La compétition sportive se tient au Gabon et en Guinée, deux Etats qui bafouent sans vergogne les droits de l’Homme. Ce qui n’empêche certaines entreprises françaises de s’y associer.
La grande fête du football africain se tient pour la première fois au Gabon et en Guinée équatoriale. Deux des Etats les plus dictatoriaux d’Afrique où le pouvoir est confisqué depuis des décennies par des dynasties familiales. Les Bongo au Gabon et les Nguema en Guinée équatoriale.

 
Dans un communiqué diffusé avant le début de la Coupe d’Afrique des nations, l’organisation Amnesty International dénonçait le « bilan désastreux de la Guinée équatoriale sur le plan des droits humains. »
 
Marise Castro, spécialiste de cette ancienne colonie espagnole chez Amnesty, détaille pour « le Nouvel Observateur » :
 
La situation des droits de l’Homme en Guinée équatoriale a toujours été terrible et ne montre aucun signe d’amélioration. Détentions arbitraires, oppression, torture, arrestations des opposants politiques et de leurs familles y sont monnaie courante. Il n’y pas de procès équitables, pas de liberté d’expression et encore moins d’espace pour critiquer le gouvernement. »
Au Gabon aussi les fondements de la démocratie sont largement bafoués. Dans son rapport 2011, le réseau de défense des droits humains de cette ancienne colonie française pressait le gouvernement « d’élaborer, en urgence, un véritable plan national des droits de l’Homme ».
 
Des appels qui n’ont manifestement pas touché la toute puissante Fifa dont dépend la confédération africaine de football (CAF), garante du bon déroulement de la compétition. La France, qui est pourtant intervenu militairement en Côte d’Ivoire et en Libye au nom du respect de la démocratie, n’a également rien trouvé à redire.
 
Alors pourquoi ce silence ?
Paul Dietschy, chercheur au Centre d’histoire de Sciences-Po et maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, explique :
 
La première raison c’est qu’il s’agit d’une compétition interafricaine. Même si des ressortissants français disposant de la double nationalité y participent, par exemple, au sein de l’équipe du Sénégal, la compétition n’engage pas la participation de la France. Par ailleurs, même s’il s’agit, notamment dans le cas de la Guinée équatoriale, d’anciennes et sinistres dictatures, la dernière CAN avait eu lieu en Angola qui n’est précisément pas une démocratie. Malgré les printemps arabes, il n’est pas aisé de trouver de véritables démocraties en Afrique à l’exception notamment du Ghana, du Botswana et de l’Afrique du Sud. Et puis le sport international s’accommode bien des régimes politiques forts, il suffit de voir les Jeux de Pékin ou l’attribution de la Coupe du monde 2018 à la Russie. »
Ceci dit, Paul Dietschy, auteur avec Claude Kemo-Keimbou de « Le football et l’Afrique », s’interroge :
 
Il est toutefois étonnant que la question ne soit pas évoquée alors même que deux ans plus tôt, l’équipe du Togo avait été victime (en Angola) d’une embuscade meurtrière dirigée contre le régime du président Dos Santos. »
Aussi selon Paul Dietschy, des raisons historiques et économiques expliquent tout autant, voire plus, le silence de la France :
 
Il y a sans doute une sorte de résignation à l’égard de l’Afrique ou aussi un complexe postcolonial qui rend difficile pour l’ancien colonisateur de donner des leçons de démocratie, surtout quand on connaît l’histoire de la Françafrique.
Des intérêts hexagonaux sont également en jeu : n’oublions pas que le nom officiel de la compétition est la Coupe d’Afrique des Nations Orange (du nom de l’opérateur français de télécommunication) et que les deux pays sont d’abord des Etats producteurs de pétrole. »
Autrement dit, la France et ses fleurons économiques continuent de privilégier leurs intérêts stratégiques au respect des droits de l’Homme. Maintes fois enterrée, la Françafrique est donc bel et bien vivante, comme l’a montré l’éviction en mars 2008 de Jean-Marie Bockel du secrétariat d’Etat à la Coopération et à la Francophonie sur demande de feu Omar Bongo ou plus récemment les conditions de la visite à Paris du président ivoirien Alassane Ouattara.
 
Contacté par « le Nouvel Observateur », Orange assure qu’il ne vise pas de contrats particuliers avec les dictatures en place. L’opérateur français est partenaire de la CAF depuis 2009. Il a l’exclusivité sur la diffusion de contenus mobile sur le territoire africain jusqu’en 2016 et détient le monopole de la retransmission TV et mobile en France jusqu’en 2012.
 
Par ce partenariat, Orange « accélère son déploiement et jouit d’une large visibilité en donnant une dimension panafricaine à son image de marque. »
 
Reste qu’en s’associant à des pays peu scrupuleux sur le plan des droits de l’Homme, le géant français des télécoms est de fait complice de l’instrumentalisation du football à des fins politiques.
 
Dans l’histoire, le sport a en effet toujours été un outil de propagande. Suprématie de la « race aryenne » en 1936 au JO de Berlin, opposition Est/Ouest pendant la guerre froide… Les mécanismes sont connus, et toujours utilisés.
 
Et le phénomène est particulièrement prégnant en Afrique, comme le rappelle Christian Bromberger, professeur d’anthropologie à Aix-Marseille Université, auteur de « Le match de football » (Éditions de la MSH) :
 
Historiquement, le football a été associé aux revendications nationales et de décolonisation, comme en 1958 avec la création de l’équipe du FLN algérien, mais aussi contre l’apartheid sportif [résolution de l’ONU 40/64 G adopté en 1985] ».
Pour Paul Dietschy, « on s’est sans doute habitué à la politisation du football en Afrique de la lutte pour l’indépendance aux prétentions footballistiques de Saadi Kadhafi en passant par les footballs de Mobutu ou Sékou Touré. Du fait de la faiblesse de la société civile du sport dans de nombreux pays africains et de l’omniprésence de l’Etat, les liens du sport avec les dictatures sont presque naturels. »
 
Aujourd’hui, dans des Etats touchés par des conflits ethniques, le football est utilisé pour fédérer la nation.
 
L’équipe nationale est censée surmonter ces divisions internes comme en Côte d’Ivoire, au Nigéria, en RDC, en Algérie… », explique Christian Bromberger.
Le géopolitologue, Pascal Boniface, directeur de l’Iris et secrétaire général de la Fondation du football, confirme :
 
Le prestige de tout un pays est en jeu. Surtout que l’événement a une portée continentale très forte, et une médiatisation quasiment mondiale. Ainsi, les fédérations sont traditionnellement dirigées par des ministres ou des proches du pouvoir en place. Tout pouvoir a besoin de la victoire afin de la faire rejaillir sur lui. »
Une leçon d’opportunisme parfaitement appliquée par Ali Bongo, qui n’a pas hésité à esquisser quelques pas de danse dans les vestiaires du Gabon après la victoire 2-0 face au Niger.
 
nouvel obs

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