Interview / Kofi YAMGNANE : « Avec Hollande Toutes les dictatures ont désormais tout à craindre, et en particulier le pouvoir togolais »
 
Dans une interview réalisée par notre partenaire La Nouvelle pour le compte du MO5-togo et Liberté, le Franco-Togolais Kofi Yamgnane parle, entre autres, de l’élection de son candidat François Hollande. Il annonce des lendemains difficiles pour « toutes les dictatures, en particulier celle du Togo ». L’ancien Secrétaire d’Etat de Mitterrand réaffirme qu’il est « un homme debout, un pied sur le continent africain, l’autre sur le continent européen ». Le pouvoir togolais a-t-il du souci à se faire ? Lisez :
 
1 – Monsieur Kofi YAMGNANE, quelle appréciation faites-vous sur la politique actuelle au Togo ainsi que la dissolution-fusion du RPT et la création du nouveau parti UNIR de Faure Gnassingbé EYADEMA?
 
Le RPT gouverne. Le RPT administre. Le RPT rend la justice. Le RPT est tout à la fois l’armée, la milice, la police et la gendarmerie. Le RPT tient le cordon de l’économie nationale et des finances nationales. Le RPT, c’est le Trésor Public: il prélève à la source les cotisations obligatoires pour tous les Togolais ! Au mois d’avril 2012, tout ça, c’est fini ! Le RPT est dissous, mort et enterré à Blitta. Il a rejoint dans l’au-delà son géniteur et quelques-uns de ses thuriféraires («…tous des flatteurs, des menteurs, des voleurs…»), comme les qualifiait Eyadema lui-même. L’Union pour la République (UniR) est née. Il ne reste plus au peuple togolais qu’à espérer que ses deux fils préférés, Faure et UniR, lui rendent son honneur, sa dignité et sa liberté. Laissons donc l’un et l’autre nous montrer ce dont ils sont capables. Mais les Togolais sont en droit de se demander comment on peut faire de la sauce nouvelle avec des vieux légumes? Nous serons vite fixés: pour illustrer son indépendance vis-à-vis du défunt RPT et pour affirmer son identité propre, l’UniR doit poser un acte fondateur, à savoir rétablir pour toutes les élections un scrutin à deux tours. Et puis l’ampleur des fraudes aux élections législatives prochaines nous permettra de juger sur pièces!
 
2 – La peur gagne le pouvoir togolais depuis la candidature de monsieur François HOLANDE aux élections présidentielles de la France. Savez-vous pourquoi ?
 
Depuis que le pouvoir RPT/AGO a su que François Hollande est candidat et surtout quand il a pris conscience de ma présence auprès de notre candidat, il a complètement perdu le peu de sang froid qui lui restait. Il y est donc allé à son penchant naturel: l’injure et le parjure. Il n’a pourtant rien à redouter: François Hollande n’a aucune volonté de domination. Ce soir François Hollande est élu Président de la République française. Toutes les dictatures ont désormais tout à craindre, et en particulier le pouvoir togolais, s’il continue de refuser la démocratie, la liberté et l’alternance politique. Au PS, nous pensons qu’aucun développement n’est possible de la part d’un pouvoir qui demeure accroché à ses prébendes, au détriment de son peuple; un pouvoir qui manipule, qui fraude; un pouvoir qui torture ses citoyens. Un même parti au pouvoir pendant près de 5O ans, trop c’est trop! Le RPT/AGO hier, l’AGO/UniR aujourd’hui, a le destin du peuple togolais entre ses mains et il a tout intérêt à ce que ses mains soient innocentes du sang des Togolais. C’est pourquoi s’il y avait un conseil à donner aux créateurs de UniR (ceux qui sont encore propres…), il faudrait leur dire de se séparer au plus vite de leurs membres violents, corrompus, prébendiers… Ils doivent se séparer de tous ceux qui pensent que le nouveau parti doit être l’ancien: parti unique, parti dominateur, parti tout-puissant…
 
3 – Vous avez été, avec le Président François MITTERRAND, ministre chargé de l’Intégration dans le gouvernement français. Pourquoi a-t-on l’impression aujourd’hui que l’intégration en France est un vain mot?
 
Non, même aujourd’hui, l’idée d’intégration reste une idée républicaine, pas un vain mot. Le score de Mme Le Pen au scrutin présidentiel du 22 avril 2012 interroge tous les démocrates et tous les républicains. Il est sans doute dû à la colère et au doute qui se sont emparé d’une frange, peut-être la plus fragile, de la population française. Mais il est surtout dû à la banalisation des idées d’exclusion et de stigmatisation des étrangers. La “lepenisation” des esprits, acceptée et même revendiquée, fait courir des grands risques de fissure et peut-être même d’explosion à la société française. Plus que jamais, la République a besoin de s’affirmer encore davantage en revenant à ses fondamentaux. La République doit mettre en œuvre tous ses atouts pour intégrer dignement les migrants, sans complexe, sans état d’âme. Prenant racine dans la mémoire des migrations et de l’apport des étrangers à l’identité nationale, la politique républicaine d’intégration doit être entièrement repensée, rénovée.
 
4 – Est-il plus facile d’être le premier magistrat d’une commune (maire) en France que d’être candidat aux Présidentielles au TOGO? Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience?
 
Kofi Yamgnane : Ah, oui! Il est tout simplement plus facile d’être candidat à une élection en France qu’au Togo. En France, il existe des règles simples et connues de tous les candidats. Il n’existe pas de chausse-trappe. On n’invente pas des dates de naissance aux candidats dans l’intention expresse de les empêcher de se présenter. Le Conseil Constitutionnel n’est pas aux ordres du ministre de l’intérieur ou du président de “la république”. On n’empêche aucun candidat de faire campagne. Aucun résultat n’est falsifié… toutes choses “autorisées” au Togo, avec la force, la contrainte et la violence si besoin. La campagne que j’ai menée au Togo m’a montré que notre société s’est enlisée dans les sables mouvants du mensonge et de la cupidité; elle est restée paralysée par le régionalisme et l’ethnicisme et par une réelle tendance au culte de la personnalité. Le pouvoir se sert en faisant peur; les prêtres, les prêcheurs, les charlatans, les pasteurs…se servent sans vergogne. Les «partis» politiques d’opposition ne sont pas en reste: pour une élection aussi importante, on aurait pu s’attendre à voir chaque candidat publier au moins sa profession de foi, à défaut d’exposer sa vision du Togo dans un futur plus ou moins proche. Au lieu de quoi: rien, rien qu’un indécent carnaval légitimé par le pouvoir et pour lequel l’opposition lui a emboîté le pas: distribution de maillots à l’effigie du chef, de ballons, de strings même…pour amuser les grands enfants que sont les Togolais ! Aucun slogan mobilisateur, aucune perspective… Vous dire que cette vision m’a profondément désespéré est un doux euphémisme…et c’est seulement la souffrance du peuple togolais qui me motive encore et encore.
 

5 – Aujourd’hui Monsieur François HOLLANDE est élu Président de la République Française. Vous qui êtes très proche et conseiller Afrique de François Hollande lors de sa campagne, que pensez-vous qu’il va se passer?

 
Il va se passer le changement annoncé! La République va reprendre ses droits: les mêmes droits et devoirs pour chaque Français. La laïcité va à nouveau guider l’action des gens de foi, et non plus la stigmatisation de telle ou telle religion. Les concepts: Liberté, Égalité, Fraternité vont de nouveau avoir un sens. Finies les trop nombreuses fractures, blessures, coupures, ruptures…initiées et pratiquées par le pouvoir UMP de Nicolas Sarkozy. Partout la justice va être rétablie…oui, la gauche est de retour et elle prend en charge l’alternance tant attendue des Français.
 
6 – Nous avons appris que le pouvoir togolais tente de vous approcher en vous envoyant des émissaires qu’en est-il vraiment?
 
Vous me l’apprenez car moi je n’ai reçu personnellement aucun émissaire du pouvoir togolais. Du reste, que pourrait bien venir me demander un émissaire? Quant à moi, j’ai une requête très simple auprès du gouvernement de mon pays: me rétablir dans mes droits en régularisant mes papiers d’identité, comme en bénéficient tous les Togolais! Le gouvernement ne peut pas tout à la fois m’inventer une date de naissance et puis ensuite s’en servir pour me reprocher d’en avoir deux! Un abus de pouvoir et une malhonnêteté inqualifiables.
 

7 – Dans les mois à venir, quelle sera la politique de Monsieur François HOLLANDE envers les pays africains?

 
Concernant la nouvelle politique africaine de la France, François Hollande nous a demandé de travailler à achever la décolonisation et mener en Afrique une politique cohérente avec les autres pays Européens. Il entend respecter la démocratie là où elle existe et soutenir tous ceux qui se battent ailleurs à son avènement. Il veut privilégier une approche plus respectueuse des peuples par la reconnaissance des aspirations populaires trop souvent brimées par des régimes autoritaires et parfois corrompus.
 
Il veut refonder ces relations sur des bases saines en tournant définitivement la page de la colonisation, en en finissant avec les formes plus ou moins subtiles du paternalisme néo colonial, en regardant l’Afrique comme elle est aujourd’hui et en pressentant ce qu’elle sera demain, en entrant dans une coopération sur la base de l’égalité et du respect mutuel et en s’appuyant sur les forces qui feront l’Afrique de demain: étudiants, jeunes entrepreneurs, diplômés au chômage, artistes, écrivains, diasporas…
 
Aider les pays africains à contenir la fuite de ses cerveaux et à la transformer en gain de cerveaux; encourager partout les transferts de technologies; engager les entreprises françaises travaillant en Afrique sur la voie de leur responsabilité sociale, sociétale et environnementale; faire respecter une éthique de la transparence…etc.
 
Enfin, disons-le tout net: aux yeux de beaucoup d’Africains, l’interventionnisme armé de la France et le recours très «sélectif» à la Cour Pénale Internationale incarnent une nouvelle «mission civilisatrice occidentale», rappelant à bien des égards la douloureuse «pacification» de l’ère coloniale. François Hollande veut en finir avec ces méthodes surannées. Enfin, il va prendre en compte l’impératif démocratique et participer à la sécurité collective du continent.
 
8 – Que deviendra la Françafrique avec Monsieur François HOLLANDE en tant que Président de la France?
 
Cette «Françafrique» illustre les relations bilatérales «incestueuses» entre certains chefs d’État africains et le chef de l’État français, relations qui présentent de multiples facettes:
 
– le soutien ou la tolérance vis-à-vis de régimes politiques dictatoriaux, parfois installés par le gouvernement français lui-même, malgré le rejet de la majorité des habitants.
 
– les circuits mafieux d’argent et les trafics en tous genres, dont le sol africain est devenu le terrain de jeux ;
 
– le déni de l’Histoire, lorsque la majorité sortante, par la voix de Nicolas Sarkozy, met en doute la capacité de l’Afrique à accéder à la démocratie, voire de “rentrer dans l’Histoire”, niant le passé parfois glorieux de ces peuples.
 
– des politiques de solidarité qui s’effritent.
 
– des interventions militaires improvisées, qui mettent en danger les ressortissants français et donnent de la France l’image d’un gendarme désirant avant tout préserver ses intérêts.
 
– l’absence totale de respect des peuples africains et de leurs dirigeants;
 
– le recours très «sélectif» à la Cour Pénale Internationale…
 
Avec François Hollande, la fin de ce système est arrivée. Et donc les Chefs d’État africains, légitimes ou pas, doivent en prendre conscience, dès ce soir.
 

9 – Avec l’élection de Monsieur François HOLLANDE, que pensez-vous Monsieur Kofi YAMGNANE apporter au Togo et aux Togolais?

 
Je ne peux apporter au Togo et aux Togolais que ce dont je suis détenteur: l’expérience de la pratique de la démocratie. Je suis né au Togo, mes parents togolais m’ont élevé avec une certaine déontologie; la France, mon pays d’adoption m’a permis d’accéder aux fonctions électives et exécutives parmi les plus hautes. Tout ce mélange a fait de moi ce que je suis aujourd’hui: un homme debout, un pied sur le continent africain, l’autre sur le continent européen. Je pense ne pas être le moins bien placé pour savoir que le monde meurt de ses frontières: c’est pourquoi je suis un socialiste sans frontières ! Je suis capable de servir partout, avec ma compétence et mon talent, avec l’abnégation, le dévouement et l’exemplarité dont je suis capable. Je sais ce que veut dire travailler pour le rassemblement. Je suis donc prêt à apporter au Togo et aux Togolais tout ce qu’ils me demanderont et dont je suis capable.
 
Propos recueillis par Bonéro LAWSON du journal La Nouvelle pour liberté et mo5-togo.
 
www.mo5-togo.com
 

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