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Cinq candidats sont en lice pour la présidentielle du 25 avril au Togo. Quatre opposants face au président sortant. Les 3,5 millions d’électeurs togolais n’ont qu’un seul tour pour choisir leur futur président. Une configuration qui favorise le chef de l’Etat sortant, et ce d’autant plus que l’opposition n’a pas réussi à se rassembler derrière un candidat unique.
 
Au Togo, les adeptes des mathématiques politiques privilégient cette année la multiplication à l’addition. Contrairement à 2005, mais comme en 2010, l’opposition part en ordre dispersé face au président sortant Faure Gnassinbgé. Ni Jean-Pierre Fabre, le chef de file de l’opposition, ni son ancien allié le professeur Aimé Gogué, ni le natif de Sokodé, Mohamed Tchassona Traoré, ni le dernier venu sur la scène politique Gerry Komandega Taama, n’ont pu s’entendre sur le principe d’une candidature unique et surtout sur la personnalité censée affronter Faure Gnassingbé.
 
« La candidature unique, ça ne marche pas », tranche impérieusement Aimé Gogué, qui désamorce l’argument en rappelant que durant la présidentielle au Nigeria fin mars, quatorze candidats étaient en lice, « ce qui n’a pas empêché l’opposition de remporter l’élection ». Le théorème s’appuie sur l’idée que la multiplication de candidatures permettra d’éroder la base électorale de Faure Gnassingbé, notamment dans la partie septentrionale du pays, fief de l’actuel chef de l’Etat. Mais la caractéristique des théorèmes politiques, c’est justement que l’on peut faire exactement le même raisonnement à l’inverse tout en ayant également raison.
 
La seule loi est finalement celle de la relativité couplée à celle du rapport de force. Ainsi, Jean-Pierre Fabre, le chef de file de l’opposition, se considère comme le candidat naturel de l’opposition, fort de ses 16 députés à l’Assemblée nationale. Il aurait bien voulu que ses collègues se rangent derrière lui, mais il n’a plaidé qu’avec prudence pour une candidature unique, de peur de se faire accuser d’hégémonisme par ses confrères de l’opposition, tant il est vrai que se vérifie régulièrement une autre loi en politique : plus le poids est léger, plus l’épiderme est sensible. Dès lors, Jean-Pierre Fabre reconnaît qu’en l’absence de candidature unique, le combat de l’opposition sera plus difficile à mener.
 
Un seul tour et puis s’en va
 
Car au Togo, depuis la loi de 2002, le paradigme politique est contraignant. L’élection présidentielle se déroule en un seul tour, ce qui implique qu’il suffit d’une majorité relative pour remporter le scrutin. Ce mode d’élection favorise indubitablement le président sortant. Dès 2006, la nécessité d’une réforme est acceptée par le pouvoir. En 2013, au lendemain des élections législatives, alors que la classe politique regardait l’horizon de la présidentielle, la question d’une réforme du mode de scrutin par voie constitutionnelle refait surface.
 
S’appuyant sur l’accord de 2006, cette réforme vise à rétablir un scrutin à deux tours et à limiter à deux le nombre de mandats présidentiels. C’est sur cette dernière disposition que va achopper le dialogue. En effet, l’opposition veut profiter de cette réforme pour empêcher Faure Gnassingbé de briguer un troisième mandat.
 
L’ANC, l’Alliance nationale pour le changement de Jean-Pierre Fabre, insiste sur une formulation de la loi fondamentale stipulant qu’un « président ne peut effectuer plus de deux mandats ». Méfiante la majorité y voit une faille susceptible de se transformer le moment venu en fossé où pourrait s’embourber l’actuel chef de l’Etat. Elle rejette cette formulation réclamant que les compteurs soient remis à zéro pour permettre à l’actuel locataire du palais de briguer deux nouveaux mandats de cinq ans.
 
L’opposition est elle-même divisée sur la stratégie à suivre. Alors que Jean-Pierre Fabre, le leader de l’ANC, refuse l’idée que Faure puisse briguer un troisième mandat, d’autres personnalités comme par exemple Dodji Apévon, le leader du CAR, le Comité d’action pour le renouveau, prônent un compromis au terme duquel Faure Gnassingbé serait autorisé à briguer une dernière fois la présidence en 2015. Au bout de plusieurs mois de querelle et sans que le moindre compromis se dessine, la réforme est abandonnée.
 
Cet épisode est lourd de conséquences pour l’élection présidentielle, car dès lors, une frange importante de l’opposition, emmenée par le CAR de Dodji Apévon, refuse le scrutin et préconise le boycott. Une ligne de fracture qui divise et affaiblit aussi la société civile et notamment le puissant collectif « Sauvons le Togo ».
 
Un fichier électoral sujet à question
 
Si la bataille autour de la réforme constitutionnelle a fortement endommagé l’unité de l’opposition, la question de la fiabilité du processus électoral, et notamment de la liste électorale, met en lumière ses difficultés à peser sur les événements.
 
Le premier à tirer la sonnette d’alarme fut Alberto Olympio. Neveu de Gilchrist Olympio, Alberto est un nouveau venu sur la scène politique. Il a réussi en quelques mois à faire souffler sur la classe politique un vent rafraîchissant au parfum de modernité et d’entrepreneuriat. Soudain, alors que sa popularité flirte avec le zénith et que son parti revendique 45 000 adhérents, Alberto Olympio jette l’éponge. En quittant le ring avant même le premier round, il distribue une série d’uppercuts à la face de la Céni, la Commission électorale nationale indépendante.
 
Pour Alberto Olympio, le fichier électoral est gangréné. Selon lui, il y aurait 30% de faux électeurs inscrits sur l’ensemble des listes. Alberto Olympio veut faire exercer son droit de vérification, ce que lui refuse la Céni. Alors que le jeune opposant exhorte les autres candidats de l’opposition à la suivre hors du ring, Jean-Pierre Fabre reprend les mêmes arguments sur la fiabilité du fichier. Il va jusqu’à déposer plainte à Bruxelles contre la société Zetes, en charge des listings électoraux, mais sans toutefois renoncer à se présenter.
 
Face à cette offensive, la Céni accepte l’idée d’un « toilettage » du fichier et fait appel pour cela à l’expertise de l’OIF, l’Organisation internationale de la Francophonie. Les experts ont à peine trois semaines pour traquer les doublons et les électeurs fantômes sur un fichier de près de 3,5 millions de personnes. Un délai insuffisant, note l’opposition, qui évalue à trois mois la période optimale pour un audit complet. Audit qui n’est cependant pas d’actualité. Au total, quelques dizaines de milliers de doublons sont supprimés des fichiers. Cependant, l’OIF relève pour s’en inquiéter que les deux tiers des inscrits l’ont été sur la base de témoignages et non de documents d’identité, et ce malgré la modernisation de l’état civil togolais. Pourtant, lorsque les experts rendent leur copie, les chefs de partis approuvent les conclusions.
 
A bien des égards la gestion du fichier électoral togolais reste un mystère. A la présidentielle de 2010, il comptait 3,6 millions d’inscrits, pour n’en totaliser plus que 3 millions trois ans plus tard pour la législatives, avant de remonter à 3,5 millions cette année. Malgré tout, les candidats de l’opposition acceptent le consensus autour du fichier, exprimant désormais des inquiétudes sur le mode de centralisation des résultats. Ce n’est pas le cas des leaders politiques qui refusent la compétition, comme Alberto Olympio pour qui l’OIF n’a pas réglé le problème de fond. Avec la parenthèse du fichier refermée, plus rien ne s’oppose désormais à la tenue du scrutin. La campagne est lancée, et les Togolais vont découvrir certaines figures politiques inédites.
 
• Cinq hommes pour un fauteuil
 
Gerry Komandega Taama, âgé de 40 ans, est le plus jeune des candidats et sans conteste celui que les Togolais connaissent le moins bien. Pourtant, cet ancien militaire de carrière formé à la prestigieuse école française de Saint-Cyr présente un profil atypique. Son parti, le NET (Nouvel engagement togolais), n’a guère brillé lors des législatives de 2013, ce qui n’a pas douché les ardeurs de celui qui se définit comme un candidat de « rupture ». Editeur et chef d’entreprise, Gerry Taama semble apprécier les joutes oratoires et ne mâche pas ses critiques, tant envers ses pairs de l’opposition que vis-à-vis du candidat-président. Son activisme sur les réseaux sociaux lui a permis d’acquérir une petite notoriété, même s’il est loin d’avoir atteint les résultats d’Alberto Olympio, qui avait suscité une adhésion populaire certaine avant de renoncer au scrutin.
 
A l’inverse de Gerry Taama, Aimé Tchabouré Gogué est un vieux routier de la politique togolaise. A 68 ans, le doyen de la faculté des sciences économiques et vice-recteur de l’université de Lomé a déjà exercé des fonctions ministérielles entre 1991 et 1993 durant la transition. Allié de longue date de l’opposant Jean-Pierre Fabre, il s’en est éloigné pour se lancer dans la course au fauteuil présidentiel. Fin analyste des rapports de force régionaux, il fait le pari d’éroder la base électorale du chef de l’Etat sortant dans le nord du pays. Aimé Gogué est le candidat de l’ADDI (Alliance des démocrates pour le développement intégral).
 
Mohamed Tchassona Traoré vise plutôt le centre du pays, région traditionnellement acquise à l’opposition, mais où lors des dernières législatives, le parti Unir du président Faure a réussi de bons scores. A 55 ans, Mohamed Tchassona Traoré, leader du MCD (Mouvement citoyen pour la démocratie et le développement), fut membre de la deuxième alliance de l’opposition, l’alliance Arc-en-ciel. Notaire de formation, il fut aussi militant des droits de l’homme et a participé en 1998 et en 2006 aux dialogues politiques sous la bannière du PRD (Parti pour la démocratie et le renouveau), la formation de Zarifou Ayeva. Lorsque celui-ci s’est rapproché du président Gnassingbé, Mohamed Tchassona Traoré a préféré créer son parti et rester dans l’opposition.
 
Agé de 62 ans, Jean-Pierre Fabre a justement fait de sa constance dans l’opposition sa marque de fabrique. L’ancien professeur d’université a travaillé dans un cabinet d’architectes avant d’entrer en politique en 1991 aux côtés de Gilchrist Olympio, alors figure emblématique de l’opposition. Réputé tenace et intransigeant, Jean-Pierre Fabre s’impose peu à peu comme l’indispensable numéro deux de l’UFC (Union des forces du changement), d’autant que son leader est souvent en déplacement à l’étranger. En 2010, c’est lui qui porte les couleurs du parti, Gilchrist Olympio en ayant été empêché par un accident domestique. Il finira deuxième avec près de 34% des voix. Lorsque quelques semaines après, Gilchrist Olympio décide d’emmener son parti vers les cieux plus cléments de la majorité présidentielle, Jean-Pierre Fabre claque la porte et crée l’ANC, qu’il impose en 2013 comme la principale formation de l’opposition. Depuis, le candidat de CAP 2015 peaufine sa stature d’homme d’Etat et a notamment tissé des relations avec plusieurs chefs d’Etat de la sous-région. Son point faible, disent ses détracteurs, restant l’aversion qu’il susciterait auprès de l’état-major militaire, ainsi que de la frange nordiste de l’électorat.
 
Le président sortant, Faure Gnassingbé, n’a pas ce désavantage. Même si depuis dix ans, il tente de sortir le pays de l’affrontement politique Nord-Sud où l’avait enfermé le duel entre son père Gnassingbé Eyadema et Gilchrist Olympio, il sait qu’il peut compter sur le soutien indéfectible de la région septentrionale du pays, comme celui de l’establishment togolais, deux cercles qui se confondent souvent. A 49 ans, Faure Gnassingbé, formé à Dauphine, élève à Saint-Cyr et diplômé de l’université Georges Washington, brigue un troisième mandat de cinq ans. Depuis l’élection calamiteuse de 2005, qui avait vu Lomé sombrer dans un bain de sang où 500 personnes avaient perdu la vie, le jeune président s’est efforcé de faire oublier un passé et une filiation qui pèsent sur ses épaules comme autant de marques au fer rouge. Modernisant les structures héritées de son père, il change en douceur les équipes et les habitudes au profit d’une génération montante. Discret et peu communicatif, Faure Gnassingbé est un président invisible aux yeux de ses compatriotes. Il se défend en présentant les réalisations de ses deux mandats précédents, qu’il résume par ce taux de croissance moyen de 5 à 6% atteint par le Togo. Mais derrière le visage lisse et imperturbable de ce quadragénaire moderne se cache une volonté implacable : celle qui l’empêche notamment de gracier son frère Kpatcha, en prison depuis 2009 et condamné à 20 ans de réclusion pour avoir tenté de le renverser avec l’aide d’une frange de l’armée.
 
source : RFI
 

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