Les récentes manifestations de l’opposition et de la société civile contre le régime du président togolais Faure Gnassingbé pourraient être le catalyseur d’un nouveau sursaut démocratique en Afrique francophone.
 
Le 12 juin 2012, le Collectif Sauvons le Togo (CST), qui regroupe des organisations de défense des droits de l’homme et des partis politiques, a organisé une grande manifestation à Lomé, la capitale du pays.
 
Entre autres revendications, la mise en œuvre des recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), au sujet des accusations de torture de personnes détenues, notamment, dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé (affaire du frère du président Faure Gnassingbé accusé de tentative de coup d’Etat, Ndlr), ainsi que la mise en place de réformes constitutionnelles de fond.
 

Brutalités et méthodes expéditives

 
Ce n’est pas la première fois que ce collectif descendait dans la rue pour protester contre les agissements du pouvoir et le déficit démocratique. Le 2 mars 2012, il avait déjà organisé une marche similaire au cours de laquelle il avait exigé notamment:
 
«1- La démission sans délai du gouvernement qui s’est rendu coupable de faux et usage de faux;
 
2- L’identification et la sanction de tous ceux qui ont participé à la falsification du rapport de la CNDH;
 
3- La mise en œuvre effective et dans les meilleurs délais des recommandations de la CNDH dans son rapport authentique;
 
4- L’annulation de toutes les procédures et de tous les procès ayant conduit à l’arrestation et à la condamnation des personnes accusées dans l’affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat, ainsi que de ceux et de toutes les autres personnes torturées à l’ANR (Agence nationale de renseignements, Ndlr);
 
5- Le dédommagement et la réintégration immédiats et sans condition des officiers et hommes de troupes injustement radiés de l’armée dans l’affaire d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat;
 
6- La révocation de tous les magistrats ayant connu des affaires dans lesquelles les personnes mises en cause, ont fait cas, de manière concordante, précise et persistante, d’actes de torture et autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants sur leur personne à l’ANR et ailleurs, mais qui ont continué les procédures jusqu’à condamnation.»
 
La falsification du rapport de la CNDH au sujet des mauvais traitements et autres tortures infligés aux détenus dans l’affaire du frère du président avait fait grand bruit.
 
Le président de cette Commission nationale des droits de l’homme, Koffi Kounté, menacé par les auteurs et contraint de s’exiler à Paris pendant quelque temps.
 

 
La manifestation du 12 juin, qui était censée être pacifique comme celle précédente du 2 mars, a surpris plus d’un de par l’ampleur de la mobilisation dans les rues de Lomé.
 
Malheureusement, elle a dégénéré avec l’intervention brutale des forces de l’ordre. Bilan: une cinquantaine de blessés et autant de personnes arrêtées et mises en garde à vue.
 
L’ancien Premier ministre Abgéyomé Kodjo et leader du parti dénommé Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts) a également été arrêté et gardé à vue pendant 48 heures, avec un autre responsable du Collectif.
 
Mais ils devraient comparaître devant la justice tout comme les 53 autres, toujours détenus à la prison civile de Lomé. Motif:
 
«Violences volontaires, destructions et dégradations perpétrés contre les personnes, les biens publics et privés», d’après un communiqué du magistrat, Komlan Dodzro.
 
Pour l’avocat Zeus Ajavon, coordinateur du CST, «le Togo ne réagit réellement que devant les démonstrations dans la rue. En 1990, le pays n’a évolué que parce que la rue avait réagi».

L’exemple des révolutions arabes

 
Le CST veut en effet s’inspirer du printemps arabe. Et il promet d’aller jusqu’au bout, en dépit de la violente répression des premières manifestations.
 
Les militants et sympathisants du CST comptent utiliser tous les réseaux sociaux disponibles pour continuer à mobiliser autour de leurs revendications et manifester leurs aspirations au changement.
 
C’est d’ailleurs à travers Facebook, Tweeter et SMS que la mobilisation, l’information et la sensibilisation s’articulent. Mais il faudra bien plus que les réseaux sociaux pour qu’ils obtiennent les changements sociaux et politiques souhaités.
 
Quand on connaît la brutalité et les méthodes expéditives de l’armée togolaise pour venir à bout des mouvements pro-démocratiques. A la suite des manifestations de Lomé, plusieurs tentatives ont également eu lieu dans des villes de l’intérieur. Mais elles ont été vite réprimées.
 
Le gouvernement a, pour sa part, déjà demandé au ministre de la Sécurité et de la Protection civile de «prendre des mesures additionnelles pour assurer la sécurité des biens et des personnes, ainsi que la liberté de circuler».
 
Depuis la mort du président Gnassingbé Eyadema en 2005 et sa succession par son fils (l’actuel président Faure Gnassingbé), les Togolais ont l’impression de vivre dans une monarchie réfractaire à toute avancée démocratique.
 

En finir avec un pouvoir dynastique

 
En 2005, le Togo connaît une élection présidentielle fortement contestée, au cours de laquelle des militaires prennent partie, en confisquant et en s’enfuyant à grandes enjambées avec des urnes, ainsi que des images de la télévision béninoise ont pu le montrer. Selon un rapport de l’ONU, les violentes manifestations qui ont suivi ce scrutin auraient fait entre 400 et 500 morts.
 
Face au blocage démocratique et à un pouvoir aux allures dynastiques, les Togolais ont apparemment choisi la tactique du printemps arabe. Et cela en désespoir de cause, même si Pascal Bodjona, le ministre de l’Administration territoriale pense qu’une négociation est toujours possible.
 
«On peut faire plusieurs dialogues. Ce n’est pas parce que les autres dialogues auraient échoué, que ceux qui viendront ne nous permettraient pas de réussir», a-t-il déclaré.
 
Les manifestations du CST ont baissé en intensité. La mobilisation semble s’éteindre progressivement, depuis les premières arrestations et surtout face aux mesures draconiennes envisagées par le gouvernement. C’est laisse entendre Daniel Lawson Dracké, ancien secrétaire général de l’association des journalistes de la presse indépendante du Togo:
 
«Les manifestations connaîtront un répit certain avec les examens de fin d’année, mais les mobilisations continueront par les réseaux sociaux. Après cette période, les manifestations pourraient reprendre de plus belle. Mais il est trop tôt pour dire quelle sera l’issue des actions du Collectif Sauvons le Togo.»
 
C’est aussi l’avis de Me Zeus Ajavon, le coordinateur du mouvement, qui promet sans pour autant convaincre, la reprise pour bientôt.
Le réveil des défenseurs des droits de l’homme
 
Le sort des personnes arrêtées dans le cadre des manifestations apparaîtra, peut-être, comme un élément déterminant dans la tournure que pourrait prendre le combat du Collectif Sauvons le Togo.
 
Quelle que soit l’issue de ce nouveau sursaut du peuple togolais, le pays a enfin rompu avec la léthargie qu’il a connue depuis quelques années.
 
Ce réveil pourrait conduire à des changements notables pour plus de démocratie et de respect des droits de l’homme. Au demeurant, le réveil des défenseurs des droits de l’homme et de l’opposition au Togo est susceptible d’avoir un effet de contagion dans bien des pays d’Afrique noire.
 
Dans cette région, les protagonistes de la vie sociopolitique, toutes tendances confondues, ont préféré, devant les régressions démocratiques de ces dernières années, faire preuve de lâcheté ou de connivence face au pouvoir, au lieu de s’engager en faveur des causes qui valent la peine.
 
Il pourrait tout aussi être le catalyseur d’un nouveau printemps démocratique en Afrique francophone, en particulier. A moins d’être tout simplement un énième sursaut pour rien.
 
Tout dépendra, en effet, de la détermination des leaders et des militants et sympathisants du CST. Mais surtout du prix qu’ils sont prêts à payer pour les causes qu’ils défendent.
 
Marcus Boni Teiga
 
source : slateafrique
 

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