Qu’est-ce qui peut encore arrêter un pouvoir qui, après s’être abondamment souillé du sang de paisibles citoyens, promeut et décore de l’ordre du mérite des tortionnaires confirmés, proscrit des élus du peuple en plein exercice de leur mandat et, par des lois scandaleuses et une Haute Autorité de l’Audiovisuel aux ordres, persécute la presse ? Rien. Pour un régime aussi ingénieux dans le mal, falsifier simplement un rapport de la CNDH, à défaut d’un délit mineur, est plutôt un art très apprécié. Ainsi fonctionne, depuis toujours, la République togolaise sous le RPT. C’est une vieille tradition.
L’histoire étant un témoignage, il n’est pas inutile de rappeler un cas de faux et usage de faux orchestré au plus haut sommet de l’état. Il s’agissait, en 1997, de documents subversifs portant la signature du leader de l’UTD, Edem Kodjo, sans que ce dernier en soit l’auteur. Cet « acte de voyou » n’a pas été du goût du Premier Ministre fraîchement démissionné de la primature. Il l’a fait savoir, dans une lettre de protestation à la mesure de son indignation, au général Eyadéma soupçonné de parrainer ces genres de malversations. Cette année-là, les pistes avaient conduit à un certain Koffi Panou connu pour sa passion des coups tordus. Faure Gnassingbé, à ce qu’on voit, perpétue ces pratiques qui ont permis à son père de régner d’une main de fer sur le Togo.
En falsifiant un rapport officiel, adopté, paraphé et signé par la Commission Nationale des Droits de l’Homme qui l’accuse de torture sur des détenus, le pouvoir voulait, comme d’habitude, nier l’existence au Togo de chambres de tortures. C’est une façon, pour lui, de cacher sa noirceur et protéger les éléments de l’armée qui se livrent à ces pratiques inhumaines. Il pourra, ainsi, continuer de mentir au monde que son système s’est civilisé. Si l’on sait que le gouvernement est attendu en mars prochain à Genève devant la commission des droits de l’homme de l’ONU, pour rendre compte de son application des recommandations qui lui ont été faites en Octobre, on comprend que la falsification a aussi pour objectif d’avoir sous la main un rapport de la CNDH « clean » à brandir lors de ce rendez-vous.
Cette fois-ci, le truc n’a pas marché pour les autorités du pays fraîchement élu (?) au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le mensonge, trop gros pour être supporté par Koffi Kounté et ses collaborateurs de la CNDH, a tremblé à Lomé. Tellement et si fort que Faure Gnassingbé ne pouvait pas s’empêcher d’en ressentir les secousses à New York où il se trouvait pour présider, au nom du Togo, une réunion de l’ONU sur les causes de l’instabilité en Afrique.
Le pouvoir RPT n’avait pas besoin de ce scandale. Mais, parce que les « habitudes de la maison » ont la vie dure, ce parti ne peut pas se passer, un seul jour, de ses vices principaux dont le faux et l’usage de faux sont les plus courants. C’est un secret répandu dans l’opinion togolaise que le pouvoir en place continue gaiement de martyriser, de livrer au supplice de la diète noire ceux qui, politiquement, sont différents. Des officiers de l’armée nationale, chèrement formés au frais du contribuable, sont chargés de cette basse besogne de torture qu’ils exécutent du matin au soir, à cœur joie, sans s’inquiéter des conséquences. Comme si dans les académies militaires d’où ils sont sortis, ils n’ont appris à faire que ça.
Un communiqué officiel du cabinet du PM a semblé dire que « l’incident est clos, que le rapport authentique de la CNDH sera étudié et ses recommandations mises en œuvres ». Encore un autre mensonge. Un volt face honteux qui cache mal la nature médiocre, incestueuse et filoute du régime qui a pris en otage tout un peuple. Le Togo reste l’un des rares pays en Afrique de l’Ouest où des citoyens sont contraints de franchir les frontières pour vivre, libres. La CNDH vient de l’attester, le camp de la gendarmerie dont Yark Dahémane est le commandant, représente, au Togo, ce que le sinistre « camp Boiro » était en Guinée de Sékou Touré. Face à une telle situation, la meilleure réaction du Premier ministre Houngbo, un ancien haut fonctionnaire de l’ONU, aurait été de rendre la démission collective de son équipe. Pour l’honneur. On sait d’ores et déjà que cette option est hors de question pour notre « cartésien » en pleine course contre la montre dans l’acquisition des biens afin de se mettre à l’abri du besoin.
Trop de gens meurent au Togo dans des conditions ténébreuses. Le cas de l’intellectuel Kokouvi Atsutsè Agbobli n’a pas encore quitté les esprits. Ces derniers jours, des voix s’élèvent, plus fortes, pour dire qu’il aurait été torturé à l’ANR avant d’être nuitamment jeté à la mer. Les Togolais de tous les jours, eux non plus ne sont pas mieux lotis. La semaine dernière, à Ablogamé, c’est une dame qui sera mortellement foudroyée par une annonce en provenance de la prison civile de Lomé : « votre fils est mort, venez chercher le corps ». Son fils unique, un jeune vigoureux de 26 ans, incarcéré pour un larcin est mort. La cause de son décès subit en prison, comme tant d’autres, ne sera jamais connue. On est en droit de tenir pour suspects les semeurs de la mort, toujours très actifs au Togo, au nez et à la barbe de celui qui nous sert de président.
Le phénomène est tout de même surréaliste et malsain, parfois révoltant. Ces « tortionnaires agréés de la République », de véritables monstres à visage humain que le président laisse sévir, que gagnent-ils en commettant d’aussi abominables crimes ? Sur quelle protection inaltérable comptent-ils pour ignorer aussi royalement que demain, morts ou vivants, ils seront pris dans les mailles de la justice ? Ignorance, Caractère inné ou propension acquise ? Les Togolais, dans tous les cas, font le constat qu’ils sont soumis, de plus belle, à un régime tortionnaire. Le président Faure Gnassingbé, dans cette atmosphère tendue, va organiser, bénoîtement, à l’Eglise des Assemblées de Dieu de l’Estao à Lomé, « une série de prières pour des élections locales et législatives apaisées au Togo ». C’est une profanation pure et simple de la divinité. Si tant il est vrai que Dieu est au milieu de ce pouvoir, le meilleur geste aurait été, au lieu de ce show médiatique à l’Estao, qu’il commande un culte de purification dédié aux tortionnaires.
A l’intérieur du pays comme au sein de la diaspora, certains voudraient donner du temps, les uns au doute, les autres à une main divine. Mais cette affaire de falsification de rapport au sommet de l’Etat est, aux yeux de tous, le scandale de trop. Le moins qu’on puisse exiger de Faure Gnassingbé, à défaut de lui dire de céder la place pour incompétence caractérisée, est qu’il démantèle publiquement, maintenant, les chambres de torture, qu’il se désolidarise des bourreaux et se sépare, enfin, des faussaires qui abondent dans son entourage. Une absence d’action sera assimilable à une revendication du crime.
Les Togolais ne sont pas dupes. Ils savent que le président, obnubilé beaucoup plus par la jouissance du pouvoir que le destin de son pays, une fois encore, va faire profil bas. A dessein. Parce que les mains obscures qui ont travesti le rapport de la CNDH sont celles qui magouillent habituellement les élections en sa faveur. Ce sont encore les mêmes qui mettront leur talent de falsificateur à son service lors des législatives et locales prévues vers la fin de cette année. Faure Gnassingbé est bien là en face d’une équation compliquée. Il l’aura voulu !
Kodjo Epou
Washington DC
USA

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