Tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou tentative de coup d’Etat


Dans la dynastie Gnassingbé, il y a des crimes qui légitiment la mise entre parenthèses de la Constitution, de l’ensemble des lois internes et de la Convention contre la torture ratifiée en bonne et due forme, et du coup, justifient la pratique de la torture (sic) pour peu que le Ministère public vous en colle une au dos. Des parfaits inconnus aux illustres personnages dont Kpatcha Gnassingbé un fils d’Eyadéma, ils sont nombreux, ces Togolais à être passés par le CTR devenu plus tard l’ANR, des lieux réputés de sinistre mémoire. De 2005 où Faure Gnassingbé s’est précipité au sommet de l’Etat togolais à nos jours, il ne fait pas du tout bon être accusé de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sûreté intérieure de l’Etat ou de coup d’Etat.
 
D’entrée de jeu, un petit exercice de vocabulaire pour planter le décor s’avère nécessaire. Selon l’article 1er alinéa 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le terme torture désigne : « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ».
 
Si des révélations n’avaient jamais été faites sur la pratique de tortures, et que le sujet était presque tabou du temps d’Eyadéma Gnassingbé bien que l’information fût largement répandue que l’ex-chef d’Etat togolais les pratiquait au secret, le règne de Faure Gnassingbé son fils est, depuis 2005, année de sa prise du pouvoir, constamment éclaboussé par des révélations de telle nature. C’est une fiction créée par Massina, et dans laquelle lui-même attribue les rôles à chacun, a révélé un codétenu de Kpatcha Gnassingbé lors du procès dans la fable d’atteinte à la sûreté de l’Etat. La manœuvre consiste pour Faure Gnassingbé à noyer ses adversaires en les accusant de tentative d’atteinte à la Sûreté de l’Etat ou infractions connexes. Et sans autre forme de procès, les inculpés sont interpellés et déposés. Mais le plus cocasse, c’est qu’ils se retrouvent à broyer du noir, au CTR devenu l’ANR, catalogués comme des zones de non droit et à la Gendarmerie nationale. Ici ou là, ils subissent des tortures. Cette fable, les souvenirs sont encore vivaces dans les esprits, commence en 2005, lors de l’accession de Faure Gnassingbé au fauteuil présidentiel, dans un bain de sang qui aura fait au bas mot, des centaines de morts, des milliers de déplacés et autant de réfugiés.
 

1er juillet 2005 : début des affres de la misère pour six jeunes de l’opposition

 
Faure Gnassingbé avait remporté l’élection de 2005, organisée pour maquiller son putsch constitutionnel, avec l’onction de la communauté internationale, de la CEDEAO et autres organisations comme l’Union africaine. Le pays était en ébullition, car l’opposition criait à un hold up électoral. La marée jaune était dans la rue. Le bras armé du RPT tirait et mitraillait à volonté les populations. Le pouvoir était alors instable. Pour réduire au silence tous ces jeunes qui étaient déterminés à mettre un terme au coup de force électoral de Faure Gnassingbé, le pouvoir orchestrait des arrestations notamment parmi tous ceux qui étaient réputés proches de l’opposition. Les sieurs Hermes Da Silvéira, Kossi Tudzi représentant de l’UFC à Koussoumtou à Kpalimé, Komi Akakpo, sergent à la retraite, Kodjo Folly (Sergent) et Yaovi Amétépé ont été appréhendés dans ce contexte tendu. Ils seront accusés de tentative de coup d’Etat. Pendant vingt jours qui leur ont paru une éternité, ceux-ci ont bu jusqu’à la lie le calice de la torture au CTR (Centre de Traitement des Renseignements). Les pires atrocités humaines leur avaient été infligées dans ce lieu qui deviendra plus tard l’ANR (Agence nationale de renseignement). Sous prétexte de leur extorquer ce que les maîtres des lieux eux-mêmes appelaient des aveux sur un coup d’Etat en préparation mais imaginaire en réalité, ils disposaient à loisir de l’intégrité physique des détenus. Or la Convention contre la torture est formelle : « aucune situation de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ». Et tout se passe comme si la tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat, au demeurant fictive, était au Togo, l’argument massue qui rendait caduque cette convention ou du moins, légitimait la pratique de la torture. Ces jeunes dont l’un s’était évadé en 2009, ne seront libérés que le 12 mars dernier, après de longues années passées en détention, d’abord au CTR puis à la Prison civile de Lomé. Sans procès.
 

L’affaire Kpatcha Gnassingbé et ses troublantes révélations

 
Alliés au départ dès les premières heures du décès de leur père Eyadéma, Kpatcha Gnassingbé et son demi-frère Faure ont développé plus tard des relations très tumultueuses liées à la gestion du pouvoir d’Etat et de l’héritage laissé par le père. Fin tacticien, l’actuel chef de l’Etat togolais a malicieusement monté une ténébreuse affaire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat dont son frère serait le cerveau. C’était le spécial cadeau de Pâques de 2009. Et comme Kpatcha Gnassingbé, plusieurs personnes relevant tant de son entourage civil que militaire, trente-deux au total, sont passées de la lumière à l’ombre, réalisant ainsi le pire cauchemar de leur existence.
 
Tombés en disgrâce pour dit-on, avoir fomenté ou du moins tenté de perpétrer un coup d’Etat, ils ont été détenus pour certains, à la Gendarmerie nationale et pour d’autres, à l’ANR. Que ce soit ici ou là, le supplice était le même. Les détenus subissaient des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des séances de tortures pratiquées surtout à l’ANR avaient d’ailleurs été révélées lors de la parodie de procès organisée dans cette affaire et présidée par l’alchimiste, le grand magicien Pétchélébia. Ainsi des détenus étaient privés d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours. On les arrosait constamment d’eau glacée, les obligeait à faire leurs besoins dans leur cellule et à se coucher à côté, simulait un peloton d’exécution et autres. Plusieurs fois démenties par le gouvernement, ces tortures ont pourtant été confirmées par la CNDH dans son rapport authentique sur les allégations de torture à l’ANR de Yotroféï Massina.
 
Mais le plus grand regret, c’est que Faure Gnassingbé, dans un discours où il a condamné fermement ce soi-disant complot, faisait mine de privilégier le légalisme. A l’époque, il clamait haut et fort que la force de la loi allait prévaloir sur la loi de la force. Mais à l’évidence, même les lieux où ont été détenus Kpatcha Gnassingbé et ses coaccusés sont frappés d’illégalité. Comme d’ailleurs tout ce qu’ils endureront. Ils ont été privés de visite à l’ANR même lorsque leurs proches étaient munis de permis de communiquer. Il ya eu d’ailleurs des manœuvres pour les priver sur le plan d’assistance et de représentation judiciaire en prétextant que les détenus ne voulaient pas d’avocats. Le dossier Kpatcha Gnassingbé et coaccusés, à y regarder de plus près, n’est qu’une somme d’illégalités et d’irrégularités, avec comme point d’orgue la pratique des actes de torture sur les prisonniers..
 
Cas des deux jeunes membres de Sursaut-Togo
 
« Groupement de malfaiteurs et tentative de coup d’Etat », c’est l’autre chef d’inculpation qui a permis d’envoyer au Goulag, disons plutôt au Guantanamo local, deux jeunes réputés proches de Kofi Yamgnane. Le 1er juillet 2010, dans la nuit aux environs de 22h, l’un d’entre eux a été arrêté dans son propre bar à Adidogomé. Et comme lui, un autre infortuné, pour une destination inconnue. Mais ce serait le SRI (Service de Renseignements Internes) où ils ont passé quatre jours. Le 05 juillet 2010, ils ont été embarqués pour l’ANR du tortionnaire Massina. La raison de leur arrestation et détention dans un lieu aussi lugubre, est qu’ils seraient des cerveaux d’une tentative de coup d’Etat, la charge au nom de laquelle tous les coups illégaux et la pratique de la torture sont justifiés. « Ici il est facile d’entrer mais difficile d’en sortir. Alors si tu aimes ta femme et ton enfant, dis la vérité pour te retrouver hors de cause », leur a asséné le maître des lieux, le Col. Yotroféï Massina. L’un d’entre eux s’entendra dire qu’il était le cerveau du soulèvement populaire monstre qui a été consécutif à la hausse cavalière du prix du carburant à la pompe, sur décision du gouvernement. Et que de ce fait, il préparait un coup d’Etat.
 
Un autre prétexte tout aussi fallacieux avancé pour soutenir un tel chef d’inculpation, c’est qu’il était réputé proche de Kofi Yamgnane, le numéro un du mouvement politique Sursaut-Togo. Les auditions et interrogatoires, a-t-on appris de source sûre, se déroulaient là dans des conditions effroyables pour les détenus. Bras droit et pied gauche menottés ensemble, bras gauche et pied droit également menottés ensemble. Et ce pendant treize jours, soit pendant toute la durée des premières auditions. Autre détail, le lieu où devait être détenu l’un d’entre eux, était presque à l’image d’une chambre froide. Même pour aller jeter son urine qu’il faisait dans un étui, l’homme devait garder les menottes aux pieds. Ce supplice, les deux infortunés le subiront pendant un peu plus de trois mois, cent cinq jours plus précisément avant d’être transférés à la Prison civile de Lomé où ils sont demeurés jusqu’à leur mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire le 12 mars dernier.
 
A l’aune de ces amères expériences vécues par ces infortunés, des plus anonymes aux plus célèbres, il apparaît une constance. Au nom de l’accusation de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou autres infractions connexes, tous les crimes semblaient permis. Déshumaniser l’homme, lui ôter sa dignité, commettre sur sa personne les actes les plus odieux et les plus exécrables, toutes formes de barbaries qualifiées de tortures et d’actes cruels, inhumains ou dégradants. Mais le pot aux roses est désormais découvert, grâce aux révélations des codétenus de Kpatcha Gnassingbé et au rapport de la CNDH. Depuis lors, plus personne ne peut nier la pratique des actes de torture dans ce lugubre endroit, ni même Gnama Latta, devenu aphone par la force des circonstances. Et désormais, la peur semble avoir changé de camp. L’étau se resserre autour des tortionnaires. Donneurs d’ordre ou simples exécutants, ils seront tous dans le viseur de la CPI. Même en interne, des mesurettes sont édictées pour les sanctionner. Fiction ou réalité ? Là, c’est tout un autre débat.
 
« Dura lex, sed lex », dit la maxime juridique. « La loi est dure, mais elle reste la loi ». Aucune infraction aussi grave soit-elle, comme la tentative de coup d’Etat ou autres, ne saurait justifier la pratique de la torture. Et cette règle est d’autant plus contraignante que le Togo a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
 
Magnanus FREEMAN
 
liberte-togo.com
 

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