Beaucoup de Togolais ne reconnaissent pas à l’évidence le plus jeune ministre de ce pays qui avait dû prendre la poudre d’escampette pour avoir déclaré que feu Eyadèma est de mauvaise foi. Plusieurs faits ainsi que l’ambiguïté de son FRONT-SAGE, qui n’est pas très loin d’un placebo ou d’un antalgique, inclinent à s’interroger sur la pertinence des actions de l’avocat et sur sa finalité réelle. Le FRONT-SAGE ne serait-il qu’un bel alibi pour détourner l’attention des missions souterraines ?
 
La chanson du mémorandum
 
Le mémorandum de 9 pages signé de Me Degli est un long discours qui a plutôt l’air d’un catalogue de bonnes intentions. Sous réserve d’y revenir plus loin, on a le sentiment en lisant le mémorandum, de revoir ce que Kodjo Agbeyomé, Jean-Pierre Fabre ou encore Dodji Apevon publient tous les jours, tous les mois et dont le pouvoir en place se moque sans doute. Le mémorandum du FRONT-SAGE a ainsi l’allure du déjà entendu et, hormis la personnalité de son auteur et des membres du front, dont certains méritent vraiment du respect, on pourrait sans risque aucun lui faire subir le sort d’un papier mouchoir.
 
Toutes proportions gardées, on pourra retenir que le mémorandum fait l’état des lieux de la situation politique, socio-économique du pays. Après le bilan de la lutte démocratique, le FRONT-SAGE fait des propositions pour que « la paix et la concorde retrouvent entièrement et véritablement droit de cité sur la Terre de nos Aïeux ».
 
Intitulée « Echec du processus démocratique », la première partie du mémorandum analyse les raisons majeures qui ont entravé l’avènement de l’idéal démocratique poursuivi par les Togolais  et les Togolaises au début des années 1990. Selon le mémorandum « les deux plus importants facteurs sont la mise en place d’une stratégie de la terreur par le régime RPT et l’incapacité de la classe politique d’opposition à pouvoir représenter et présenter une alternative crédible à la dictature en s’unissant autour d’un objectif commun ». Sans l’expliquer, le mémorandum fait une large place à la deuxième cause, la responsabilité de l’opposition. Il souligne les tergiversations  et lacunes étalées par les forces d’opposition et qui ont produit des effets et résultats contraires à ceux attendus. Querelles intestines, le populisme outré, la volonté ferme du « moi ou le chaos », la cupidité, la traîtrise, l’ignorance de l’intérêt général et l’immaturité sont entre autres les maux relevés par Me Degli qui en conclut que « cette situation a conduit à ce que la plupart des acquis démocratiques et de Bien-être obtenus suite à d’âpres luttes par le peuple sous la bannière du FAR sont demeurées (sic) lettre morte ou ont été vidés de leurs contenus ».
 
La deuxième partie décrit la situation actuelle du Togo en analysant les différents ressorts de la vie nationale : gouvernance politique, forces armées, situation économique. Pour Me Degli et le FRONT-SAGE, « le Togo vit un état de non démocratie » caractérisé par « l’absence d’un véritable Etat de droit qui est le seul dans lequel la Dignité et les droits des citoyens seront respectés ».
 
La troisième partie « les propositions de solutions » fait la liste des mesures qui sont susceptibles d’être prises afin que l’idéal du FRONT-SAGE soit atteint. Ces propositions couvrent le domaine politique et les problèmes socio-économiques et éducatifs. Entre autres éléments remarquables, le FRONT-SAGE estime qu’il est nécessaire de « trouver les mécanismes nécessaires pour mettre en œuvre le volet « réformes institutionnelles et constitutionnelles »  contenu dans l’Accord Politique Global (APG) », « trouver les voies et moyens les meilleurs pour régler d’une façon négociée le contentieux ANC/UFC/Pouvoir RPT qui empoisonne la vie politique », « trouver des voies et moyens pour permettre enfin à notre pays d’organiser des élections libres, transparentes et démocratiques », etc.
 
La dernière partie du mémorandum décrit la méthode ou la procédure à adopter pour recoller les morceaux.  Le FRONT-SAGE « considère que le meilleur cadre de discussion serait une assise regroupant des acteurs politiques, les représentants de l’armée et les forces de sécurité, les représentants de la jeunesse, de la société civile et de la diaspora ». En d’autres termes, le FRONT-SAGE appelle à un dialogue, un nouveau, qui « peut rejoindre l’idée de dialogue inclusif émise par le Chef de l’Etat le 31 décembre 2010 ». Elément important : tout cela doit être fait, en grande partie, avant le 12 avril « le seuil fatidique qui ne saurait être franchi sans que les Togolais ne soient rassurés qu’un processus irréversible est initié pour leur donner espoir ».
 
De quoi le FRONT-SAGE peut-il être capable ?
 
On ne sera pas pessimiste au point de multiplier par zéro les  chances de réussite de l’entreprise de Me Degli. Tous les Togolais de bonne volonté applaudiraient si c’est le FRONT-SAGE qui apporte la solution que l’on met  20 ans à chercher, sans la trouver, jusque-là. Les Togolais lui en sauront gré de ce que, en quelques mois de campagne, il a obtenu ce que des politiques, plus âgés et plus expérimentés que lui, n’ont pu arracher, en adoptant presque la même attitude que lui. On commentera alors que, une fois de plus, « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années. »
 
Toutefois, on ne peut pas ne pas montrer du scepticisme de ce que la proposition du FRONT-SAGE n’est nouvelle que par la tête de ceux qui la portent. Ce que Me Degli et les autres disent et proposent, les Togolais n’y verraient rien de nouveau qu’ils ont suivi rigoureusement le développement de l’actualité politique de leur pays ces douze dernières années. Le CAR de Me Agboyibo a ainsi proposé la refondation, Nicolas Lawson a demandé qu’une rencontre à base élargie soit organisée pour discuter des problèmes du pays, l’ANC et le FRAC n’ont jamais manqué l’occasion de rappeler la nécessité des réformes institutionnelles et constitutionnelles. De plus, le FRONT-SAGE fait légèrement sourire lorsque, découvrant que Faure Gnassingbé a déjà abordé le sujet de dialogue, il s’attache à souligner la différence entre sa proposition et l’idée du président du RPT, une différence d’ailleurs si subtile et difficile à appréhender qu’il faut dire qu’elle n’existe pas.
 
De quoi le FRONT-SAGE peut-il être capable ? La question a tout son sens du moment où on peut s’étonner et s’indigner de la précipitation avec laquelle Me Dégli veut résoudre le problème. Pourquoi en effet la date limite du 12 avril, quand on sait que, même pour l’APG, on a mis des mois pour aboutir à l’impasse actuelle, après le saupoudrage du gouvernement d’union nationale et des législatives contestées ? Sur la question, beaucoup d’observateurs estiment que Me Dégli veut aller trop vite et que pour cette raison, il n’y a pas vraiment à attendre le miracle de lui. Les mêmes observateurs soulignent le rapport douteux et malsain qu’il établit entre lui et les partis politiques. Quel résultat veut-il produire lorsqu’il diabolise ces partis et les traite comme des vassaux dont il attend qu’ils se mettent à son service en courant ? Dans le courrier que Me Dégli envoie aux partis politiques pour solliciter l’entretien avec eux, on lit une certaine condescendance et suffisance à leur endroit qui ne sont pas pour arranger la situation. « Nous espérons que d’ici le 12 avril 2011, date importante dans l’histoire du processus de démocratisation au Togo, nous pourrons avoir de vous une idée claire sur la façon dont la classe politique togolaise entend agir pour que notre opposition devienne véritablement porteuse des revendications du peuple et surtout la fasse aboutir » écrit-il en substance.
 
Pourquoi Me Dégli veut-il se substituer aux partis politiques ? Pourquoi veut-il les mener à sa fantaisie en les sommant de s’exécuter et surtout de lui livrer leur stratégie politique ? Une telle démarche serait pertinente avec un discours pareil si les forces politiques du pays avaient instruit le FRONT-SAGE de les aider à s’unir et à agir en synergie. Tel n’étant pas le cas, Me Dégli se trompe de procédure en tentant de se donner des pouvoirs qu’il ne peut avoir et en se méprisant sur le contexte actuel de la politique togolaise. Depuis 20 ans, malgré l’échec de la lutte démocratique, la mentalité politique a évolué dans ce sens où seuls les actes permettent aux populations de juger les politiques. Les noms, labels et succès d’hier ne sont plus des sauf-conduit. Me Dégli ne le sait peut-être pas. De plus, si tant est qu’il est porteur  d’une idée originale capable d’insuffler une dynamique de succès à la lutte populaire, il aurait dû être plus conciliant, plus stratège en travaillant dans l’ombre à recoller les morceaux déchirés de l’opposition et à les aider à trouver la stratégie du « dernier assaut » ?
 
En creusant la réflexion, on en arrive à une source qui indique que l’action du FRONT-SAGE est une vaste imposture. S’inspirant des incohérences relevées ci-haut, cette source  soutient que Me Dégli serait en service commandé pour le pouvoir RPT dans l’objectif de fragiliser la dynamique de contestation et de détermination du FRAC et de l’ANC.
 
Pour cette source, le fait que Me Dégli diabolise à souhait l’opposition en la traitant de tous les noms d’oiseaux et lui imputant tous les péchés du monde est un signe qu’il veut faire du business qui ne peut s’accommoder de la présence ni de la vivacité d’une opposition, aujourd’hui davantage plus visible et plus audible à travers l’action de l’ANC et de ses alliés du FRAC. Le mépris que charrie le ton injonctif de la lettre adressée aux partis politiques est cité en appui. On ne comprend pas, à cette école, comment il se fait que Me Degli propose une formule qui n’est pas nouvelle et qu’il se permette de toiser et de mépriser les politiques qui ont gardé allumé le flambeau de la lutte démocratique avant son retour d’exil. La formule n’est pas nouvelle, cela suppose que cela a été déjà essayé. Des dialogues, c’est ce qu’on fait le plus dans la politique togolaise. Mais ils n’ont jamais rien produit de viable parce que le RPT est réfractaire à toute alternance qui demeure le véritable enjeu de la politique et des dialogues au Togo. Quelle garantie Me Dégli donne-t-il que son assise ne connaîtra pas le même sort ? Le confrère Le Regard a posé la question à l’avocat qui répond que « si demain les vieux démons de la mauvaise foi ressurgissent et que le pouvoir change de cap et veut faire autre chose que ce sur quoi on s’est mis d’accord, je suis en parfaite adéquation avec les autres collègues ». C’est terrible car Me Dégli ne dit pas qu’il a les moyens d’empêcher le RPT de faire ce qu’il a l’habitude de faire.
 
La source trouve également suspecte la manipulation organisée autour de la rencontre entre le FRONT-SAGE et les responsables de l’ANC. Selon un confrère, Me Dégli aurait échappé à un guet-apens tendu par les militants du parti s’il s’y était rendu. En se demandant l’intérêt pour l’ANC de tendre un guet-apens à Me Degli, cette source estime que cela participe d’une volonté de victimisation pour attirer l’attention sur soi et d’une logique d’incrimination de l’ANC, l’un des partis d’opposition, en vue de le discréditer et d’en donner une mauvaise image dans l’opinion.¡
 
Aussi la source sus-citée n’hésite-t-elle pas à conclure que Me Degli fait le jeu du RPT, ni plus ni moins. Le fait que l’avocat ait habité dans les locaux de la SNPT, ex OTP à Paris est avancé pour soutenir que s’il n’y avait pas d’intelligence entre lui et le pouvoir, il n’aurait pas du tout la liberté et l’opportunité d’habiter dans ces bâtiments qui relèvent du patrimoine du Togo, du pouvoir RPT donc.
 
Au total, on peut retenir que Me Dégli est libre de ses rêves. Vu que sa formule est trop simple pour faire mouche, il faut uniquement et exclusivement se soucier de l’aventure qu’il va faire faire à des associations de défense des droits humains très respectées comme le CACIT et la LTDH qui peuvent ne pas être dans le secret des dieux. Quand le montage aura accouché d’une souris, c’est pour ces associations qu’il faudra montrer de la pitié et de la solidarité.
 

 
Nima Zara
 
Le Correcteur 241 du Lundi 4 avril 2011
 
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