Angoisse, hantise, crainte, panique, c’est le même sentiment que tout être vivant nourrit vis-à-vis de la maladie et de la mort. Ce sentiment est encore accentué chez les hommes d’Etat et leurs entourages en raison de leur incapacité naturelle à combattre la réalité métaphysique qu’est la mort ou encore en raison des jeux d’intérêts qui sont entretenus dans ces milieux obscurs. Mais attention, en inventant la maladie et la mort, elles finissent par arriver, en l’évitant avec la dernière trouille, elles finissent aussi par s’inviter suivant le complexe de Gribouille et en les inventant pour atteindre des objectifs, elles finissent aussi par produire des effets. Les derniers éléments de l’actualité togolaise nous inspirent encore mieux sur les faits et gestes des hommes politiques pour qui, tous les coups sont permis. Voilà un chef d’Etat dont la gouvernance politique et économique est décriée, qui est en proie à des manifestations populaires qui lui exigent des réformes avec une opposition déterminée, et subitement une histoire rocambolesque de maladie et de mort s’imposent à la nation, s’entretient, s’attise et s’émousse dans une sortie folklorique de Faure Gnassingbé au grand dam de tous ceux qui croyaient à une mort. Montage, vraisemblance, camouflage ou signes avant coureurs d’une chute ? Interrogations qui nous planquent devant une autre question : que s’est-il donc passé ? Grande enquête.
 
Il y a quelques mois, sur le parvis du Palais des Congrès de Kara, une chute. Le président togolais pris par un subit malaise s’est engagé dans une chute fatale, rapidement récupéré par son aide de camp et d’autres éléments de sa garde pour être conduit à son véhicule de commandement. Les échos de cette chute ont été étouffés jusqu’à ce jour, histoire d’éviter des conclusions hâtives sur l’instabilité de la santé du Chef de l’Etat.
 
Il y a quelque mois, une panique généralisée s’est emparée des passagers à bord de l’hélicoptère qui menait le chef de l’Etat entre plusieurs localités qui abritaient les luttes traditionnelles Evala. Là encore, le malaise de Faure Gnassingbé a été exprimé aux témoins de la scène.
 
Il y a près de trois ans, pendant la campagne électorale, des retards et annulation de rendez-vous dans certains villages et cantons ont été plus tard justifiés par une indisposition physique du Chef de l’Etat.
 
Il y a plusieurs mois, les randonnées sanitaires discrètes entre Lomé et Rome, effectuées par le Chef de l’Etat togolais ont attiré l’attention de l’opinion nationale et internationale au point d’alimenter les débats et les discussions, autant publics que sur le net.
 
Il y a donc quelques jours, le voyage en Israël de Faure Gnassingbé a été couronné par une bonne dose de rumeurs sur l’aggravation de sa maladie suivie d’une certaine mort. La rumeur est montée et a grandi pour devenir une grosse montagne qui accouchera d’une souris. Au lieu d’un communiqué responsable officiel qui permettra de clarifier la situation, l’exécutif togolais s’est contenté de s’offrir en spectacle comme pour narguer ceux se réjouissent de la fausse alerte qui était savamment introduite dans la population. Une marche sur près d’un kilomètre pour démontrer qu’on n’est pas malade, ne sera que de la pure puérilité, mieux, un défi lancé au créateur qui donne et ôte la vie à tout instant. Mais au-delà du folklore qui en fait n’est pas un évènement, il y lieu de cerner les contours de ce phénomène, les tenants et les aboutissants et les effets que cela aurait pu produire.
 
Faure Gnassingbé malade…
 
Lors qu’on revient sur terre et on prend avec plus d’intelligence le phénomène folklorique qui a émaillé l’actualité togolaise ces deux dernière semaines, il est important de se caler sur une évidence : l’insistance et la persistance de la question de la maladie de Faure Gnassingbé. Plusieurs thèses corroborent cette évidence et plusieurs acteurs ont abordé d’une façon directe ou indirecte ce fait. C’est d’abord le politicien Comi Toulabor, dans sa lettre de démission de l’ANC qui a évoqué la question : « Faure Gnassingbé est fort malade… » Cette déclaration vient confirmer les soupçons qui ne cessaient de se nourrir sur les voyages discrets et fréquents de Faure en Italie. De fil en aiguille, l’information grandit et on a de plus en plus parlé d’une leucémie, une grave maladie de sang qui oblige le président togolais à se faire régulièrement soigner en occident. Aucune fiche médicale, aucune preuve ne permet de confirmer ou d’infirmer cette information. Dans la foulée, ce sont des crises régulières d’épilepsie qu’on évoque chez le jeune président et de plus en plus, des informations, des supputations, des allégations ont fini par se trouver un point de convergence sans pouvoir détecter de façon unanime l’essentiel : Faure est malade, mais personne ne sait exactement le mal dont il souffre. Tout le reste ne serait que des imaginations.
 
Pire, le pouvoir politique a entretenu le flou en présentant des signes et en multipliant des actes qui tirent vers la certitude du mal de Faure Gnassingbé. C’est ainsi que le pouvoir togolais s’est servi du voyage de Faure en Israël pour exploiter ces rumeurs nourrissantes qui ont finalement abouti à l’annonce d’un mort. Entretenue, parce que la présidence de la république avait l’occasion de clarifier l’opinion sur le sujet de la maladie du Chef de l’Etat plusieurs jours auparavant. Ce qui n’a jamais été fait. Ce qui dénote encore une fois la frilosité et la porosité de l’administration de la présidence togolaise qui préfère entretenir le flou et le suspens au lieu de situer le peuple et l’opinion.
 
A qui profite le montage ?
 
Plusieurs interprétations ont été faites du phénomène que les Togolais ont vécu il y a quelques jours. La première interprétation vient de ceux qui pensent que Faure Gnassingbé est à bout de souffle, politiquement parlant. Il est resté l’ombre de lui-même pendant plusieurs mois, indifférent au ciel qui tombe sur le Togo et pour lequel il est interpellé : droits de l’homme, gouvernance politique et économique, question de torture, etc. Ayant perdu toutes les occasions pour rendre utile sa personnalité politique, il a dû se réfugier derrière cette rumeur grandissante pour se donner l’occasion d’une sortie. Pour les propagandistes avertis, qui connaissent la notion et le fonctionnement de culte de la personnalité que voudrait faire l’administration Faure, on pense qu’il a raté le coche, que l’occasion de sortie en pompe pour dire qu’il est vivant est hautement puéril, à la limite ridicule voire irresponsable.
 
Si cette sortie pouvait tout au moins se pencher sur un sujet de l’heure, les élections, le développement ou encore mieux les conclusions positives du voyage d’Israël, cela aurait permis aux Togolais de tirer une substance de sa sortie. Ici, c’est une marche d’un kilomètre environ dans une foule importée après un message de propagande ayant invité à venir à l’aéroport qui est mise en exergue. Aucun sens.
 
Pour les autres, ceux qui ont nourri la rumeur, de gré ou de force, il s’agissait d’une vraie mort et dont la succession était planifiée. D’après les informations qui ont circulé, le Colonel Katanga devrait rapidement prendre les reines de la présidence pendant quelques jours pour une certaine transition militaire. Au même moment, la puissante dame des impôts, Ingrid Awadé devait mener, au profit du clan, une opération caisses vides qui consistent à vider les caisses de l’Etat avant de faire envisager une transmission de pouvoir par des élections anticipées.
 
Le pays sera mis à genou, l’opposition sera persécutée et contrainte à la résignation alors que les prisonniers politiques redoutés par Faure Gnassingbé avant sa mort, seront liquidés dans leurs cellules. Kpatcha et consort et aussi Pascal Bodjona seront zigouillés, ayant tous deux une carrure assez impressionnante pour influencer le jeu et jouer sur les enjeux.
 
Voilà le plan factice qui était servi et qui ne devrait pas ne pas être pris au sérieux. C’est le jeu du pouvoir, c’est le jeu de la conservation du pouvoir, tous les coups sont permis.
 
La troisième et dernière interprétation, et c’est celle qui vient du pouvoir, du régime qui trouve en l’opposition une volonté de le surprendre et de passer à la conquête du pouvoir par la rue. Selon celle-ci, l’opposition a entretenu cette psychose sur la disparition subite de Faure Gnassingbé pour transformer la marche du FRAC du samedi dernier en une révolution, en une prise de pouvoir par la voie populaire ou à défaut, pour faire prendre à l’armée, sa responsabilité dans un vide constitutionnel qui devrait être une porte ouverte à la prise de pouvoir par les corps habillés. Raison suffisante pour les forces de sécurité d’empêcher la marche du FRAC du samedi dernier. Les éléments du Colonel Yark Damehane ont fait usage de gaz lacrymogènes, ont procédé à des interpellations et à des bastonnades. Les jeunes considérés comme récidivistes et formés selon les éléments des forces de sécurité pour procéder à cette révolution, sont pour certains, interpellés et détenus, et pour d’autres, poursuivis et recherchés. On a signalé dans ces manifestations, l’interpellation de deux responsables du FRAC, des blessés et de nombreuses personnes arrêtées parmi lesquelles deux membres du Bureau National de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC): Monsieur Roger KEKEY, Secrétaire National à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche Scientifique (professeur d’université à la retraite), et Monsieur Amakoé AHEEY, Coordinateur de la Fédération de Yoto. On annonce également l’arrestation, la bastonnade et la torture d’autres jeunes récidivistes comme Aziaka-Ahlidza Kokou Patrick, ciblé pour sa forme de costaud, branche armée de l’opposition.
 
Cette dernière interprétation de la situation expose la panique qui gagne actuellement le régime de Faure Gnassingbé dans le spectre des contestations politiques, alors que l’organisation des élections dandine et la situation politique est des plus tendues aujourd’hui.
 
De façon relative, le pouvoir togolais a tiré profit, mais de façon assez éhontée de cette anomalie dans le fonctionnement de la société togolaise qui se laisse facilement aller à des rumeurs.
 
Ensuite il ya lieu de déplorer la face enfantine et banalisée de la présidence togolaise et de ses départements qui donnent autant d’importance à des faits assez banals qu’un simple communiqué suffisait pour dissiper.
 
Au-delà de tout, la maladie
 
Il n’est plus à démontrer que la récente sortie de Faure Gnassingbé dans cette banale histoire de mort-vivant est l’apanage des chefs d’Etat qui cachent assez maladroitement les maux dont ils souffrent. Tous ceux qui ont suivi les derniers jours du père de Faure Gnassingbé, le Dictateur Eyadema, peuvent facilement se rendre compte des signes avant-coureurs d’une chute immanquable. Faiblesse physique, multiplication des voyages à l’étranger pour se faire soigner en catimini, indifférence face aux affaires de l’Etat, puis mort subite. Mais avant, Eyadema a organisé un numéro similaire pour ceux qui s’interrogeaient sur son état de santé. Il n’a pas hésité à ingurgiter une bonne bouteille de bière fraiche devant les journalistes alors qu’on lui attribuait un cancer qui lui avait déjà rongé les amygdales, étant en phase terminale. Il mourra quelques mois plus tard.
 
Le feu Président Lansana Conté, dont tout le monde reconnaissait l’Etat fragile de santé a bravé son cancer et son diabète de type aigüe en bouclant six bâtons de cigarettes devant la presse. Il trépassera juste quelques semaines après.
 
Faure Gnassingbé aujourd’hui est invité à déclarer son carnet médical. Il a les moyens de se faire délivrer un faux qui le présente comme un homme sain, mais si maladie il y a, il ne résistera point et ceci donnera raison à ceux qui pensent qu’il camoufle maladroitement un mal.
 
Autant le déclarer pour avoir la compassion d’un peuple et préparer la nation à une vraie alternance, plutôt que de rester dans une logique de défiance de la nature qui a ses principes et ses exigences.
 
Enfin, ce n’est toujours pas moral de se réjouir de la maladie d’un autre. C’est pourquoi, malade ou pas, les activités de la nation devraient se poursuivre, l’opposition dans son rôle régalien, le pouvoir dans le sien dans le respect des textes. Les crises et les situations de fébrilité de pouvoir sont réglementées par la loi. Autant l’appliquer au cas où.
 
Montages, manipulations, intoxications et propagandes ne peuvent affronter l’histoire qui est écrite et qui sera dite. Les acteurs politiques ont donc l’obligation de revenir sur terre et de mener la politique pour trouver des solutions à la crise politique togolaise, plutôt que de se fier à des distractions.
 
Carlos KETOHOU
 
independantexpress
 

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