Comme on devrait s’y attendre, la volonté du pouvoir de persister sur la voie d’un coup de force électoral, provoque des dissensions au sein des oppositions togolaises. Deux positions semblent se dégager face à la problématique du dialogue, sur fond de calculs politiciens.

 
A un moment où les populations assoiffées du changement et de l’alternance se rassuraient du rapprochement entre les blocs au sein de l’opposition togolaise, c’est d’abord le 1er Vice-président Patrick Lawson, réputé pour sa modération au sein d’un parti décrié pour son radicalisme, qui sonne le tocsin. « Il se passe des choses au sein du CST et de Arc-en ciel qu’il faut arrêter tout de suite. Vous imaginez qu’on prend des décisions sans nous (ANC : Ndlr). Si des gens veulent aller au dialogue frelaté ils n’ont qu’à y aller(…) Ca recommence, ça recommence… », s’était alarmé le dirigeant de l’ANC sur une radio privée à Lomé.
 
De quoi faire passer une sale matinée aux partisans de l’union de l’opposition comme préalable à l’efficacité d’action de l’opposition. Sous sa forme laconique, l’alerte inattendue de Patrick Lawson n’avait rien de compréhensive pour l’opinion, si ce n’est de profiter aux professionnels de supputations de tout acabit. Le pouvoir qui recherche pour une fois en vain, des « collabos » pour légitimer sa stratégie de coup de force électoral, espère y voir la manifestation d’une division consommée des oppositions coalisées. Mais très tôt, des voix au sein du CST et de la Coalition Arc-en-ciel tentent de mettre du bémol à l’alerte venue de l’ANC. « C’est juste une question de procédure », déclare Agbéyomé Kodjo qui ne relève pas moins des divergences d’approches sur le traitement à réserver à certains préalables au dialogue, introduits au pouvoir par l’ensemble des membres du CST.
 
Aux dernières nouvelles, il s’agirait d’une lettre que certains leaders des deux regroupements, ont pris l’initiative d’envoyer au Président de la République pour demander l’ouverture d’un dialogue, sans en informer d’autres, dont ceux de l’ANC. Mais en réalité, les dissensions actuelles qui existaient sous forme sournoise au sein de l’opposition, ont quelque chose de structurelle et de stratégique de part le jeu de positionnement de chacune des entités et regroupements qui animent l’opposition au pouvoir RPT-UNIR/ UFC.
 
Il convient ici de rappeler qu’il existe d’une part, le Collectif « Sauvons le Togo », composé d’organisations de défense des doits de l’homme et autres de la Société civile, le Front Républicain pour l’Alternance et le Changement (FRAC), Sursaut Togo, l’Organisation pour Bâtir dans l’Union un Togo Solidaire (OBUTS), le Mouvement des Républicains Centristes (MRC), le Parti des Travailleurs et de l’autre la Coalition Arc-en-ciel composée du CAR, la CDPA, le PDP, UDS-Togo, MCD .
 
Le FRAC, un enjeu d’alternance
 
Regroupement de partis politiques (ANC, PSR, ADDI) et d’un mouvement politique (Sursaut Togo) au sein du CST, le FRAC a démontré une homogénéité apparente et une constante dans la lutte depuis la tenue de la présidentielle de 2010 à ce jour. Hormis un pavé dans la marre de l’un de ses leaders Koffi Yamgnane, à propos de la stratégie de l’opposition, le FRAC travaille essentiellement pour la création des conditions d’une alternance politique au Togo. Il pose comme préalables à la tenue d’un dialogue en vue de mettre en œuvre les réformes institutionnelles et constitutionnelles, la création d’un environnement apaisé, le respect des libertés fondamentales, le retour à l’Assemblée nationale de 09 députés illégalement exclus, le respect des droits de l’homme.
 
Pour le FRAC, il s’agit fondamentalement de contraindre le pouvoir de Faure Gnassingbé à céder des espaces de liberté avant la tenue d’un dialogue capable de déboucher sur les conditions pour la réalisation d’une alternance pacifique au Togo. On note cependant dans les stratégies et mot d’ordre du FRAC, également des velléités de révolution populaire. Mais parallèlement, ce regroupement et en particulier l’ANC de Jean-Pierre Fabre a poursuivi son implantation sur le terrain comme au sein de la diaspora.
 
Le parti dont le leader est arrivé second avec 33% de suffrages selon les résultats officiels à l’issue de la présidentielle de 2010, vise assurément l’échéance de 2015. Tout comme Jean-Pierre Fabre, l’ancien secrétaire d’Etat français Koffi Yamgnane, croit en ses chances et se met dans la peau du leader naturel autour duquel doit fédérer les forces au sein du FRAC. L’existence de ces deux présidentiables est d’ailleurs l’une des faiblesses du FRAC, qui ne parvient pas à conclure un accord électoral comme base d’une alternative à la gestion du pouvoir PT-UNR/UFC, à proposer aux populations et aux partenaires du Togo.
 
Le Parti des Travailleurs de Claude Améganvi, OBUTS de Agbéyomé Kodjo et le MRC de Abass Kaboua, partagent au sein du CST, la même vision que les composantes du FRAC. Mais l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo qui malgré le peu d’envergure de sa formation politique, se croit un destin présidentialiste, espère vivement la conclusion d’un accord électoraliste entre toutes les formations politiques au sein du CST, alors que visiblement, l’ANC principale force de cet regroupement, semble vouloir se contenter d’un accord entre composantes au sein du FRAC, après un peu plus de deux années d’une cohabitation éprouvée. Une approche qui rapproche à présent Agbéyomé Kodjo des leaders de la Coalition Arc-en-ciel, notamment du CAR.
 
Arc-en-ciel, partagée entre survie et alternance
 
Créée par six partis politiques avant la défection du NET de Jerry Taama, la Coalition Arc-en-ciel s’est dès son origine positionnée sur le terrain de la participation aux élections législatives. En même temps qu’elle exigeait les réformes en vue de garantir la transparence des prochaines échéances électorales, la Coalition Arc-en-ciel écartait toute idée de boycott des élections même au cas où les réformes ne venaient pas à être mises en œuvre. Mais visiblement, ici aussi, les mobilisations populaires des 12, 13 et 14 juin en faveur des réformes comme préalables à la tenue des élections, ont eu des effets rectificatifs. La Coalition s’est alors rapprochée du CST.
 
Ce rapprochement des deux regroupements qui est également la conséquence du refus du pouvoir à concéder au moins la réalisation de l’alternance en 2015, à travers le retour à la limitation du mandat présidentiel à deux avec effet immédiat, a renforcé la mobilisation populaire en faveur des réformes et des élections transparentes. Mais dans le même temps, la Coalition Arc-en-ciel appelle à une alliance électorale entre les partis politiques en vue de garantir un succès de l’opposition à l’issue des prochaines échéances électorales. La mutualisation des moyens est pour la Coalition Arc-en-ciel, le préalable incontournable pour la réalisation de l’alternance.
 
Hormis le PDP de Bassabi Kagbara, toutes les formations réunies au sein de la Coalition ont participé au gouvernement ou alors, leurs leaders ont eu à se rapprocher du pouvoir à un moment ou un autre. Une stratégie qui a toujours été désavouée par les populations qui ont eu à l’exprimer à travers les élections passées. Le CAR et la CDPA en particulier, ont été fragilisés et perdu des militants et sympathisants pour cette raison. C’est donc avec des incertitudes que ces formations politiques appréhendent les prochaines échéances qui pourraient sonner leur glas en cas d’une libre concurrence entre les partis de l’opposition.
 
La stratégie consistant à revendiquer un accord électoral, vise également pour ses formations à s’assurer une représentativité à l’Assemblée nationale. Ce qui leur procurerait non seulement des moyens pour couvrir les charges que génèrent leur administration et gestion, mais aussi leur existence sur l’échiquier politique tout court. Un dialogue qui déboucherait sur des réformes même à minima ainsi que la hantise d’une Assemblée nationale monocolore, suffiraient à offrir à ces partis politiques, des alibis pour justifier une participation aux élections. Mais le hic, c’est que les populations bouderaient ces élections si les garanties de transparence ne sont pas offertes et que certaines formations politiques représentatives décidaient d’empêcher leur tenue sans consensus préalables.
 
L’incontournable maintien de la dynamique unitaire
 
Malgré les dissensions et le jeu sournois de leadership qui minent les oppositions regroupées au sein du CST et la Coalition Arc-en-ciel, les deux blocs sont bien obligés de maintenir la dynamique unitaire. Car ceux qui souhaitent participer aux prochaines élections sans le règlement des préalables, à moins de négocier des sièges avec le pouvoir, s’en sortiraient malmenés, alors que ceux qui entendent faire des prochaines élections un enjeu d’alternance, ne parviendront pas à leurs fins, sans une forte dynamique contestataire que seule une unité d’action des oppositions peut assurer.
 
Divergences entre les oppositions, oui. Mais nul ne doute que le pouvoir et autres détracteurs attendront encore longtemps la division consommée entre les entités qui animent l’opposition. La profondeur de l’aspiration populaire au changement et à l’alternance, l’incapacité du pouvoir à assurer le mieux être des populations et une prospérité partagée ainsi que la mobilisation d’un peuple de plus en plus politiquement mature, laissent peu de place aux jeux de certains leaders de l’opposition, qui consistent à faire des passes intéressées à l’adversaire dans le but de l’aider à se conserver, contre la volonté populaire
 
Améga Koffi
 
Le Canard Indépendant N° 403 du 09 septembre 2012
 

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