Le 8 janvier 2010, Kodjovi Obilalé était touché par deux balles lors de l’attaque du bus de la sélection togolaise dans la province du Cabinda. Tout proche de la mort, le gardien de but s’en est finalement sorti mais souffre de dysfonctionnements musculaires. Depuis Pontivy, en France, où il est revenu vivre, il crie aujourd’hui sa détresse et considère que le gouvernement et la fédération togolais l’ont abandonné à son sort.
 
Kodojovi Obilalé : Aujourd’hui ça ne va pas du tout. Rien ne va. Rien ne va, aussi bien moralement que physiquement, parce que là, aujourd’hui, j’ai envie de dire tout ce que j’ai sur le cœur et d’adresser un message fort à la fédération et au gouvernement togolais.
 
RFI : Qu’est-ce que vous avez envie de leur dire ?
 
KO : Eh bien aujourd’hui je me sens un peu délaissé. C’est toujours le mot approprié. Et puis, personne ne sait ce que je fais, ce que je suis devenu, comment je fais pour manger… Tout le monde s’en fout. Donc c’est un peu… Très, très, très malhonnête, je dirais.
 
Et puis, je ne sais pas si j’ai eu tort de porter ce maillot. J’ai été toujours content de porter ce maillot, toujours fier d’être togolais. Donc aujourd’hui, si tout se passe aussi mal de mon côté… C’en est trop. Je n’en peux plus. C’en est trop. Il faut que ça bouge. Moi je ne vais pas utiliser mon crédit pour appeler les membres de la fédération. Il n’y a personne qui demande après moi ! Personne ! Personne ! Je n’ai pas de nouvelles !
 
Après, les gens me disent : « Voilà, on a des trucs pour toi… » Aujourd’hui, je vis dans un pays où tout est cher. Et puis j’ai une famille et des gens qui m’attendent dans mon pays. J’ai ma mère, j’ai mes frères… Je n’ai pas porté le maillot d’un quartier ! Il faut que ça bouge !
 
RFI : Vous demandez que la fédération togolaise de football et le gouvernement togolais vous viennent en aide, notamment financièrement, parce que vous n’arrivez plus à vous en sortir ?
 
KO : Mais financièrement, aussi bien que moralement. Même si ce n’est pas financièrement, si ça ne va pas se faire dans l’immédiat, il faut au moins que je reçoive des appels qui me donnent le courage et la fierté de faire ce boulot.
 
Je me dis aujourd’hui que je ne sers plus à rien. Je suis comme un légume. J’ai porté ce maillot, même si ça ne fait pas beaucoup d’années… Et puis j’ai versé mon sang pour ce pays. C’est quelque chose de très fort ! Il ne faut pas que les gens prennent les joueurs… Aujourd’hui ils sont bien, ils sont sur deux jambes et puis après on les jette. Ca ne doit pas se faire comme ça. Il faut que ça marche, pour que le football togolais avance.
 
Ca peut arriver demain ou après-demain avec d’autres joueurs. Comment ça va se passer ? Aujourd’hui, si mon fils me dit : « Je vais jouer pour le Togo ». Qu’est-ce que je peux lui dire ?
 
RFI : Et si les choses ne bougent pas, qu’est-ce que vous envisagez de faire ?
 
KO : Aujourd’hui, je n’ai rien qui est en mon pouvoir pour faire bouger les choses. Je ne sais pas quoi faire, mais je passerai par les moyens nécessaires, et je parlerai à haute voix.
 
De toute façon, moi je n’ai plus rien à perdre. Je suis un mort-vivant. Là où je suis, j’ai des seringues partout. Voilà, c’en est trop là. Je vais devenir quoi ? Un clochard ? Traîner dans la rue, demander de l’argent aux gens ? Il faut que ça bouge ! Parce que là, je n’en peux plus !
 
strong>RFI : Est-ce que vous avez reçu les aides promises par la FIFA ? Les 72 000 euros… Et est-ce que la FIFA et la CAF vous appellent pour prendre de vos nouvelles ?
 
KO : Les gens pensent qu’aujourd’hui, les 72 000 euros sont dans ma poche. Que ce sont des sous que j’ai encaissés et voilà, je suis riche. Ca ne se passe pas comme ça. Moi, je ne suis pas assuré à 100 % ici. Il y a des frais. Il y a des choses à régler. J’ai réglé tout ça. Les gens pensent que c’est bon. « Le petit, il a eu ça… Voilà… C’est bon… Il est à l’aise ». Mais à l’aise de rien du tout !
 
Vous imaginez ? C’est l’UNFP qui est en train de prendre mon dossier en main, alors que je ne joue pas avec l’équipe de France. C’est une honte pour moi ! Une honte ! J’ai honte ! J’ai honte ! Franchement, j’ai trop honte ! Mais que faire ? J’en ai besoin ! Ils m’ont proposé de m’aider, de me trouver une formation.
 
Est-ce qu’il y a quelqu’un du gouvernement ou de la fédé qui m’a appelé pour me dire : « Ecoute, il y a ça, on va te faire ceci… Chaque fin du mois tu auras ça… ? » Moi, j’ai joué. Aujourd’hui, je suis handicapé. Normalement je n’ai pas à demander à droite à gauche avant de trouver quelque chose ! Je n’ai pas à demander ! C’est affreux tout ça !
 
RFI : Emmanuel Adebayor se posait récemment la question sur RFI, de savoir si la fédération togolaise avait effectivement reçu des billets pour aller en avion à Cabinda, durant la dernière Coupe d’Afrique des Nations, là où il y a eu cette attaque de votre bus. Est-ce que vous aussi, vous vous interrogez sur ce sujet ?
 
KO : Aujourd’hui, on parle de billet d’avion parce que la CAF nous avait suspendus à cause de ça. On veut savoir où ils sont, ces billets d’avion. Peut-être que c’est ce que mon capitaine est en train de demander. Mais il faut trouver tout ça ! Pourquoi ces gens étaient là, au bon moment, pour tirer sur notre bus ? Que sur notre bus ? Il faut que l’enquête soit faite. Que l’on sache la vérité. Pourquoi ces gens-là ont gâché nos vies ? Aujourd’hui, moi, je veux savoir pourquoi. Pourquoi ils ont tiré sur nous ? Pourquoi on a pris le bus ? Le gouvernement angolais va envoyer un avocat, il va nous demander ce que nous voulons aujourd’hui.
 
Même aujourd’hui, on peut me donner tous les sous du monde entier, ça ne va jamais me ramener mon pied droit. C’est fini ! C’est comme ça. Et aujourd’hui, il nous envoie ça pour nous dire : voilà, on va indemniser les victimes… Nous, on veut la vérité, après on va parler d’indemnisation. C’est comme ça que ça se passe. On veut la vérité. Et il faut que le gouvernement togolais fasse tout pour savoir la vérité. Que l’affaire soit claire ! Comme ça, notre football aussi va s’éclaircir. Tout le monde va savoir la vérité. La population togolaise aussi. C’est ce que notre capitaine est en train de réclamer aujourd’hui. Moi, je comprends tout à fait pourquoi il ne veut pas jouer.
 
C’est normal ! Il a été traumatisé ! Et je ne suis pas prêt, au jour d’aujourd’hui, à partir au Togo dans l’état où je suis. Moi, je n’envisage pas de partir aujourd’hui, parce que j’ai beaucoup de soins ici. Je n’ai que des aides de gens qui ne me connaissent pas, des gens qui sont à côté, qui sont autour de moi, du monde du foot français, qui sont là pour moi, qui prennent l’initiative de me prendre une mutuelle pour que je m’en sorte. Donc, je profite de l’instant présent pour me soigner et m’en sortir. Donc voilà. Aujourd’hui je ne suis pas près de retourner au Togo.
 
Par Pierre Firtion

 

source: RFI

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