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Plus que quelques dix jours et l’année en cours rentrera dans l’histoire. A l’heure du bilan, les Togolais qui prêtent oreilles attentives à la politique retiendront essentiellement que les élections législatives qui étaient prévues n’ont pas eu lieu. La faute ? Au Collectif Sauvons le Togo (CST) qui a réussi à annuler le calendrier électoral du gouvernement de Faure Gnassingbé. La création de ce collectif est ainsi l’un des faits majeurs de l’année.
 
Arnaque politique
 
Beaucoup de Togolais espéraient que l’année 2012 offre l’occasion aux acteurs politiques du pays de résoudre une fois pour toujours l’équation des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Prévues depuis 2006 dans l’accord politique dit global qui avait donné un visage humain au pouvoir de Faure Gnassingbé, ces réformes ont ensuite eu tous les problèmes du monde pour quitter le statut de projets. A plusieurs reprises, le fils d’Eyadèma Gnassingbé a réitéré la promesse et l’engagement ; à plusieurs reprises, il a posé un gros lapin à ses adversaires politiques mais aussi aux citoyens.
 
Devenues presque impossibles, les réformes institutionnelles et constitutionnelles apparaissent dès lors comme la grosse arnaque politique de l’année qui finit. Il est difficile de comprendre que, après avoir remis ces réformes à l’après législatives 2007, Faure Gnassingbé les a remises une fois encore au lendemain de la présidentielle de 2010 sans que, en autant d’années, lesdites réformes soient restées à l’étape de projets et de revendications. Les observateurs attendaient que l’occasion des législatives de cette année permette de solder le compte. Il n’en a rien été et même quand tout était sûr que ces législatives ne pouvaient plus se tenir en 2012, le pouvoir RPT-UNIR a gardé close la porte des réformes. Gilbert Bawara, ministre de l’administration territoriale, a poussé le bouchon très loin en pérorant que « il est illusoire d’envisager les réformes avant les législatives ». Le tour est joué.
 
En même temps que le pouvoir arnaque ses adversaires politiques directs, il faillit à respecter les engagements pris vis-à-vis de l’Union européenne. Les missions d’observation électorale commises par cette institution en 2007 et 2010 avaient attiré l’attention sur les irrégularités et injustices contenues dans le code électoral et le découpage électoral. Les missions avaient recommandé la correction de ces irrégularités, des notes officielles de Bruxelles l’avaient exigée. Faure Gnassingbé n’en a rien fait en 2012 : de Pascal Bodjona à Gilbert Bawara, le pouvoir a usé de subterfuges et de ruse pour contourner la barrière.
 
Année de répressions
 
De plus en plus, les Togolais se rendent à l’évidence que la déclaration d’intention du « lui c’est lui ; moi c’est moi » est une simple action d’arnaque politique. Quelqu’un a voulu détourner l’attention de la communauté internationale et de l’opinion nationale en tentant de faire croire qu’il est un homme nouveau à qui ne peut ressembler le profil de son feu père. D’année en année, il est prouvé qu’il n’en est absolument rien. Les répressions policières excessives et haineuses sont ainsi toujours à l’ordre du jour des pratiques sécuritaires du pays.
 
Les citoyens qui ont répondu aux appels à manifester des forces d’opposition en ont fait l’amère expérience en cette année.
 
Des brimades ordinaires exercées sur des manifestants aux bastonnades systématiques en passant par la belle distraction que l’utilisation des gaz lacrymogènes est devenue pour policiers et gendarmes, la répression souvent arbitraire des manifestations publiques a naturellement marqué l’année. Si des policiers et gendarmes lancent des gaz ou grenades afin de disperser une foule indûment rassemblée quelque part, personne n’en éprouverait de la gêne ni de l’émotion. Mais ce qui se passe dans la démocratie de Faure Gnassingbé, c’est le recours aux forces de sécurité pour entraver la liberté du citoyen à manifester librement dans la rue pour exprimer son mécontentement ou sa colère. On prétend faire la démocratie mais on est toujours dérangé par les manifestations de rue.
 
Le comble : il a été atteint en juin lorsque des citoyens rassemblés au carrefour Deckon pour une manifestation de 3 jours ont été chargés, matraqués, gazés et violentés jusque dans des domiciles privés, sans que jamais la manifestation ait été interdite. Faure Gnassingbé ne voulait pas de rassemblement à Deckon, voilà tout. Mais jusqu’à preuve de contraire, ce n’est pas à lui de faire la loi dans le pays.
 
Dans ce chapitre des répressions, il y a eu aussi l’innommable, l’ignominieux et l’écoeurant : c’est la scène offerte par des miliciens au service de Faure Gnassingbé se sont attaqués aux manifestants des forces d’opposition à coups de machettes, de gourdins et de cordelettes. Certains de ces miliciens avaient même paradé dans des quartiers de la ville, machettes au poing et pourchassant tout ce qui ressemblait à des manifestants indésirables. Qu’une telle scène ait lieu en 2012 dans notre pays a été la preuve irréfutable que ce que Faure Gnassingbé sait faire le plus, ce sont les beaux discours et les déclarations d’intentions. Des policiers et gendarmes étaient présents : ils se sont contentés de regarder le mauvais film.
 
Logique d’élections tombola
 
En 2010, Faure Gnassingbé promettait que la présidentielle que le Togo allait connaître sera à l’image de que le Ghana a organisée l’année précédente. Aujourd’hui, c’est vrai qu’il n’en a rien été. Non seulement cette présidentielle ne pouvait ressembler à la ghanéenne que par son caractère pacifique mais aussi son dénouement est l’occasion de curiosités insoutenables. Pascal Bodjona, aujourd’hui en prison, dirait des histoires incroyables s’il pouvait en parler.
 
Les législatives qui n’ont pas pu avoir lieu étaient inscrites dans la même logique. Malgré les protestations, condamnations et revendications des adversaires politiques, le pouvoir de Faure Gnassingbé s’est engagé dans une logique unilatérale dont on peut présager l’aboutissement. Code et découpage électoraux sont jalousement contrôlés tant et si bien que l’injustice flagrante qui avait fait que deux partis qui avaient recueilli le même nombre de suffrages ait un rapport de forces en termes de sièges de députés de l’ordre du simple au double est resté intacte. En dépit du bon sens qui doit incliner à apporter une solution viable au problème, le pouvoir s’entête à jouer d’égoïsme et d’injustice.
 
Plusieurs dialogues ont ainsi échoué parce que la volonté est ferme de ne pas lâcher du lest sur des mesures qui garantissent la « victoire » du clan. De février de l’année où les partis représentés à l’Assemblée nationale avaient été invités à un dialogue au récent rendez-vous manqué de la primature, toutes les occasions se sont soldées par un échec cuisant parce que le pouvoir n’est pas prêt à ouvrir le jeu ni à aller aux élections sur des bases consensuelles. C’est ce qu’un confrère a appelé la logique des élections tombola : une tombola se fait sur la base des règles écrites par le promoteur ; celui qui convient avec ces règles participe à la tombola s’il gagne c’est tant mieux, s’il perd tant pis. La métaphore de ce confrère se prête fort bien au contexte togolais. Durant l’année 2012, tout a été mis en œuvre pour organiser des élections sur mesure afin de valider des résultats prédéfinis.
 
Et le CST fut !
 
C’est à coup sûr l’un des faits marquants de cette année au Togo. Après que la mobilisation populaire qui se mettait en branle autour des activités et des mouvements de Gilchrist Olympio ont baissé, suite à l’accord surprise et insensé du 26 mai 2010, le flambeau de la contestation et de la lutte pour un changement radical a été entretenu par l’ANC, le parti créé par les dissidents du parti de M. Olympio. Avec leurs moyens et leur volonté, ils ont fait ce qu’ils ont pu jusqu’au jour où l’opinion apprend la naissance d’un collectif. Le Collectif Sauvons le Togo (CST) entra ainsi sur la scène politique nationale sans faire de bruit mais les griots qui ont prédit sa mort immédiate et sa moribonde vie en ont eu pour leur compte. La première sortie fut une réussite indicible ; le pouvoir en fut d’ailleurs ébranlé et épouvanté au point où on a dû recourir à l’injustice et à la dictature pour disperser le sit-in de trois jours prévu au carrefour Deckon.
 
Des avocats connus pour leur engagement au service des droits et libertés en association avec des responsables politiques dignes de foi ont perturbé le sommeil de Faure Gnassingbé et de son pouvoir. L’acharnement auquel le CST a été soumis ensuite est la preuve qu’il est dorénavant pris au sérieux. La bombe de la marche des femmes en tenue d’Eve en a rajouté au rayonnement du collectif qui, en quelques mois d’existence, peut se féliciter d’avoir conquis le cœur des populations et d’avoir drainé des foules au cours de ses manifestations. Quoi qu’on dise, le collectif peut se réjouir d’avoir empêché Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio d’organiser « leurs » élections législatives à la date qui leur aurait plu. Ils ne l’ont jamais imaginé sans doute mais c’est arrivé. L’année qui s’annonce réserve vraisemblablement d’autres surprises de la part du collectif. L’opération « les derniers tours de Jéricho » actuellement en cours n’a pas encore révélé ses secrets. Les observateurs sont impatients de voir ce qu’il va en être.
 
On remplirait des colonnes et des pages à faire le bilan de l’année qui finit dans 10 jours. A défaut d’en dire tout, il est intéressant d’en retenir ces événements qu’on a décrits dans le tableau ci-dessus. Dix jours c’est peu mais beaucoup de choses peuvent encore se passer. Un bilan pourrait s’imposer encore, à tout instant.
 
Nima Zara
 
Le Correcteur N° 401 du 20 décembre 2012
 

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