Kidnapping et extradition de l’ancien ministre ivoirien de la Défense

 
– Me Joseph Koffigoh indigné : « Aucun juge togolais n’avait été saisi par rapport au fameux mandat d’arrêt lancé contre M. Lida Kouassi »
 
Dans les sociétés africaines, tout étranger qui quitte son hôte reçoit un cadeau de celui-ci en guise de souvenir. Et c’est ce que Faure Gnassingbé vient de faire en mettant dans la valise de son homologue ivoirien présent à Lomé mercredi dernier dans le cadre du sommet de l’UEMOA, l’ancien ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, en exil au Togo depuis la chute du régime Gbagbo en avril 2011. Il a été juste sacrifié pour protéger les intérêts du pouvoir togolais.
 
Le film de l’arrestation et de l’extradition
 
Mercredi 6 juin, vers 10h, un groupe de gendarmes et de policiers ont pris d’assaut le domicile de M. Moïse Lida Kouassi, sis à Avépozo dans la banlieue Est de Lomé. Ils étaient à bord de cinq véhicules de type 4X4 et d’une vingtaine de motards. Quand l’ancien ministre de la Défense sous Laurent Gbagbo et baron du Front populaire ivoirien (FPI) a demandé aux gendarmes à voir le mandat d’arrêt, il s’est entendu dire que c’est sur ordre de l’autorité. De quelle autorité ? Togolaise ou ivoirienne ? Il n’eut pas le temps de poser ces questions. Même sa demande de faire appel à ses avocats s’est heurtée au refus du colonel qui dirigeait l’opération, mieux, le kidnapping. Sa maison a été fouillée de fond en comble et les gendarmes ont ramassé son ordinateur et ses téléphones portables, des livres et des papiers. Il a été ensuite menotté et embarqué dans l’un de leurs nombreux véhicules réceptionné pour l’occasion. Des événements qui se sont déroulés sous les yeux de l’une de ses filles qui était inconsolable.
 
« Conduit au camp de la Gendarmerie nationale, l’ancien ministre Lida Kouassi a été livré à des agents secrets ivoiriens qui l’ont interrogé. Nous ne comprenons rien de tout ce qui se passe. M. Lida Kouassi est demandeur d’asile et l’Etat togolais a l’obligation de le protéger », a affirmé un autre baron du régime Gbagbo qui a suivi le véhicule jusqu’au camp de la gendarmerie.
 
Une arrestation qui a été confirmée par l’ancien Premier ministre togolais et avocat de Laurent Gbagbo, Me Joseph Kokou Koffigoh, qui nous confiait mercredi qu’il avait l’espoir « que les autorités togolaises ne vont pas le livrer au régime d’Alassane Ouattara qui a imposé la justice des vainqueurs ».
 
Un espoir qui a été vite étouffé dans la nuit de mercredi par l’extradition de l’ancien ministre à Abidjan. « C’est aux environs de 21h30 mn qu’un vol spécial, immatriculé N I 80CH en provenance du Togo, a atterri, mercredi, au GATL (Groupement aérien de transport et de liaison), à Port-Bouet. Il y avait à son bord un passager peu ordinaire : l’ancien ministre de la Défense de l’ex-chef d’Etat, Laurent Gbagbo, Moïse Lida Kouassi. Il a été arrêté à Lomé (Togo) dans la matinée par les autorités togolaises. Visage apeuré, la mine patibulaire, cet « ancien homme fort » de Gbagbo est descendu de l’avion accompagné par un des responsables du GATL, du commissaire de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, Lanzeni Coulibaly et du Commissaire Kouyaté de la Préfecture de Police. Il était visiblement fatigué et affaibli. Menotté comme un vulgaire bandit, Lida Kouassi a été engouffré dans un véhicule de type 4×4 du ministère d’Etat, ministère de l’Intérieur », décrit dans ses colonnes « Le Patriote », le journal pro Ouattara.
 
La même information est traitée par « L’Inter » : « L’avion privé dans lequel il était, a atterri à 21h30mn au Groupement aérien de transport et de liaison (GATL) d’Abidjan. Pour son accueil, plusieurs éléments de la police ivoirienne et le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko s’étaient mobilisés. Après l’atterrissage de l’avion, il a fallu 30mn pour que M. Lida puisse sortir la tête. Si aucune raison officielle n’est avancée pour justifier ce temps, officieusement, on évoque son refus de quitter l’oiseau de fer. Le commissaire Kouyaté récupère des menottes et monte dans l’avion. A 22h 03mn, l’ex-collaborateur de Gbagbo descend de l’avion, encadré par quatre policiers. Les yeux hagards, il semblait sonné par ce qui lui arrivait. Très rapidement, on l’engouffre dans un véhicule, sous les flashes des caméras. Lida Kouassi Moïse tord son visage de douleur et les portières du véhicule aux vitres teintées se referment sur lui ».
 
Les versions officielles
 
Ce n’est qu’après 22h que la version officielle a été servie par le gouvernement togolais à travers un communiqué lu à la télévision nationale par le directeur de la Police nationale, le Colonel Matéindou Mompion. Selon ce communiqué, Moïse Lida Kouassi « inculpé de vol en réunion en mains armées, commis avec violence et effraction, détournement de deniers publics, concussion, atteinte à l’économie publique, pillage et complicité desdites infractions commis lors de la crise née des élections présidentielles de novembre 2010 en Côte d’Ivoire, a été localisé sur notre territoire et interpellé par la police togolaise ». « La perquisition effectuée à son domicile a permis la saisie de certains documents révélant l’existence d’activité subversives tendant à la déstabilisation du régime en place en Côte d’Ivoire. En application des accords de coopération policière existant entre nos deux pays, il a été remis pour les suites de l’enquête à une délégation de l’Interpol Côte d’Ivoire venue à cet effet », ajoute le communiqué.
 
Le ministre ivoirien de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, s’est inscrit dans la même veine après la réception à Port-Bouet du « cadeau de Faure Gnassingbé ». « M. Lida Kouassi Moïse ex-ministre de la Défense a été interpellé ce jour (Ndlr, mercredi) par les autorités togolaises. Il vient d’être extradé en Côte d’Ivoire. M.Lida Kouassi faisait l’objet d’un mandat « d’emmener » et d’un mandat d’arrêt émis par la justice ivoirienne. Il était au Togo, et les autorités togolaises l’avaient astreint comme la plupart des exilés, à un devoir de réserve. Il a rompu ce devoir de réserve à plusieurs reprises. Ce matin (mercredi, Ndlr) pendant son interpellation, il a été saisi en sa possession de documents compromettants, qui l’impliquent dans des projets de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Les autorités togolaises nous ont transmis ces documents, fort utiles, qui seront exploités par nos services pour une mise à disposition de la justice. Voici la déclaration que je voulais faire pour commenter cette extradition de M. Lida Kouassi Moïse. Elle n’a pas été aussi rapide, comme on pourrait le penser. Nous avons depuis le mois de juin 2011 émis des mandats d’arrêt qui ont été servis aux autorités judiciaires des pays qui abritent certains exilés ivoiriens contre qui la justice a des récriminations. La coopération entre nos Etats en matière de police et de justice est encadrée par des règles. Je puis vous rassurer que toutes ces règles ont été suivies ».
 
Me Joseph Kokou Koffigoh indigné
 
Des chefs d’accusation que rejette l’un de ses avocats, Me Joseph Kokou Koffigoh qui se demande comment on peut reprocher cette litanie de délits à M. Lida Kouassi qui a quitté le gouvernement depuis le coup d’Etat manqué de 2002. « Depuis lors, il s’est fait discret et n’a occupé aucun poste dans le camp Gbagbo durant la crise de 2010-2011. Cette arrestation est la preuve qu’il s’agit d’un pouvoir en difficulté. Un dialogue a été proclamé mais le dialogue ne se décrète pas. Un dialogue se passe entre deux parties, en l’occurrence avec ses adversaires. Or ces derniers sont mis en prison ou pourchassés. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’un dialogue, mais d’un règlement de compte », s’est-il emporté.
 
Pour lui, les déclarations selon lesquelles il fait l’objet d’un mandat d’emmener et d’un mandat d’arrêt émis par la justice ivoirienne sont fausses. « A ma connaissance, aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre lui. Aucun juge togolais n’avait été saisi par rapport au fameux mandat d’arrêt lancé contre M. Lida Kouassi. Si c’était le cas, il ne circulerait pas librement sans garde. A Lomé, il a toujours circulé sans se faire accompagner. Ce qui s’est passé n’est qu’un enlèvement », a-t-il poursuivi.
 
« Il s’agit d’une violation des instruments internationaux en matière de protection des réfugiés politiques. Cet homme a été attaqué à Abidjan par les FRCI (les ex-rebelles des Forces Nouvelles), braqué, ses biens emportés et lui-même envoyé sur un terrain nu alors qu’on lui mettait un pistolet à la tempe. Par un hasard de la providence, on n’a pas appuyé sur la gâchette avant qu’il ne prenne la fuite dans des conditions rocambolesques avec sa famille. C’est dans ces conditions que le pouvoir togolais leur a accordé l’asile. Il est incompréhensible de leur refuser aujourd’hui la protection qu’on a accordée à une famille en danger », a ajouté celui qui est considéré comme le parrain des pro Gbagbo à Lomé.
 
Commentaires
 
Après cette extradition, c’est la débandade dans le camp des pro Gbagbo. De sources proches du bureau du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) à Lomé, beaucoup de réfugiés ivoiriens auraient pris la poudre d’escampette du site qui leur a été aménagé à Baguida. Certains se sont mis à l’abri alors que d’autres ont carrément quitté le Togo. « Ils n’ont plus confiance aux autorités togolaises qui n’ont pas de respect pour la personne. Un président qui est allé jusqu’à emprisonner ses propres frères, ne peut pas avoir de la commisération pour M. Lida Kouassi », constate un Ivoirien installé au Togo depuis une décennie.
 
En fait, c’est une belle blague quand le gouvernement togolais dit dans son communiqué que M. Lida Kouassi « a été localisé sur notre territoire et interpellé par la police togolaise ». C’est comme si l’ancien ministre de la Défense était arrivé clandestinement à Lomé alors qu’il y vivait depuis avril 2011 après avoir introduit une demande d’asile en bonne et due forme. En le kidnappant pour le remettre ensuite comme « cadeau » à Ouattara, le pouvoir de Faure Gnassingbé a violé l’article 23 de la Constitution togolaise qui stipule : « Un étranger ne peut être expulsé ni extradé du territoire togolais qu’en vertu d’une décision conforme à la loi. Il doit avoir la possibilité de faire sa défense devant l’autorité judiciaire compétente ». Cette arrestation viole également les paragraphes 1 et 2 de l’article 4 de la Convention de la CEDEAO sur l’extradition, une institution régionale dont le président en exercice n’est autre que le président ivoirien.
 
De plus, l’information selon laquelle l’ancien ministre aurait passé outre l’astreinte de réserve « en faisant récemment une sortie dans la presse locale pour dénoncer l’emprisonnement de Laurent Gbagbo, tout en faisant le procès de son successeur Ouattara », est une pure invention pour justifier l’enlèvement éhonté. Depuis avril 2011, M. Lida Kouassi ne s’est adressé à aucun organe de presse togolais.
 
Au Togo, rien ne se fait gratuitement et il se peut que cette extradition de M. Lida Kouassi soit la condition posée par Ouattara avant tout déplacement à Lomé. Elle pourrait aussi favoriser la reconduction de Faure Gnassingbé à la tête de l’UEMOA étant entendu que la Côte d’Ivoire reste la locomotive de cette institution. Bref, pour l’aura internationale, le « fils de la nation » est prêt à tout. Pendant ce temps, ses proches qui sont accusés de torture sont libres de tous leurs mouvements. En outre, dans le cadre du coup de force électoral qui est enclenché et qui est dénoncé par l’opposition togolaise, il vaut mieux d’être dans les bonnes grâces de Ouattara. Sacré Faure Gnassingbé !
 
R. Kédjagni
 
 
liberte-togo.com
 

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