Togo / Des hommes contraints à l’exil pour leurs vertus

Il était à la tête de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) et avait une carrière tranquille et prospère de magistrat. Le 16 septembre 2011 il fut requis pour un devoir patriotique, celui de mener les investigations pour vérifier les allégations de tortures dans le dossier Kpatcha Gnassingbé. Pour avoir dit la vérité, il s’est vu contraint de fuir la terre qui l’a vu naître pour sauver sa peau. Et il devra rester en exil pour le restant de sa vie. Il n’aurait pas cru si quelqu’un lui avait prédit un tel sort un an plus tôt. Lui, c’est Koffi Kounté.
L’information a été rendue publique au cours du week-end, et nous l’avons relayée. L’asile politique lui a été accordé, suite à sa demande introduite dans ce sens le 21 février au ministère français des Affaires étrangères, au lendemain de sa fuite du Togo. C’est en tout cas un article de l’AFP qui l’a annoncé, citant un communiqué de Dominique Baudis, Défenseur des droits, nommé le 22 juin 2011 par le président Nicolas Sarkozy. « Très sérieusement menacé et craignant pour sa vie et celle de sa famille à la suite de la publication de ses conclusions, M. Koffi Kounte a été contraint de quitter Lomé en toute urgence. Le gouvernement français a permis à M. Kounte d’accéder à la procédure d’asile et à sa femme et ses enfants de le rejoindre en France, où ils viennent d’arriver », précise le communiqué de M. Baudis. p
Kounté, un exil peut-être à vie…
Une page venait ainsi d’être fermée pour l’ancien président de la Cndh et une autre s’ouvre devant lui. Il règle une fois pour de bon le problème de sa sécurité et celle de sa famille. Mais il devrait avoir toute sa vie le sentiment de révolte contre la nature, qui semble rétribuer de façon inique une vertu recommandée par les Saintes écritures, le devoir de vérité. Tout porte à croire que seuls les obscurantistes ont leur place au Togo. Même si du côté administratif sa situation est enviable puisqu’ayant obtenu de façon régulière l’asile politique, dans un pays qui s’affuble du titre de Terre des droits de l’Homme, un sésame que beaucoup de réfugiés politiques cherchent en vain, la vie dans un pays qui n’est pas le sien est une autre paire de manche. Il devra tout recommencer, lui qui avait pourtant une carrière tranquille et dorée de magistrat, de même que sa femme. Et on parie que la tâche ne leur sera pas aisée, surtout qu’on n’a pas affaire à des jeunes, qui s’adaptent très vite à des situations. Le tribunal de Lomé qui occupait leur quotidien et faisait partie de leur vie, leurs collègues magistrats, proches parents et amis etc., ils ne pourront plus voir tout ce beau monde, du moins pour un bon bout de temps. Ils auront le mal du pays et seront constamment tiraillés par l’envie de rentrer.
M. Koffi Kounté et sa femme auront-ils dans leur exil des carrières aussi dorées que celles qui étaient les leurs au Togo ? Voilà toute la problématique, et c’est tout le mal que l’on puisse leur souhaiter. La nature récompensant toujours les hommes vertueux, elle devrait sans doute récompenser l’amour de la vérité et la probité morale de Kounté qui lui coûtent l’exil, des vertus devenues rares dans ce monde et lui permettre d’avoir une bonne suite de carrière professionnelle. Ce sort n’est pas sans rappeler celui d’un certain François Akila-Esso Boko.
François Boko, le devancier
Voici depuis bientôt sept (07) ans que l’homme a quitté son pays. Dans les circonstances presque similaires que celles de Koffi Kounté. Si l’ancien président de la Cndh est contraint à l’exil pour n’avoir pas voulu cautionner le mensonge, le péché de l’ancien ministre de l’Intérieur lui, est d’avoir refusé d’avaliser le massacre de ses compatriotes, en avril 2005. En effet le 5 février 2005, Eyadéma qui avait régné durant 38 ans sans partage sur le Togo cassait la pipe. Le pouvoir était en jeu et il fallait agir vite pour éviter de le perdre. L’armée l’accapara et l’offrit à Faure Gnassingbé, sur un plateau d’or. Nuitamment, les députés furent réunis pour habiller juridiquement la forfaiture. Comme dans un conte de fées, le « Leader nouveau », à l’époque ministre fut fait député, président de l’Assemblée nationale puis président par intérim du Togo. Il devait même terminer le mandat de son géniteur avant d’organiser les élections. Mais il fut ramené à ses chères études par les pressions de l’opinion nationale et internationale. Il se retire du fauteuil au profit d’Abass Bonfoh – l’autre cas – qui devrait organiser l’élection présidentielle le 24 avril 2005. Sans pour autant renoncer au pouvoir. Ce retrait était juste une stratégie pour revenir en force. Il fallait coûte que coûte qu’il reprenne le fauteuil, et tous les moyens étaient permis. Un plan de massacre des populations a été mijoté dans les arcanes du pouvoir, sachant que les Togolais allaient descendre dans les rues pour défendre leurs votes après le hold-up, et des armes acquises pour les besoins de la cause. François Boko, à l’époque ministre de l’Intérieur et patron de l’administration électorale, bien au fait de ces préparatifs macabres et du danger devrait-il croiser les doigts et laisser tuer ses compatriotes ? C’est alors qu’il prit ses responsabilités et rendit le tablier.
« Les conditions politiques d’une élection qui réconcilie le Togo avec lui même sont loin d’être remplies. Les passions sont exacerbées et la campagne électorale a été émaillée de violences jamais rencontrées dans l’histoire électorale de notre pays. Dans ces conditions, « la volonté d’organiser l’élection présidentielle […] constitue une menace pour […] la paix et la sécurité dans la société… » nous ont avertis le clergé et l’ordre des avocats le 15 avril dernier. De sources concordantes, les risques de dérapages sanglants de ce scrutin à l’issue incertaine sont réels et même actuels. Face à ce danger, la poursuite d’un tel processus électoral est suicidaire pour notre pays », écrit-il dans une lettre datée du 21 avril 2005 au président par intérim d’alors, Abass Bonfoh, avant de prendre ses responsabilités : « Par conséquent, et eu égard aux pressions émaillées de suspicions et de menaces qui pèsent sur ma personne ainsi que sur celle de plusieurs de nos concitoyens, j’ai décidé de rendre le tablier et vous prie de bien vouloir accepter ma démission ». « Puisse le peuple togolais, aidé par vous, faire preuve d’un sursaut national et renoncer à cette aventure électorale dont tous s’accordent à prédire les perspectives apocalyptiques », ajouta-t-il, demandant ainsi indirectement à M. Bonfoh de surseoir à l’organisation de l’élection.
C’était là son crime de lèse-majesté. L’acte posé était conçu comme de la trahison et il fallait le lui faire payer. Connaissant bien le pouvoir en place, François Boko a pris la sage décision de se réfugier à l’Ambassade d’Allemagne. Mais des sbires furent lancés à ses trousses pour le zigouiller. sentant le danger, les autorités allemandes ont dû l’exfiltrer nuitamment, pour lui sauver la peau. Cette protection offerte à un homme qui a voulu éviter le massacre de ses compatriotes coûtera à l’Allemagne l’incendie de l’institut Goethe.
C’est ce geste humain et salvateur de François Boko qui lui a donc valu l’exil. Depuis avril 2005, il est contraint de vivre loin de son pays où il n’est pas le bienvenu. Même dans son exil, ses détracteurs ne lui collent pas la paix. C’est le cas par exemple au Bénin où ils ont tenté de salir son image avec une histoire de fesses. Mais l’ancien ministre de l’Intérieur que le pouvoir de Lomé présente comme un paria, jouit assez bien de ses compétences sur le plan international. L’homme est devenu avocat au Barreau de Paris où il exerce au sein du cabinet Fénéon et Delabrière Associés, un cabinet spécialisé en droit OHADA, et monnaie ses compétences à travers le monde. De 2005 à 2009, il a effectué plusieurs missions de consultation au profit de l’Union Européenne dans le cadre des programmes de reforme des systèmes juridiques et judiciaires, notamment au Bénin, à Madagascar, au Burundi, au Cameroun, au Tchad, en Centrafrique. En septembre 2009, il fut nommé chef de mission du Programme européen d’Appui à la Justice au Tchad (PRAJUST). Depuis le 1er septembre 2010, il conduit la mission du Programme européen d’Appui à la Justice au Cameroun(PAJ).
François Boko et Koffi Kounté, voilà deux destins qui se croisent. Et on ne peut que souhaiter la même réussite à l’ancien président de la Cndh. L’histoire de ces deux messieurs prouve tout simplement qu’au Togo de Faure Gnassingbé, il n’y a pas de place pour les hommes vertueux. Seuls les menteurs, les pilleurs de la République, les violateurs des droits de l’Homme et de la Constitution, les faussaires, les criminels, les tortionnaires…sont les bienvenus. Vous avez dit « esprit nouveau » ?
Tino Kossi
liberte-togo.com

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