Le juge Kéléwani rejette les injonctions du ministre Tchalim et déchire la feuille d’inculpation
 
Comme annoncé, l’ancien ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, porte-parole du gouvernement, Pascal Akousoulèlou Bodjona était devant le Juge d’instruction au 4ème cabinet, Kéléwani Marius vendredi dernier en fin d’après-midi. Une rencontre houleuse dirigée de loin par le magicien du droit : le ministre de la Justice Me Tchitchao Tchalim. Mais pour la première fois, le juge a résisté aux pressions et refusé d’inculper l’ancien ministre.
 
En effet, M. Pascal Akoussoulèlou Bodjona devait se présenter dans la matinée de vendredi dernier devant le juge d’instruction pour être écouté sur ce qu’il sait de l’affaire Bertin Agba, DG d’OPS Sécurité, écroué depuis plus d’un an à la prison civile de Tsévié dans une curieuse affaire d’escroquerie internationale dont aurait été victime un richissime émirati Abass Al Youssef. Mais la veille, l’ancien ministre a été prévenu que le rendez-vous était reporté en fin d’après-midi pour des raisons de sécurité. Pourquoi cette heure un vendredi qui est le début du week-end ? Véritable énigme. Bien que certains lui aient déconseillé d’honorer ce rendez-vous fixé à une heure tardive, l’ancien ministre a décidé de se rendre au tribunal pour ne pas donner des arguments à ses détracteurs pour l’humilier.
 
A 17h45, l’ex-porte-parole du gouvernement est arrivé au Palais de la Justice de Lomé accompagné de ses avocats – Mes Gbati Tchassante et Euloge Talbousouma – et de quelques membres de sa famille. Dans un premier temps, c’est le ministre qui s’est introduit dans le bureau où étaient en pleine discussion le Juge d’instruction au 4ème Cabinet d’Instruction, M. Kéléwani Marius et le 2ème Substitut Adjoli Hyacinthe, assistés d’un greffier. Il sera ensuite suivi par ses deux avocats qui ont aperçu sur la table du juge une feuille verte qui est celle d’inculpation.
 
D’entrée, Mes Tchassante et Talbousouma ont demandé au Juge à quel titre leur client allait être écouté. « En qualité d’inculpé », a répondu sans ambages le juge. Par quelle alchimie le juge pouvait-il inculper quelqu’un qui n’a pas encore été auditionné ? Voilà la question que se sont posée les avocats qui ont fait sortir l’arrêt du 20 juin dernier qui dit clairement que Pascal Bodjona allait être écouté en qualité de témoin. Mais le juge et le 2ème substitut tenaient à l’inculper à tout prix parce que recevant régulièrement les coups de fil du ministre de la Justice, Me Tchitchao Tchalim. C’est en ce moment que Bodjona est intervenu pour rappeler à ses interlocuteurs ses réminiscences en droit. Les échanges deviennent houleux et le ministre est sorti entre-temps du bureau.
 
Mais la tension était loin de baisser. Finalement, le Juge d’instruction est revenu à de meilleurs sentiments et a accepté de l’écouter en tant que témoin. Joignant l’acte à la parole, il a déchiré la fameuse feuille verte devant servir à l’inculpation du ministre. Ce qui a rendu possible l’audition. Le juge lui a fait prêter serment au nom de l’article 84 du Code de Procédure pénale qui dispose : « Les personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité ne peuvent être entendues sous la foi du serment. Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire doit leur faire connaître qu’elles peuvent demander à être inculpées avant toute déclaration sur les faits et qu’à défaut elles seront entendues à titre de simples renseignements ».
 
Les avocats ont précisé que la plainte initiale rédigée le 2 mai 2011 et déposée le 10 mai de la même année par un particulier pour une affaire de droit commun, ne comportait pas le nom de Pascal Bodjona. En plus, l’ancien ambassadeur du Togo au Ghana, Norbert Gbikpi-Benissan, dont le nom figure dans la plainte a été entendu en tant que témoin.
 
Pendant ce temps, les coups de fil pleuvaient sur le juge pour lui indiquer ce qu’il fallait faire. Excédé, il ne s’est pas empêché de dire à ceux qui le harcelaient qu’il n’avait trouvé aucun élément susceptible d’inculper l’ancien ministre. Sur ces entrefaites, il a demandé au greffier de clore le dossier et qu’il ne pouvait pas l’inculper. Les avocats ont ensuite insisté auprès du juge qu’il soit précisé dans le procès-verbal que le ministre a été entendu en tant que témoin. L’audition a ainsi pris fin autour de 22h quand les rumeurs de son arrestation enflaient dans la ville.
 
« Le juge et le 2ème substitut étaient dépassés par les injonctions de ceux qui l’appelaient. Ils ont même compris que le dossier est manipulé afin d’inculper le ministre. Ils ont même dit au ministre de venir lui-même l’inculper. Il faut dire que ces jeunes magistrats ont fait preuve de courage. Mais connaissant comment fonctionne le système, il n’est pas exclu que des sanctions s’abattent sur eux », affirme un magistrat.
 
Selon les témoins, il y avait de la lumière dans le bureau du Procureur général M’Dakena pendant tout le temps qu’a duré cette audition.
 
Par ailleurs, il nous revient que d’autres scénarios sont en cours pour manipuler le procès verbal et l’inculper une fois pour de bon. En procédant ainsi, ses détracteurs entendent lui imposer l’omerta après son départ du gouvernement.
 
C’est depuis plusieurs mois que l’audition de Pascal Bodjona était dans l’air. Et en tant que ministre, il fallait une autorisation du chef de l’Etat avant qu’il ne se présente devant le juge. « Les membres du Gouvernement ne peuvent témoigner qu’après autorisation écrite donnée par le Président de la République. La demande est transmise avec le dossier par l’intermédiaire du Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Leur déposition est, dans ce cas, reçue par écrit dans la demeure ou le cabinet du témoin par le Président de la Cour d’Appel », précisent les alinéas 2 et 3 de l’article 422 du Code de Procédure pénale. Cette autorisation n’a jamais été donnée au ministre lorsqu’il était au gouvernement. Mais le mardi 31 juillet dernier, le jour où la composition de la nouvelle équipe a été rendue publique, le Procureur général a écrit aux avocats de Bertin Agba une lettre dans laquelle il a fait une malheureuse interprétation du verdict rendu le 20 juin dernier par la Cour suprême et annoncé que c’est l’audition de l’ancien ministre qui déterminera la suite à donner à cette affaire. « Mieux, elle a ordonné des mesures pertinentes, notamment l’audition par la voie appropriée du membre du gouvernement, Pascal Akoussoulèlou Bodjona, ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, porte-parole du gouvernement. Aussi, c’est dans la perspective de l’accomplissement de ces mesures que la procédure évoluera désormais », a-t-il indiqué.
 
Dans l’optique d’inculper l’ex-ministre, une réunion s’est déroulée le lundi 6 août dernier à la présidence de la République entre les sécurocrates, le Procureur général, deux substituts et un juge d’instruction, le chef de l’Etat étant lui-même en Italie. Au cours de ce conciliabule, il a été question d’examiner tous les scénarios possibles devant conduire à l’incarcération de l’ancien Directeur de Cabinet du Président de la République.
 
De sources dignes de foi, ce sont les fameux sécurocrates Atcha Titikpina et Massina Yotroféï, le ministre Tchitchao Tchalim, le « mercenaire au col blanc » Charles Debbasch, et la DG des Impôts Ingrid Awadé qui ont décidé d’en finir avec leur ex-ami, le tout dans le silence complice de Faure Gnassingbé. On apprend que ceux-ci seraient en train de se décarcasser pour faire venir à Lomé l’Emirati Abass Al Youssef. Il nous revient par ailleurs que M. Bodjona devrait encore être entendu aujourd’hui. Le cercle de feu à la togolaise ne fait que commencer. Affaire à suivre.
 
R. Kédjagni
 
 
liberte-togo.com
 

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