« Ce qui se passe au Togo est tellement grave et peut-être que le Pnud et l’Union européenne ne le perçoivent pas », s’emportait vendredi dernier Jean Kissi, le Secrétaire général du Comité d’action pour le renouveau (Car), membre de la Coalition Arc-en-ciel. Et légitimement. Mieux, la Communauté internationale, nommément le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) et l’Union européenne (Ue) se foutent royalement de l’atmosphère politique préélectorale tendue qui porte les germes d’une implosion. Visiblement, l’essentiel pour ces structures, c’est la tenue des élections législatives, quelles qu’en soient les circonstances. On n’en voudra pour preuves que leur agitation de ces derniers temps. La confirmation aura été la fameuse conférence de haut niveau organisée vendredi dernier dans un hôtel de la place. Une mauvaise blague en somme.
 
Cap sur les élections
 
« Les enjeux démocratiques et la consolidation de la paix ». C’est le thème de la rencontre dite de haut niveau sur « La démocratie et la paix au Togo ». Une initiative du Pnud s’inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre du Projet d’appui aux processus électoraux (Pape), financée par l’Union Européenne. Il s’agit en fait d’un panel auquel étaient conviés des partis politiques, des organisations de la société civile, les institutions impliquées dans les processus électoraux, les médias. Les communicateurs étaient de taille : Moustapha Niasse, Président de l’Assemblée nationale du Sénégal ; Mme Christine Desouches, ancienne Conseillère spéciale du Secrétaire général de l’Oif ; Général Siaka Sangaré, Président du Réseau des compétences électorales francophones. Et les sous-thèmes évocateurs : « Les élections, démocratie et Etat de droit en Afrique francophone », « Dialogue politique et consolidation de la démocratie » et « L’administration électorale, élections crédibles et transparentes en Afrique, leçons apprises, défis et perspectives ».
 
Pour donner un cachet spécial à la rencontre, les ambassadeurs du Groupe des cinq étaient tous présents : Nicolas Warnery de France, Joseph Weiss pour l’Allemagne, Robert Whitehead des Etats-Unis d’Amérique, le Chef de la Délégation de l’Ue au Togo Patrick Spirlet et la Représentante résidente du Pnud, Mme Khardiata Lo N’Diaye. Etait aussi de la partie le Président de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation, Mgr Nicodème Barrigah.
 
Les communications auraient été suivies de débats très riches (sic). Démarrée dans la matinée, la rencontre s’est terminée dans l’après-midi.
 
La bouderie légitime du CST et de la Coalition Arc-en-ciel
 
Le pouvoir était représenté à cette rencontre par l’Union pour la République de Faure Gnassingbé. Du côté de l’opposition (gentille), on notait la présence de l’Alliance de Dahuku Péré, de la Convergence patriotique panafricaine (Cpp) de l’homme de la politique de la chaise occupée, Francis Ekon, du Nouvel engagement togolais (Net) de Gerry Taama et du Parti du renouveau et de la rédemption (Prr) de Nicolas Lawson. Le Collectif « Sauvons le Togo » et la Coalition Arc-en-ciel ainsi que leurs partis membres ont multiplié cette conférence par zéro. Non sans raison.
 
Ces deux regroupements représentatifs du peuple trouvent la rencontre « inopportune ». « Notre pays traverse une grave crise politique » et « on ne peut parler de processus électoraux sans avoir réglé les questions liées à l’alternance et aux réformes constitutionnelles et institutionnelles, seules susceptibles de décrisper la situation sociopolitique » ; « En conséquence, les partis membres de la Coalition Arc-en-ciel ne pourront prendre part à cette conférence », a écrit en date du jeudi 27 septembre la Coalition, en réponse au courrier d’invitation adressé à ses membres par la Représentante résidente du Pnud à participer à cette conférence. Et de souhaiter « vivement » que les représentations diplomatiques les plus influentes au Togo « s’investissent pour amener les acteurs politiques du pouvoir et de l’opposition à s’entendre sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles, notamment celles liées à la limitation du mandat avec effet immédiat, pour éviter les risques d’explosion que peut provoquer un coup de force électoral du pouvoir ».
 
Même parmi les partis présents à la rencontre, tous n’y étaient pas pour gratifier les initiateurs et le pouvoir de leurs sourires. Ils auraient bien voulu Nicolas Lawson absent que présent, parce qu’il leur a craché ses quatre vérités, les mêmes presque que celles de la Coalition Arc-en-ciel, et refuse d’« accompagner » le pouvoir dans son coup de force. Par-dessus tout, le Président du Prr suggère la mise en place d’un gouvernement de salut public qui devra conduire les réformes et préparer les élections législatives de façon consensuelle.
 
A quoi jouent le PNUD et l’UE ?
 
La question mérite d’être posée, car les représentants du monde « civilisé » amènent le Togo sur une pente glissante. Cette fameuse conférence de haut niveau qui s’est tenue vendredi dernier et qui s’inscrit dans la mise en œuvre du Pape faisait suite à un séminaire organisé à l’endroit des corps habillés et qui a permis de les fourbir au maintien de l’ordre en période électorale. Une simulation a été faite et retransmise sur la TVT. C’est donc manifeste que le Pnud et l’Ue ne sont préoccupés que par l’organisation des élections. Et le bon sens ne peut qu’être choqué, lorsqu’on considère l’atmosphère politique relative à l’imminence du scrutin.
 
Doit-on privilégier l’organisation des élections aux réformes et autres mesures pouvant assurer sa transparence ? C’est malheureusement la logique du Pnud et de l’Ue. Les réformes fondamentales de l’Accord politique global (Apg) du 20 août 2006 ne sont pas encore matérialisées, de même que les recommandations des missions d’observation électorale successives de l’Ue. Le pouvoir ne montre d’ailleurs aucune disposition d’esprit pour ce faire. Le cadre électoral devant présider à l’organisation des prochaines élections législatives et locales est taillé sur mesure ; le découpage électoral confectionné reste inique et déséquilibre d’avance le jeu en faveur du pouvoir en place. La problématique de l’alternance n’est même pas envisagée par Faure Gnassingbé ; pour preuve, son refus du mode de scrutin à deux tours et de la limitation du mandat à deux avec effet immédiat, ce qui devrait induire son départ du pouvoir en 2015. C’est justement pour arracher les conditions de transparence de ces élections et d’alternance au pouvoir que le peuple togolais se retrouve dans la rue avec le CST et la Coalition Arc-en-ciel. Mais pour ça, les manifestations sont réprimées par les forces de l’ordre, et parfois dans le sang. La nouveauté, c’est que le pouvoir recourt à ses milices qui opèrent désormais à visage découvert, avec l’appui manifeste des corps habillés. Les violences du samedi 15 septembre à Adéwui sont assez illustratives.
 
Ces actes sont d’une gravité extrême et ont décidé l’Ambassade des USA à appeler les ressortissants américains à observer certaines mesures de sécurité. Mais la communauté internationale représentée dans notre pays n’a eu qu’une réaction mitigée. Le groupe des cinq s’est juste contenté de condamner (sic). Pas de demande d’enquête, ni même de poursuite judiciaire à l’encontre des miliciens. Le plus cocasse dans cette histoire est que des officiels de l’Etat se permettent de justifier ces violences. Et à cette allure, sans doute que le pouvoir n’hésitera pas à avoir recours à ces milices pour commettre les mêmes forfaits lorsqu’éventuellement, les résultats des élections seront contestés. Avril 2005 est encore vivace dans les mémoires.
 
Peut-on aller à des élections paisibles dans ces conditions ? Le faire, n’est-ce pas envoyer le peuple à l’abattoir ? Les Togolais ont toutes les raisons d’être révoltés de cette agitation du Pnud et de l’Ue et d’y voir une belle complicité avec le pouvoir Faure Gnassingbé, lorsqu’ils se rappellent le scénario du 6 mars 2010 qui avait vu saboter le VSAT installé pour assurer la transmission et la crédibilité des résultats. Le technicien en charge du système, le Sénégalais Yoro Thiam avait laissé éclater sa colère sur les ondes de RFI, rejetant ouvertement l’argument de panne alléguée par le pouvoir pour justifier la méthode Pascal Bodjona – hum…Il doit le regretter actuellement – qui avait vu héliporter les présidents des Célis à Lomé pour proclamer des résultats non authentifiés donnant Faure Gnassingbé vainqueur, avouant implicitement un sabotage du système. Mais chose bizarre, ni le Pnud qui avait assuré la charge technique du système, ni même l’Ue qui avait supporté le coût financier, n’ont réclamé le moindre compte au pouvoir Faure Gnassingbé. Les procès-verbaux et autres équipements du candidat du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac), Jean-Pierre Fabre prouvant sa victoire, saisis le 9 mars 2010 par la Gendarmerie, ne sont pas restitués jusqu’à ce jour. En novembre 2010, neuf (09) élus du peuple se réclamant de l’Alliance nationale de changement (Anc) ont été exclus de l’Assemblée nationale, et malgré les arrêts de la Cour de justice de la Cédéao, ils ne sont toujours pas réintégrés. Qu’est-ce qui peut bien empêcher la récidive de tous ces faits lors des prochanes élections?
 
On est au demeurant en droit de s’interroger sur l’attitude du monde dit civilisé dans notre pays. Comme Jean Kissi, les Togolais diront qu’on ne saurait parler d’élections en l’état actuel des choses. « Il faut d’abord faire les réformes constitutionnelles et institutionnelles notamment, parler de la question de la limitation du mandat présidentiel avec effet immédiat et la question des deux tours aux présidentielles. Si ces problèmes ne sont pas résolus, vous ne pouvez pas demander aux gens de mettre la charrue avant les bœufs. Le problème qui est là, qui cause les crispations et les conflits, c’est ce problème qu’il faut résoudre ». C’est le prix à payer pour avoir des élections paisibles. Ce n’est d’ailleurs qu’une question de bon sens, messieurs les représentants du monde « civilisé » !
 
Tino Kossi
 
liberte-togo
 

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