Depuis la réélection contestée du président Yayi Boni, en mars 2011, le Bénin s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise sociopolitique qui menace les acquis démocratiques de la Conférence nationale de 1990.

Vingt ans après la désormais historique Conférence nationale du Bénin (démarrée le 19 février 1990) et le retour au pluralisme démocratique, la jeune démocratie béninoise a du plomb dans l’aile. C’est le moins que l’on puisse dire eu égard à l’évolution sociopolitique du pays ces dernières années. Les élections présidentielle et législatives de 2011 n’ont fait que corroborer les inquiétudes grandissantes des Béninois à ce sujet. D’autant que le pays n’avait jamais connu des élections aussi douteuses que catastrophiques. La double crise politique avec l’opposition et sociale avec les syndicats qui s’en est suivie en est la preuve.
 
Point n’est besoin de revenir sur les dysfonctionnements concernant le fichier électoral, le non respect des textes et règlements en matière électorale, les cafouillages de la Commission électorale nationale autonome (Cena) et de la Cour constitutionnelle. Autant de situations ajoutées à la gestion des affaires publiques qui ont révélé une nette régression démocratique.
 
Au lendemain de la réélection contestée du président Boni Yayi, le régime au pouvoir veut conduire le pays à une nouvelle étape: la refondation. Le mot est quasiment dans tous les discours du président de la République et de ceux qui le soutiennent. Sans que la grande majorité des Béninois sache réellement ce que renferme ce vocable. Toujours est-il que beaucoup pensaient que la refondation en question concernait la gestion des affaires publiques par son régime ou la kyrielle de partis et de mouvements qui le soutiennent. Il n’en est manifestement rien. Il s’agit de faire réviser la Constitution.
Levée de boucliers
 
Dans son discours d’investiture le 6 avril 2011, Boni Yayi avait déjà annoncé les couleurs au sujet de sa volonté de réviser la Constitution du 11 décembre 1990. En fait, l’annonce n’avait rien de nouveau puisqu’il avait commis auparavant une équipe à cet effet. Mais les Béninois ne savaient pas encore à quoi va rimer cette révision constitutionnelle ou cette refondation en d’autres termes.
 
Il est vrai que la Constitution de la République du Bénin (PDF) a prévu les mécanismes de sa révision. Mais il est à craindre qu’après avoir réussi le tour de force de se faire réélire et de se doter d’une majorité à l’Assemblée nationale en écrasant l’opposition par tous les moyens, il soit tenté par une révision par voie parlementaire plutôt que référendaire. Sans qu’il y ait véritablement un débat national sur les fondements de cette révision. Et pour cause, les intellectuels et la société civile qui ont des récriminations sur le contenu même de la refondation se mobilisent déjà. Pour Me Joseph Djogbenou, président du Front des organisations de la société civile pour des élections libres, transparentes et pacifiques, «si la refondation est de toucher à la Constitution, qu’on ne touche pas à la Constitution…On n’acceptera pas ça».
 
En effet, beaucoup de points suscitent des crispations dans le projet de refondation en perspective par le régime de Boni Yayi. Plutôt que de renforcer le pouvoir de la justice par exemple, elle prévoit à l’avenir de faire valider les décisions de justice par la Cour constitutionnelle. Un point qui provoque un tollé général. Quand on sait la collusion qui peut exister entre cette institution et l’exécutif, il y a de quoi susciter une levée de boucliers.
 
«Si révision constitutionnelle il doit y avoir, il faut que la justice soit plus indépendante et capable de s’autosaisir directement notamment à propos des affaires publiques et des hommes politiques», commente le journaliste Serge Félix N’Piénikoua. Il ajoute: «Une justice plus indépendante est à coup sûr le gage d’une meilleure gouvernance et d’un respect des principes démocratiques.»
 
Le péril jeune
 
Ces dernières années, la gestion des affaires du pays a engendré de nombreuses frustrations à divers niveaux. Les multiples scandales sur fond de corruption ont entamé la crédibilité de la classe politique qui a présidé aux destinées du pays jusqu’à nos jours. Au point de faire naître un conflit de générations. Les régimes qui se sont succédé n’ont guère pu apporter de réponses adéquates aux préoccupations des jeunes en termes d’avenir. Des statistiques officielles indiquent que le taux de pauvreté est passé de 28,5% en 2002 à 37,4% en 2006. Et cette courbe ascendante n’a pas été inversée. Bien au contraire. Il y a fort à parier que les jeunes Béninois de plus en plus laissés pour compte, sans perspective d’avenir, se fassent entendre par d’autres moyens. Comme dans bien d’autres pays africains où le ras-le bol a conduit à une refondation sociopolitique, par la force de la jeunesse.
 
En attendant le grand débat sur la révision de la Constitution ou la refondation, la société civile fourbit ses armes ainsi que les différentes composantes de la nation. Est-il encore besoin de souligner que vers la fin du mandat de l’ancien président Mathieu Kérékou en 2006, ce sont les partisans du président Boni Yayi qui s’étaient vigoureusement opposés à sa révision. Alors que celui-ci entame son dernier mandat, ils rament maintenant à contre-courant. Cette attitude paraît on ne peut plus suspecte pour beaucoup de Béninois qui ont bien des raisons d’être encore plus vigilants. D’autant plus que lors du dernier bras de fer gouvernement-syndicats, Boni Yayi n’a pas hésité à franchir le Rubicon en cherchant à recourir à l’armée pour régler un conflit purement d’ordre social.
 
Pour nombre de jeunes, la grande question est de savoir si ce sont de nouvelles politiques et une nouvelle façon de gérer le Bénin qui vont leur redonner espoir ou si c’est la révision de la Constitution, dont on ignore la finalité, qui va apporter des solutions à leurs problèmes.
 
«Ce n’est pas la révision constitutionnelle qui va nous construire des amphithéâtres ou donner du travail aux millions de jeunes du Bénin. C’est à croire qu’ils n’ont rien d’autre à faire que d’être obnubilés par leur pouvoir et comment le renforcer», confie Justin Oklégbo, un étudiant en droit.
 
Vraisemblablement, c’est du débat national qui ne doit en aucun cas être occulté que dépendra l’avenir de la refondation. Et tous les Béninois l’attendent de pied ferme. Car, il est hors de question de faire un passage en force, au moyen de subterfuges politiques, comme on l’a fait pour les différentes échéances électorales.
 
Marcus Boni Teiga
 
source : Slate Afrique

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