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A cinq semaines du match d’ouverture de la Coupe d’Afrique des Nations 2013, les Togolais retiennent leur souffle et se posent des tas de questions sur ce qui sera de la participation du Togo à cette compétition. Chose tout à fait normale quand on se rend compte des problèmes qui minent la sélection nationale. Boudée par Emmanuel Adébayor son capitaine et meilleur joueur, désertée par d’autres joueurs cadres et éléments clés, quasi abandonnée par le sélectionneur qui n’est plus sûr de la conduire, l’équipe nationale n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’elle-même. En une semaine, les joies de la qualification se sont transformées en cauchemars. Tout ceci, par la faute de dirigeants arrivistes et corrompus dont le souci est non d’œuvrer pour le rayonnement du foot national, mais de se remplir les poches encore et encore.
 
Samedi 24 novembre 2012, soit dix jours après le match amical Maroc-Togo joué le 14 novembre, patatras. Sur radio Fréquence 1, une radio privée de la capitale, Emmanuel Adébayor n’y va pas par le dos de la cuillère. Dans une sortie très remarquée, l’attaquant vedette de la sélection ouvre le feu sur la Fédération togolaise de football et plus précisément sur son patron, Gabriel Améyi, accusé de ne pas mettre les joueurs dans les meilleures conditions alors que la compétition est imminente. Les termes sont agressifs, le ton est dur et les menaces précises. « A la Fédération, chacun pense à sa poche. Nous n’avons pas été réglés pour les primes de voyage de campement. Certains en ont eu, d’autres ont eu la moitié, etc. C’est dommage. Je ne sais pas comment on peut préparer une Can comme cela », a lâché l’attaquant fétiche du Onze togolais, parlant du match amical joué contre le Maroc à Marrakech. Et de poursuivre, « Lorsque les joueurs viennent me voir pour me demander leurs primes après le match, j’ai eu honte parce que je ne savais pas quoi leur dire. Quand le président me dit qu’il n’y a pas de primes, et qu’après la rencontre j’appelle les membres de la Fédé marocaine pour savoir comment le match a été organisé et qu’ils me disent qu’ils ont versé 35.000 euros à Améyi pour ce match, je me suis demandé où allons nous ? L’argent est parti où ? Je ne sais pas. Est que le président ment ? Je ne sais pas. Mais pourquoi le gars de la fédération marocaine me raconterait-il des trucs faux ? », s’est interrogé l’attaquant de Tottenham.
 
A propos des équipements, le capitaine des Eperviers a estimé qu’ils n’en ont pas suffisamment eu au Maroc et accuse Améyi Gabriel de s’en être accaparés. Shéyi va plus loin et accuse, en des termes à peine voilés, le patron de la Fédération et le ministre des Sports de surenchère. D’après lui, les deux messieurs seraient en train d’envisager une négociation avec les joueurs pour leur demander une commission de deux millions de Fcfa chacun s’ils arrivaient à convaincre le gouvernement de leur verser les 15 millions de Fcfa qu’ils demandent comme prime de participation à la CAN.
 
La réaction de Gabriel Améyi ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué rendu public quelques jours après la sortie du capitaine des Eperviers, le président de Maranatha FC a indiqué qu’à propos du match contre le Maroc, la Fédération n’a reçu de l’Etat que la somme de 19.229.200 francs CFA destinée au remboursement des billets d’avion de certains joueurs dont les titres de voyage n’ont pas été émis de Lomé, au paiement des primes de campement, des frais de blanchisserie, pharmacie et eau. « En aucune manière, les frais d’organisation versés par le pays hôte n’étaient destinés à payer les primes de victoire des joueurs mais à couvrir les dépenses administratives engagées par la FTF avant, pendant et après le match », peut-on lire dans le communiqué.
 
En ce qui concerne les équipements, la Fédération a estimé qu’ils ont été toujours bien gérés quelque soit le lieu où ils sont gardés et que les problèmes qu’il y a eu au Maroc sont dus au fait qu’ils n’ont été réceptionnés qu’à la veille du match.
 
Gabriel Améyi a par ailleurs indiqué qu’il n’a jamais été question d’une quelconque surenchère par rapport aux primes de participation, de victoires et de matches nuls à la Coupe d’Afrique des Nations 2013. En somme, le président de la FTF a nié les accusations d’Adébayor sur toute la ligne.
 
48 heures après les explications fournies par la Fédération, c’est autour du ministère des Sports de faire sa sortie. Fofana Bakalawa est à son tour monté au créneau pour donner sa version des faits. Selon le ministère des Sports, l’État, à travers le ministère de l’Économie et des Finances avait « exceptionnellement » mis un crédit de quarante-quatre millions cent cinquante mille (44.150.000) F CFA pour couvrir les dépenses du match amical joué le 14 novembre 2012 à Casablanca au Maroc. D’après ce ministère, dix-neuf millions deux cent vingt-neuf mille deux cents (19.229.200) F CFA de cette somme auraient été remis en « espèce » à la Fédération togolaise de football par les services financiers dudit ministère. Quinze millions cinq-cents mille (15.500.000) F CFA de cet argent ont servi à « payer les primes de campement aux joueurs », trois cent trente mille (330 000) ont été dépensés pour l’achat de produits pharmaceutiques, d’eau et pour le blanchissage des tenues des joueurs et trois millions trois cent soixante-dix-neuf mille deux cents (3.379.200) ont servi au remboursement des titres de voyage des joueurs. Le reliquat des quarante-quatre millions cent cinquante mille (44.150.000) F CFA, indique le ministère des Sports et des Loisirs, à savoir vingt-quatre millions neuf cent quatre-vingts mille huit cents (24.980.800) F CFA aurait servi à l’achat des billets par le « service du matériel du ministère de l’Économie et des Finances aux autres joueurs et membres du staff technique ». Pour finir, le ministère dirigé par Fofana Bakalawa a « tenu à rassurer » le public sportif togolais sur la bonne gestion des fonds injectés dans le football, ce qui, a-t-il dit, s’est matérialisé par la mise en place le jeudi 22 novembre 2012 de trois comités de pilotage de l’organisation des modalités pour la participation des Éperviers du Togo à la prochaine Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2013.
 
De flou en flou. Car, ni le communiqué rendu public par Gabriel Améyi, ni la sortie du ministre Bakalawa Fofana sur l’affaire de gestion des primes des Eperviers, n’ont suffit à éclairer la lanterne du public togolais. Des faits qui ont poussé Emmanuel Adébayor à ne faire d’autres choix que de se retirer de l’équipe nationale pour ne pas cautionner la mauvaise gestion des instances du football national. « En toute franchise, la sélection est mal gérée et il n’existe aucune volonté de réaliser de grandes choses. Nous souffrons même d’un manque en équipements, alors que les enfants du président jouent avec des maillots de la sélection dans les rues de Lomé. Avant, tout le monde était derrière la sélection et cela nous avait permis d’aller en Coupe du monde, mais actuellement, il n’y a que les journalistes qui essaient de nous soutenir. C’est pour ça que je ne suis pas motivé pour aller à la CAN. Il faut que ça change ! », a declaré Adébayor.
 
Cette décision est d’autant plus grave qu’Adébayor est soutenu par d’autres joueurs clés de la sélection. Agassa Kossi, Mani Sapol, Prince Ségbéfia, Komlan Améwou, Alaixys Romao (pour ne citer que ceux-là), tous des joueurs clés, pourraient bouder la sélection. Quand à Didier Six, le sélectionneur national, il dit « réfléchir » à son avenir avec l’équipe du Togo, sans abdiquer pour le moment.
 
Gabriel Améyi, le cancer du football togolais
 
Les problèmes du football togolais ont commencé depuis 2006, année où l’équipe nationale s’est qualifiée pour le mondial allemand. La tragicomédie offerte par la délégation togolaise à Wangen est encore dans les esprits. Cette année, celui qui tenait les manettes de la Fédération était Rock Gnassingbé. Critiqué, insulté et décrié pour sa gestion cavalière et catastrophique de l’instance dirigeante du foot national et pour n’avoir pas bien organisé la participation du Togo à la coupe du monde, il n’a pas tenu devant un certain Tata Avlessi au cours du congrès qui a suivi. L’homme de Masséda l’a certes battu, mais sa victoire ne fut que de courte durée. Les problèmes ont repris de plus belle et la situation était telle qu’il a fallu organiser un congrès extraordinaire qui a vu le retour de Rock Gnassingbé. Mais la maison était déjà très invivable et suffisamment pourrie et ce n’est pas le retour du demi-frère du chef de l’Etat qui fera l’affaire. Règlements de compte, coups bas, pièges, voilà en quoi se résume le petit temps que passera Rock à la tête de la FTF avant d’être de nouveau délogé par son vice-président Gabriel Améyi, élu après un nouveau congrès extraordinaire.
 
D’aucuns croyaient que l’arrivée du fils de Womé à la tête de la FTF allait enfin apporter la sérénité à notre football. Mais, nenni. Gabriel Améyi reprit avec les vieilles habitudes de ses prédécesseurs et ne tardent pas à récolter les critiques des membres de son bureau. Ces critiques qui étaient jusque là officieuses ont été mises au grand jour suite aux dernières déclarations d’Adébayor. Le second vice-président de la FTF, Tino Adjété, dans une lettre ouverte envoyée à son président, lui a reproché de gérer la fédération de manière cavalière. « Il y a bien longtemps que seul, vous vous êtes accaparé l’essentiel des rôles dévolus aux membres élus du Bureau exécutif de la Fédération Togolaise de Football (FTF). En ma qualité de vice-président, il ne s’agit plus de vous en dissuader maintenant. Mais, tant qu’à me dissocier de cette pratique abusive et intempestive devenue épidémique dès l’occupation du poste de président de la FTF, sur la base de mon expérience, je me sens la responsabilité de vous suggérer de faire les choses autrement que par le passé, et mieux pour cette fois-ci », peut-on lire dans la lettre de Tino Adjété.
 
La gestion que fait Gabriel Améyi de la FTF est des plus approximatives. Sinon, comment comprendre qu’il soit décrié par les membres de son propre bureau seulement quelques mois après leur élection ? Comment comprendre que les salariés de la Fédération puissent se retrouver avec trois mois d’arriéré de salaire dans ce contexte de vie chère ? Comment expliquer que les équipements qui appartiennent à l’équipe nationale se retrouvent à Womé, village natal de M. Améyi, alors que la Fédération a un siège et donc une salle dans laquelle on peut les stocker ? Ajouter aux réponses très peu convaincantes qu’a apportées le président de Maranatha aux accusations du capitaine des Eperviers et aux mises en garde de la FIFA par rapport à la gestion qu’il a faite de l’argent envoyé par l’instance dirigeante du foot mondial, il y a de quoi penser qu’il n’y a presque pas de sérieux dans ce qui se fait à la FTF. Au vu de tout ce qui se passe, la conclusion à tirer est simple : les hommes se succèdent à la fédération pour leur intérêt personnel et non pour le bien du foot national.
 
Une CAN catastrophique en vue
 
Qu’ira faire le Togo en Afrique du Sud sans Emmanuel Adébayor ? La question mérite d’être posée au vu de la place importante qu’occupe ce joueur dans l’effectif des Eperviers. D’aucuns estimeront que personne n’est indispensable ou irremplaçable. Même si c’est le cas, il ne faut pas non plus oublier qu’il y a des gens qui se rendent parfois indispensable. C’est sans doute le cas de Shéyi. Même si on peut lui reprocher certaines choses, il faut tout de même avoir le courage de reconnaître qu’il a beaucoup donné à la sélection. N’eut été sa présence et son impact sur les deux matchs contre le Gabon, le Togo ne se serait sûrement pas qualifié. Il a marqué deux buts sur les trois envoyés dans le goal des Panthères.
 
La situation est d’autant plus grave que d’autres joueurs importants de l’équipe soutiennent leur capitaine et pourraient décider eux aussi de ne pas partir en Afrique du Sud. Sans Agassa, Améwou, Romao, Moustapha, Segbéfia, Sapol etc, il sera difficile de jouer contre la Côte d’Ivoire, la Tunisie et l’Algérie, trois grandes nations de football et pas des moindres. Difficile en ce sens que c’est avec eux que l’entraîneur est arrivé à mettre en place une équipe qui est en train de trouver ses marques. Des locaux ou d’autres joueurs seront peut-être appelés à la rescousse, mais le coach aura-t-il le temps nécessaire pour recomposer une équipe digne de ce nom avec eux ? Si rien n’est fait pour faire revenir la sérénité dans le nid des Eperviers, le scénario catastrophe sera assuré pour le Togo en janvier et février prochain.
 
De la nécessité de l’intervention personnelle du chef de l’Etat
 
Le football est un facteur fédérateur. Cela, personne ne peut le nier. Il peut même permettre à certains pouvoirs de se stabiliser. Le président camerounais l’a bien compris. C’est pour ça qu’il ne lésine pas sur les moyens lorsqu’il s’agit de mettre les moyens à la disposition des Lions Indomptables du Cameroun. Mieux, lorsqu’une crise s’installe dans la tanière des Lions, il n’hésite pas à intervenir personnellement. Combien de fois Paul Biya n’a-t-il pas appelé personnellement Samuel Eto’o après un problème pour le convaincre de revenir jouer en sélection ? C’est le même geste que l’on attend des dirigeants togolais en l’occurrence de Faure Gnassingbé. D’après Didier Six, sélectionneur des Eperviers, Adébayor lui a indiqué que sa décision est irrévocable. Et tant qu’il ne reviendra pas, les autres ne le feront probablement pas non plus. Dans ces conditions, la seule personne habileté à convaincre le joueur de Totenham est le chef de l’Etat. Paul Biya le fait avec Samuel Eto’o. Pourquoi pas Faure Gnassingbé avec Emmanuel Adébayor. Il n’y a que lui qui est en mesure de faire revenir la star à de meilleurs sentiments. Il en va non seulement de la bonne prestation des Eperviers en Afrique du Sud, mais aussi de l’apaisement du climat social. Car, après tout, il n’y a que le football qui unit plus les Togolais.
 
Rodolph TOMEGAH
 
independantexpress
 

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