Après presque trois (03) ans de travaux, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation rendit son rapport le 3 avril 2012. Et c’était le sentiment du devoir accompli qui animait son Président, Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan. Son euphorie laissait croire à l’avènement de la réconciliation juste au lendemain de la cérémonie de remise du rapport de synthèse et des recommandations à Faure Gnassingbé. Clan au pouvoir-peuple togolais, armée-civils, tous les fils et filles du pays ; voilà autant d’entités que le prélat était censé réconcilier. Mais cette réconciliation semble impossible, avec les différentes péripéties sociopolitiques actuelles.
 
Davantage de frustrations politiques
 
Respect des libertés d’expression et de manifestation, organisation d’élections démocratiques, respect du verdict des urnes…ces idéaux font partie de la soixantaine de recommandations faites par la Cvjr, comme devant favoriser la réconciliation tant souhaitée. Le bon sens voudrait que Faure Gnassingbé qui la quémande, commence tout de suite à donner le bon exemple, dans le cadre des prochaines législatives. Mais c’est à tout le contraire que l’on assiste. Les manifestations du Collectif « Sauvons le Togo » qui se déroulent sans répression se comptent au bout des doigts. Toutes les entraves du monde sont posées en amont pour les dissuader. Et le jour J, malgré le respect de toutes les formalités légales, les forces de l’ordre procèdent à la répression à coups de matraques, de cordelettes et de tirs de grenades lacrymogènes, même dans les habitations, occasionnant des blessés et parfois des morts. Comme si les corps habillés ne suffisaient pas, la dernière trouvaille consiste à déverser des milices aux trousses des manifestants de l’opposition. Le cas d’Adéwui le 15 septembre dernier.
 
Les prochaines législatives, on n’a pas besoin d’être sorcier pour se rendre compte que Faure Gnassingbé ne les veut pas démocratiques et transparentes. On n’en voudrait pour preuve que la façon dont le processus est conduit. Les règles du jeu sont élaborées par la seule volonté du jeune monarque et imposées à toute la classe politique. Le découpage électoral reste inique, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) colonisée par les hommes du pouvoir et de son allié l’Union des forces de changement (Ufc) mais aussi des professionnels des élections frauduleuses. Malgré la contestation de l’opposition, la Cour constitutionnelle a reçu le serment de ses membres, ordonnant ainsi l’enclenchement de la phase active du processus. A cette allure, les résultats s’annoncent biaisés.
 
Faure donne le mauvais exemple
 
La réconciliation, ce n’est pas un mot ; c’est un comportement. Et le bon sens aurait voulu que ceux qui s’illustrent comme les sopi (champions) de cet idéal en donnent le bon exemple. Faure Gnassingbé nommément. Mais il s’efforce plutôt de diviser son entourage. L’illustration patente est le sort réservé à Pascal Bodjona, son homme à tout faire jusqu’ici.
Pascal Bodjona n’est pas un Saint, et de par ses actes posés contre l’alternance – allusion à son rôle dans le hold-up de mars 2010 -, les Togolais devraient plutôt jubiler qu’il paie pour ses « péchés ». Mais dans cette affaire d’escroquerie dite internationale, personne – sans ni même Faure Gnassingbé sans doute – n’est convaincu de la responsabilité attribuée à l’ancien ministre de l’Administration territoriale. L’homme a été arrêté avant qu’on ne trouve de quoi l’accuser. Tantôt témoin, tantôt complice, c’est un véritable cafouillis que cette affaire où les procédures s’enjambent et s’interpénètrent. Au point qu’aujourd’hui, difficile de savoir de quoi on accuse au juste Pascal Bodjona. Manifestement, il s’agit d’un règlement de comptes, mieux, d’une vengeance de Faure Gnassingbé contre son ancien collaborateur, pour des griefs qui échappent au citoyen lambda. Depuis le 1er septembre 2012, Bodjona est coincé entre les quatre murs de la Gendarmerie. N’évoquons même pas le cas de Kpatcha Gnassingbé coffré depuis le 15 avril 2009. Et dire que cela vient de celui qui crie avec micro et enceintes acoustiques à la réconciliation !
 
Fossé grandissant entre militaire et civil
 
Au-delà de la simple dispersion des manifestations hostiles au pouvoir, les répressions creusent davantage le fossé entre le militaire et le civil, augmentent l’inimitié envers les hommes en uniforme. Comment le civil peut-il aimer le corps habillé lorsque ce dernier prend plaisir à lancer des grenades lacrymogènes dans des maisons et sur de paisibles habitants qui n’ont rien à voir avec les manifestations ? Et dans toute cette histoire, c’est toujours l’homme en uniforme qui a raison. Le gouvernement n’a-t-il pas fait passer le vieux Dagbé Yao, proprement molesté en juin 2012 à Sokodé par les forces de répression et décédé quelques jours plus tard, comme mort de sa propre mort ? Et Mme Yvonne Amékoudji qui a rendu l’âme à Lomé à cause des grenades lacrymogènes lancées dans sa maison ?
Au Togo, le militaire a tous les droits sur le civil, de vie comme de mort. Quelles que soient les circonstances, c’est toujours lui qui a raison. Les événements de ces derniers jours sont assez illustratifs. Au nom de la lutte contre la vente du carburant frelaté, et à cause des billets de 5000 ou 10 000 F à soutirer aux vendeurs, on enlève facilement la vie à de paisibles citoyens. Yao Borma, le jeune humoriste qui co-animait l’émission « Labo du rire » sur la TV2 a trépassé lundi, des suites des balles reçues dans la nuit du 25 au 26 octobre dernier, au cours d’une banale opération de saisie de carburant frelaté. Alors que le jeune homme ne représentait aucun danger, ses détracteurs, des agents de l’Unité spéciale d’intervention de la Gendarmerie (Usig) ouvrirent le feu sur lui. Et le plus choquant, pour dédouaner les auteurs de cette bavure (sic), on manœuvre pour faire passer le malheureux Borma pour un braqueur. Un autre vendeur de ce carburant frelaté a été poussé lundi à Adidogomé sous un véhicule par des douaniers. Ce qui a suscité la révolte légitime des habitants du quartier.
 
Sur le terrain social, ce sont les mêmes frustrations. Les leaders des mouvements estudiantins qui réclamaient tout simplement de bonnes conditions d’études et de vie n’ont-ils pas été récemment exclus de l’Université de Kara ? Et comme cela ne suffisait pas, ils sont traqués jusque dans leurs derniers retranchements. Et c’est dans cette atmosphère de frustrations quotidiennes dans tous secteurs que l’on crie à la réconciliation.
 
Tino Kossi
 
liberte-togo
 

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