L’ambiance était électrique hier matin. Et c’était prévisible, au regard de l’atmosphère qui a régné les jours précédant la manifestation. D’un côté le gouvernement qui en toute illégalité et illégitimité, interdit la manifestation du Collectif « Sauvons le Togo » et déploie les forces de répression à Bè Château pour étouffer la marche, de l’autre les manifestants décidés à se faire entendre, convaincus de la légitimité de la cause défendue et d’être dans la légalité. Cela s’est traduit sur le terrain par des échauffourées. Mais le bras de fer, qui s’est caractérisé par une escalade verbale, aura surtout permis de constater que la République togolaise est vraiment à terre. Au regard du raisonnement superbement primaire tenu par des ministres du gouvernement, et nommément l’inénarrable Gilbert Bawara.
 
Sit-in interdit à Déckon, donc pas de marche !
 
Ces genres de propos ressemblent fort bien à ceux d’un paysan dont le raisonnement est proportionnel à son écosystème formé d’un champ et des outils familiers tels la houe, le coupe-coupe, la daba ; ou de ces jeunes désœuvrés qui passent leur temps à la plage ou vendeuses d’« agbélima » qui ne maîtrisent rien à la politique et aux lois qui régissent une République ; ou encore de ces « mon pays » zéro classe qui disent les choses au premier degré. Bref, de ces déshérités de l’école qui n’ont pas eu la chance de faire une année de philosophie et surtout le chapitre consacré à la Logique, donc pas toutes les ressources intellectuelles nécessaires pour aborder les sujets politiques. Mais ils sont d’un officiel de l’Etat, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, Gilbert Bawara, qu’on dit avoir étudié « chez les Blancs ».
 
« La manifestation du CST n’aurait de sens que si elle aboutit à Déckon. A partir du moment où Déckon ne peut pas être retenu comme point de chute des manifestations, je crois qu’il est plus sage de considérer que la marche en elle-même ne peut pas avoir lieu ». Ce sont les déclarations du préposé au gouvernement, reçu ce lundi par Gerson Dovo au cours du journal de 20 H sur la TVT. Comme le Collectif « Sauvons le Togo » n’a pas choisi un autre lieu que Déckon pour son sit-in, la marche n’a donc pas sa raison d’être, a-t-il dit en substances, se permettant même d’appeler les populations à rester chez elles.
 
La République chosifiée
 
Il faut le dire, c’est en effet un argumentaire du genre « Tonio de la Lune » -hum…Mais c’est typiquement Bawara, l’homme qui sort des insanités à chaque fois qu’il doit ouvrir sa machine à parler. On a tout de même toutes les raisons d’être estomaqué, quand on sait qu’il s’agit d’une affaire d’Etat, régie par des règles et procédures civilisées. Selon la loi du 16 mars 2011, pour interdire une manifestation, il faut que l’autorité compétente avance des raisons objectives. Et cet argumentaire qui motive l’interdiction de la marche même est farfelu et ridicule. C’est tout comme un père de famille qui arrache à son enfant son plat de riz et lui interdit de manger, parce que ce dernier aura refusé le jus de bissap qu’il lui propose en lieu et place du yaourt que sa progéniture aurait demandé en dessert. C’est simplement triste ! Le raisonnement de Gilbert Bawara est d’autant plus ubuesque que celui-ci n’a même pas compétence, au regard de la loi « Bodjona », pour interdire cette manifestation, vu qu’elle n’a pas un caractère national. En effet, c’est le maire ou dans le contexte togolais actuel, le président de la délégation spéciale de la commune qui est l’autorité destinataire de l’information et seul lui peut faire des observations sur l’itinéraire et autres. Or, en l’espèce, Fogan Adégnon a déclaré avoir pris acte de cette correspondance à lui adressée par les organisateurs des manifestations, en guise d’information. Les Togolais n’étaient pas au bout de leur étonnement. Dans un entretien accordé à une radio prisée de la place, Gilbert Bawara justifiait hier l’usurpation des prérogatives du Président de la Délégation spéciale de la ville de Lomé, le Contre-Amiral Fogan Adégnon par le fait qu’il soit placé sous son autorité. Qui peut le plus peut le moins, s’est-il justifié. A quoi sert alors la décentralisation ?
 
« La vache qui rit » n’aurait-il pas donné l’exemple de bon sens qui guiderait, selon ses mots, les actions du gouvernement, et donc l’animerait lui-même, en laissant la marche se dérouler tranquillement pour empêcher le sit-in à Déckon qui pose problème ? « Parfois quand j’écoute des gens qu’on dit avoir fait de grandes études, je me dis que ce n’est pas la peine d’aller à l’école. Et surtout lorsqu’il s’agit des officiels de l’Etat, qui sont censés l’élever par leurs actes et propos, je me désole davantage et je me dis que j’avais raison d’abandonner très tôt les études…Les étrangers ne doivent que se moquer de nous ! ». C’est la réaction de désolation qu’a eue un concitoyen ce lundi soir, outré par l’argumentation mondaine, inculte et primitive de la « La bouche venimeuse ».
 
La force, rien que la force
 
Au-delà de la banalisation de la République qui se traduit dans ces propos, c’est un message que le pouvoir a voulu faire passer à travers cette interdiction somme toute scélérate. Celui de la fermeté, de l’autoritarisme et de la force permanente. L’exemple du père de famille et de son fils donné plus haut peint à merveille cette situation. Et la litanie d’arguments avancés pour motiver l’interdiction et du sit-in, et de la marche, au regard de leur légèreté, n’est que du dilatoire pour justifier l’usage de la force. Tout d’abord l’alibi de centre commercial, de point sensible, de vandalisme, de risques de destruction des biens, bref, de sécurité des commerçants de Déckon tient à peine debout. D’autant plus que le lieu a déjà accueilli un sit-in du CST le 12 juin dernier, qui s’est poursuivi même la nuit, sans qu’une seule boutique ne soit vandalisée. C’est la répression policière le lendemain qui a engendré des troubles. L’autre argument qui porte à croire que l’autorité aime à mourir les commerçants du coin, veut donc sauvegarder leurs droits et privilégie leurs affaires aux dépens de la cause de tout un peuple prête à sourire, quand on se rappelle que ce fameux centre commercial qui est présenté comme le Dubaï du Togo, avait été fermé pendant plusieurs semaines voire des mois lors de la réfection du boulevard du 13 janvier à ce niveau, bloquant ainsi les activités. C’est bien drôle que les commerçants aient pu accepter ce temps d’arrêt de leurs activités et ne puissent pas supporter trois jours de sit-in. Ce qui prouve que les fameux commerçants de Déckon – sous réserve qu’ils en soient vraiment – qui ont signé la pétition qu’on a fait circuler n’ont été qu’instrumentalisés par le pouvoir. Les ambassadeurs l’ont même dit aux émissaires du gouvernement qu’on manifeste même devant la Maison Blanche à Washington, pour que les arguments avancés pour interdire l’accès à Déckon ne valent même pas un pet d’éléphant. Et comme pour mettre davantage à nu le dilatoire du pouvoir, les autorités ont finalement accepté que le sit-in s’organise à la Place de l’Indépendance, un lieu qu’on sacralisait et refusait d’accès au CST il y a encore quelques semaines. Mais les manifestants seront empêchés, à coups de grenades lacrymogènes de rallier ce lieu
 
Le Togo se veut un Etat de droit, régi donc par des lois édictées pour une coexistence sociale pacifique. C’est le régime en place lui-même qui a confectionné la loi sur les manifestations publiques pour les réglementer. Mais il chie sur ces textes et verse dans l’usage systématique de la force et la terreur. Juste parce qu’en face, il n’y a pas du répondant, on a affaire à des opposants et à un peuple « gentils » qui veulent user des moyens légaux conférés par la Constitution pour réclamer leurs droits. Une donne qui devra pousser les Togolais à explorer d’autres pistes pouvant créer l’équilibre de la terreur et entraîner chez les gouvernants une révision de comportements. A bon entendeur
 
Tino Kossi
 
 
liberte-togocom
 

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here