à l’audience. Connu pour ne jamais donner d’ordre écrit et entretenir une relation directe avec ses hommes de terrain par delà la hiérarchie, il sera, malgré lui, au coeur des débats.
 
La seconde question porte sur le profil des unités envoyées en opération. C’est, avant l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire qui, par la dureté de la situation, a façonné l’armée professionnelle d’aujourd’hui, expliquent les cadres de l’armée de terre. Des unités peu habituées aux terrains africains y ont été déployées. « On ne peut pas se préparer à tout. Quand on a pataugé jusqu’aux genoux dans des charniers de civils, on a tous eu envie de mettre une balle dans la tête des miliciens », témoigne un officier supérieur. Un autre est encore plus clair en évoquant le cas du colonel Burgaud, un chasseur alpin aux états de service irréprochables jusqu’alors : « En Afrique, les Alpins étaient des bleus, un colonel de l’infanterie de marine ne se serait pas fait avoir comme ça. »
 
Le troisième débat concerne les missions confiées aux militaires sous mandat de l’ONU. « Ils n’étaient plus au coeur de leur métier, celui de faire la guerre, mais dans une mission de police, sans avoir les moyens de l’assumer », souligne Me Alexis Gublin, avocat du colonel Burgaud. En « zone de confiance », les chefs de bande locaux étaient relâchés, faute de procédure judiciaire.
 
Le mois précédant le meurtre de Mahé, les coupeurs de route avaient tué une vingtaine de personnes et la population dénonçait l’impuissance des militaires. Des officiers ont rendu compte de ce « vide légal ». Dans ce contexte, obtenir « un mort dans des conditions légitimes était pratiquement devenu une obsession », a témoigné un capitaine.
 
Nathalie Guibert
 
lemonde.fr

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