« Il n’y a pas de crise au Togo… Le Togo vit une vie politique normale», déclare-t-il
 
« Ca va très bien !». C’est ainsi que répondrait souvent un Togolais dont on s’enquit de l’état de santé, même sur une civière, ou une table d’opération chirurgicale, le bistouri dans le ventre. En fait, c’est l’image par laquelle certains peignent le comportement du Togolais typique, aimant souvent fuir ou enjoliver la réalité, même si elle est grave. Parlant de Togolais typique, Arthème Séléagodji Ahoomey-Zunu en est un. Pour lui, il n’y a aucun problème au Togo.
 
Pas de crise au Togo !
 
« Non, le Togo n’est pas en crise ». Ces propos ne sont pas d’un de ces militants zélés du Rpt-pUnir conscients de la situation mais résolus à la cacher, ou de l’autre supporter déshérité de l’école et inconditionnel du Fils du Père, qui n’a donc pas les ressources nécessaires pour apprécier la réalité. Ce n’est pas non plus une boutade. Ces déclarations sont de Son Excellentissime Arthème Séléagodji Ahoomey-Zunu. Et c’est la réponse qu’il a donnée à Paris le vendredi 5 octobre dernier, en marge de sa participation au 12e forum économique international sur l’Afrique organisé par l’Organisation internationale sur la coopération et le développement (Ocde), à un parterre de journalistes de la presse internationale qui voulaient s’enquérir de la situation au Togo. « Cette crise dont on parle est artificielle et n’existe que dans les médias. La vérité, c’est que le Togo vit une vie politique normale. Les manifestations qui se déroulent dans la capitale ne sont que l’expression de la vitalité de la démocratie togolaise. Les gens protestent contre un certain nombre de choses ; c’est normal. Mais les manifestations doivent se dérouler comme partout ailleurs dans le cadre des lois en vigueur », s’est laissé ensuite aller le Premier ministre. Togo-Presse parle d’« informations alarmistes distillées sur les médias, surtout en ligne, tendant à faire croire que le pays est en crise », et de « campagnes d’intoxications et de dénigrements orchestrées par certains de ses fils ».
 
Une crise bien réelle
 
Cacher le soleil avec ses mains, c’est ce qu’a voulu faire le Premier ministre par défaut. Bien plus, il a tourné en bourrique la crème de la presse internationale présente à cette conférence. D’autant plus que la crise est bien réelle au Togo et se vit tous les jours. C’est d’ailleurs elle qui a motivé son déplacement en Europe et surtout l’opération de charme entreprise à Bruxelles où lui et sa délégation composée, entre autres, du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, le phénomène Gilbert Bawara, ont essayé de peindre un Togo paradisiaque politiquement et mendié la caution de la communauté internationale au processus électoral en cours. Nous l’avons déjà souligné dans la parution de vendredi, l’Union européenne a une délégation dans notre pays et les grandes puissances occidentales ont leurs représentations qui suivent l’actualité au quotidien et rendent compte à leurs gouvernements, et le fait de se donner encore la peine d’entreprendre une tournée en Europe pour parler du processus est un aveu de l’existence d’une crise.
 
Le fait même pour Ahoomey-Zunu de chanter à Paris le soi-disant dialogue du gouvernement avec la classe politique en est un de plus. Parce que le dialogue politique, loin d’être une norme, est une exception. Dans « une vie politique normale », le gouvernement n’a pas besoin de dialoguer et courir tout le temps après la caution de l’opposition. Il prend des décisions et le débat que l’on peut assimiler à un dialogue se passe au Parlement, dans les Etats qui se veulent démocratiques. Dans les pays normaux, comme la France, les Etats-Unis, ou à côté comme le Bénin ou le Ghana, on n’entend nullement parler de dialogue tout le temps. D’ailleurs, pour la gouverne de cette presse internationale et de cet auditoire respectables qu’Ahoomey-Zunu a aussi facilement baratinés, notre pays en est au…dix-septième (17) dialogue en deux décennies. Preuve que le Togo vit dans une crise politique permanente depuis lors.
 
Pour revenir au contexte actuel, les législatives à venir devraient avoir normalement lieu dans les délais constitutionnels. Et la Cour constitutionnelle saisie début août par Faure Gnassingbé, a indiqué la fourchette du 12 octobre au 11 novembre 2012. Mais le scrutin ne saurait avoir lieu dans cette période, les préparatifs ayant du plomb dans l’aile. Rien d’actif n’est fait. Les préparatifs sont réduits à l’élaboration en solitaire et à l’adoption du Code électoral et du redécoupage, des lois contestées par l’opposition dans son ensemble, à l’exception des « podosants » et autres partisans du « manger aussi un peu ». La Commission électorale nationale indépendante (Céni) censée conduire la phase active du processus n’est pas encore recomposée. C’est maintenant que le personnel électoral est en train d’être recruté, pour être ensuite formé avant d’être déployé sur le terrain. La mission exploratoire souvent envoyée par l’Union européenne en amont de chaque échéance électorale pour prendre le pouls du terrain et jauger la possibilité de tenir le scrutin, n’est pas encore arrivée. Bref, les préparatifs piétinent. La situation est telle que même le premier partenaire de Faure Gnassingbé, Gilchrist Olympio est allé solliciter auprès de François Hollande le report du scrutin. Même si à son corps défendant, lui-même l’a nié le 05 octobre derner, lors d’une rencontre avec la presse.
 
Selon le dictionnaire en ligne wikipedia, une crise politique (ou crise de pouvoir) est une phase grave dans l’évolution de la situation politique d’un État qui entraîne des grèves, des manifestations, des mouvements sociaux, des émeutes ou plus grave, une révolte ou une guerre. S’il n’y a pas pour l’instant d’émeute, de révolte ou de guerre, il y a tout de même des manifestations empreintes de revendications politiques et sociales. C’est d’ailleurs depuis mars 2010 que la rue gronde, avec le Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac). Le Collectif « Sauvons le Togo » et la Coalition Arc-en-ciel manifestent régulièrement depuis quelque temps. A leur appel, des milliers de Togolais étaient encore dans les rues le vendredi 5 octobre dernier, pour commémorer le 22e anniversaire du soulèvement populaire et crier haro sur la gouvernance de Faure Gnassingbé. Mais la marche a été violemment réprimée, et on dénombre une cinquantaine de blessés. La violence policière est d’ailleurs devenue la norme dans notre pays.
 
Dans une vie politique normale, les citoyens ne descendent pas aussi régulièrement dans la rue et on ne les réprime pas aussi violemment avec le matériel qu’eux-mêmes ont participé à acheter. Dans une vie politique normale, surtout dans un pays qui se réclame de droit, on ne torture pas et on n’envoie pas des milices aux trousses des citoyens qui veulent juste manifester pour revendiquer leurs droits, des élections transparentes, la fin de l’impunité… C’est pourtant ce qui s’est passé le samedi 15 septembre dernier à Adéwui où des gens, sous l’instigation du pouvoir, sont sortis avec des machettes, des couteaux, des gourdins cloutés et autres armes pour agresser des militants et sympathisants de l’opposition, sous prétexte de défendre leur quartier. Et devant des forces de l’ordre déployées, mais qui ont laissé faire. Ces événements porteurs de germes d’implosion et de guerre civile ont été dénoncés par le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (Hcdh) et le groupe des cinq ambassadeurs du monde civilisé (sic). Les Etats Unis d’Amérique sont allés jusqu’à appeler leurs ressortissants à observer certaines mesures de sécurité.
 
La crise que s’emploie à nier Ahoomey-Zunu est bien réelle, et d’ailleurs multiforme. Elle n’est pas seulement politique, elle est aussi économique et sociale. Ce sont tous les secteurs d’activités qui sont atteints. Les enseignants ont dû hausser le ton dernièrement pour réclamer de meilleurs traitements, et c’est ce qui a prévalu au report de la rentrée du 24 septembre au 8 octobre dernier. Même si la reprise des classes est effective depuis lundi, il y a encore des mouvements dans l’air. La tempête n’est pas totalement calmée dans le monde médical est aussi sur le qui-vive. Ce n’est pas non plus la sérénité sur les campus universitaires. En plus des sempiternelles réclamations de meilleures conditions de vie et d’études des étudiants, la crise vient d’être exacerbée par l’exclusion scélérate le 11 septembre dernier des Universités du Togo des leaders des mouvements de contestation au campus de Kara, vingt-six (26) en tout. Les étudiants de Kara viennent de créer un regroupement, le Collectif « Sauvons Les Etudiants » pour exiger la réintégration de leurs camarades. Il y a une crise de confiance réelle entre le pouvoir Faure Gnassingbé et les populations. La crise politique est bien réelle, au point qu’aujourd’hui, c’est le départ même de Faure Gnassingbé du pouvoir qui est réclamé par le CST et la Coalition Arc-en-ciel. Et ce n’est pas pour le roi de Prusse que le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Saïd Djinnit était récemment au Togo où il a rencontré l’opposition et Faure Gnassingbé à qui il a demandé l’organisation des élections avec des gages de transparence. C’était une mission visant à prévenir le pire. Mais Ahoomey-Zunu lui, ne voit rien. C’est juste l’histoire de l’homme qui fait semblant de dormir, et qu’il est difficile de réveiller.
 
Tino Kossi
 
 
libete-togo
 

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