Que devient le dossier Pascal Bodjona ? La question n’est pas sans importance. Choux gras de la presse nationale et internationale et à la Une de toutes les discussions il y a encore quelques semaines, l’affaire Bodjona semble peu à peu tomber dans les oubliettes. Les médias en parlent de moins en moins sinon presque plus, les causeries n’en font plus référence et l’opinion nationale ne s’y intéresse plus. Bref, le dossier Pascal Bodjona prend inéluctablement l’allure de l’affaire Kpatcha Gnassingbé dont les dénonciations ont commencé en tambour battant mais n’ont tout de même pas empêché la condamnation du demi-frère du chef de l’Etat à une lourde peine de prison. Le rapprochement n’est pas trop osé. Lentement mais sûrement, on s’achemine vers un enlisement de l’affaire Bodjona. Ceci, au grand dam de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et à la grande joie de ses détracteurs. Dans ce cas, va-t-on continuer dans l’utilisation des stratégies qui ne lui ont jusque là rien apporté ? Peut-être qu’un changement de tactique s’impose. Sinon…
Avril 2009, une pluie de balles tirées par les armes lourdes des éléments des Forces d’intervention rapide (FIR) conduits par le Colonel Félix Kadanga, s’abat sur la maison de Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du chef de l’Etat et député du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) à l’Assemblée nationale. Les Togolais n’y avaient rien compris au début de ces événements rocambolesques. C’est quelques jours plus tard, avec l’arrestation de l’ancien Directeur générale de la Société d’administration de la zone franche (SAZOF), que les Togolais se rendront compte que ce dernier était accusé ou soupçonné de déstabilisation du pouvoir de Lomé.
Ainsi venait de commencer la longue et ténébreuse affaire de « tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat » qui conduira Kpatcha Gnassingbé, et certains de ses amis et compagnons également arrêtés, de l’Agence nationale des renseignements (ANR) où ils ont été détenus durant deux ans, aux geôles de la prison civile de Lomé (pour certains d’entre eux), après avoir été jugés en septembre 2011 dans un procès qualifiés par certains de « procès du siècle ». Le tout-puissant Kpatcha Gnassingbé a écopé d’une peine de 20 ans d’emprisonnement ferme avec déchéance civique.
Pourtant, ce ne sont pas des soutiens qui ont manqué au député de la Kozah après son arrestation. Aussi bien au niveau de la famille Gnassingbé qu’au niveau des proches directes de Kpatcha, il y a eu des appuis de toute sorte. Même dans sa famille politique, le RPT, les soutiens ont été certes officieux et cachés, mais ils ont été nombreux.
Les avocats du demi-frère du chef de l’Etat ont aussi accompli leur part du boulot. Et que dire de cette frange importante de la presse nationale qui a soutenu le député Kpatcha jusqu’au bout. Mais, rien n’y fit malheureusement. Kpatcha, au finish, a été bel et bien condamné.
Dossier Bodjona comme affaire Kpatcha
Pascal Bodjona n’est pas accusé d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il n’est pas non plus concerné par un quelconque achat ou détention d’armes en vue du renversement du pouvoir de Lomé, non. Son seul problème ou plutôt ce dont on l’accuse, c’est d’être impliqué dans la ténébreuse affaire d’escroquerie internationale qui défraie la chronique depuis mars 2011, période de l’arrestation du richissime homme d’affaire togolais Sow Bertin Agba, considéré comme le cerveau de ce dossier.
Toutefois, même si les dossiers Kpatcha et Bodjona ne sont pas similaires, ils se rapprochent un peu. D’abord parce qu’ils concernent des proches directs du chef de l’Etat, et ensuite et surtout parce que l’affaire Bodjona semble inévitablement prendre la même allure que le dossier Kpatcha, surtout du point de vue de ce que le gouvernement voudrait en faire. Une allure qui se résume en une phrase toute simple : on l’arrête, on laisse passer les dénonciations et les tapages médiatiques qui finiront par s’estomper, puis on le condamne et on le jette en prison.
A l’instar de Kpatcha Gnassingbé, Pascal Bodjona a également reçu de nombreux soutiens après son arrestation le 1er septembre dernier et sa détention à la Gendarmerie de Lomé jusqu’à ce jour. Organisations de défense des droits de l’Homme, amis et proches de l’ancien ministre, collectifs d’avocats issus même de l’opposition togolaise, presse nationale, que d’appuis obtenus par l’ancien directeur de cabinet de Faure Gnassingbé ! Malheureusement, depuis quelques semaines, tout s’enlise. D’autres faits marquants de l’actualité sont venus voler la vedette au dossier du ministre grand format. Presque plus personne n’en parle, même pas la presse.
Quant à l’opinion nationale, elle n’est pas des plus préoccupée par cette affaire. Quoi de plus normal, puisque les Togolais ont d’autres soucis. Ils sont beaucoup plus préoccupés par la recherche de ce qu’ils vont manger dans cette situation de vie chère que par une affaire concernant un homme du régime RPT subissant la trahison de ses propres amis. Cela leur importe peu. « Que les loups se mangent entre eux », disent-ils. Avant d’ajouter que M. Bodjona est, en quelque sorte, entrain de payer son cabale contre la démocratie en ayant organisé contre vents et marrés l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005
Justine divine ? Punition de la nature ? Difficile de trouver une réponse à toutes ces questions même si l’expérience a montré qu’on ne viole pas impunément les lois de la nature et qu’on répond toujours des actes subversifs qu’on a commis. N’y a-t-il pas un proverbe qui dit « qu’on récolte ce qu’on a semé » ? Dans tous les cas, à la question de savoir si le sieur Bodjona paye ou non les actes qu’il a commis, seul Dieu pourra y répondre. Pour nous autres, cela relève trop du domaine de la métaphysique pour qu’on puisse y trouver une répondre de manière sûre et précise.
Le plan du régime en marche
Les bouches qui dénonçaient l’arrestation de Bodjona il y a encore quelques semaines se sont tues. Ceci ne fait qu’arranger le régime de Lomé qui voit son plan marcher parfaitement. Ce régime que d’aucuns qualifient de têtu et qui, probablement, ne se situe aucunement dans la logique d’une libération immédiate ou prochaine de l’ancien ministre. Sinon, il l’aurait fait depuis bien longtemps.
L’une des preuves incontestables de ce refus volontaire est l’échec de la médiation de Mgr Nicodème Barrigah début septembre dernier, médiation initiée juste après l’arrestation du ministre grand format. Ce prélat est l’une des personnes pour qui le chef de l’Etat voue un certain respect au vu du rôle qu’il a joué dans le processus de réconciliation au Togo.
Et pourtant, il n’a pas réussi à convaincre Faure Gnassingbé de relâcher son ami. Bien au contraire, le chef de l’Etat l’a bien roulé dans la farine plusieurs jours avant de lui faire comprendre qu’il ne pourra rien et que c’est à la justice togolaise de trancher l’affaire. Est-ce vrai qu’il ne pourra rien, lui qui s’ingère dans les affaires judiciaires comme il le désire ? Dans tous les cas, il ne peut avancer que cet argument. Belle ruse !
Une autre preuve irréfutable de l’obstination des autorités togolaises à aller jusqu’au bout dans ce dossier est leur refus de libérer Loïc Le Floch Prigent, le coinculpé Français de Pascal Bodjona. D’aucuns avaient cru que les choses allaient s’arranger quand le ministère français des Affaires étrangères avait plaidé en faveur d’une libération sous caution de l’ancien président d’Elf Aquitaine afin que celui-ci puisse recevoir des soins adéquats suite à sa maladie. Mais en dépit des sollicitudes à peine voilée de Paris, la réponse de Lomé fut immédiate et sans faille: « monsieur Le Floch Prigent recevra des soins adéquats au Togo si cela est possible. Pas nécessairement besoin de l’envoyer en France ».
Voilà ce qui explique pourquoi il est maintenu en détention jusqu’alors. Preuve que le gouvernement togolais est prêt à affronter tout le monde dans le cadre de ce dossier. Il n’entend pas céder à qui que ce soit, même à la France, considérée comme l’un des pays grâce à qui le pouvoir RPT se perpétue et refuse l’alternance. Aux dernières nouvelles, Loïc Le Floch-Prigent ne se trouverait plus à la Gendarmerie. Où est-il ? Personne ne le sait encore. Si Faure et les siens ne cèdent pas à Paris, ce n’est donc pas aux pressions des proches de Bodjona qu’ils cèderont. D’où peut-être la nécessité de changer de stratégie, au lieu de continuer à mettre de vaines et infructueuses pressions sur un pouvoir qui a choisi de boucher ses deux oreilles.
Que faire maintenant ?
L’équation n’est pas facile à résoudre. Pascal Bodjona et les siens avaient cru que les Togolais se lèveraient comme un seul homme pour exiger la libération du ministre grand format. Cela s’est fait en quelques jours et les Togolais ont très vite battu en retraite sous le coup de la campagne d’intoxication menée par le pouvoir contre le Ministre.
L’autre stratégie choisie par les proches et amis de Bodjona a consisté à se servir de lynchages médiatiques, d’insultes, de pressions pour obtenir d’une manière ou d’une autre sa libération. Voilà plus d’un mois que ça dure mais ça n’a rien donné.
Par ailleurs, l’ancien ministre a aussi bénéficié du soutien des plus illustres avocats venant des partis de l’opposition notamment de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), du Collectif Sauvons le Togo (CST) et de la Coalition Arc-en-ciel. Mais, reste à savoir si ces soutiens d’opposants servent ou desservent Pascal Bodjona.
Ce débat est ouvert chez les observateurs et a même fait l’objet de vives discussions. Selon ces derniers, ces soutiens n’ont constitué qu’un gros pavé de l’ours jeté en plein visage de Pascal Bodjona. Ils l’ont desservis naturellement. Malheureusement. Même s’ils sont faits avec de bonnes intentions. Car, l’ancien ministre de l’Administration territoriale serait soupçonné par son patron, Faure, d’être un des appuis de l’opposition. Au niveau du régime, on va jusqu’à l’accuser d’apporter des aides financières au CST, ce Collectif qui donne depuis quelques mois des insomnies au chef de l’Etat. Ce que et l’intéressé, et le Collectif ont vigoureusement démenti. Bref, pour Faure Gnassingbé, Pascal Bodjona n’est qu’un traître qui cherche à déstabiliser le pouvoir auquel il tient tant. C’est, dit-on, la véritable raison qui le pousse à s’acharner contre son ami personnel et de longue date. De quels yeux verra-t-il alors l’appui du CST à Bodjona ?
Dans ces conditions ambiguës, quelles options s’offrent maintenant à l’ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat dont la libération devient de plus en plus difficile ?
Plusieurs alternatives s’offrent : demander la grâce de son mentor avec des garanties pour mettre un terme à cette affaire qui a trop duré. Mais, demander pardon signifierait indirectement qu’il reconnaît avoir fait quelque chose. Dans ce cas, la justice togolaise n’hésitera pas à se servir de cela contre lui. Cette option n’est donc pas la plus conseillée. D’ailleurs, il y a de fortes probabilités que ses avocats ne le laissent pas se diriger vers une telle piste.
Pascal Bodjona peut aussi choisir de laisser la justice se charger du dossier comme c’est le cas actuellement. Mais il ne peut, là non plus, espérer un dénouement heureux. Car, la justice togolaise, on le sait, n’est pas indépendante. Elle n’est ni des plus propres, ni des moins corrompues. Elle est toujours aux ordres, en dépit des milliards de Fcfa dépensés en vue de sa modernisation. D’ailleurs, elle a déjà choisi son camp. Et ce n’est sûrement pas celui de Pascal Bodjona.
Au vu de tout ce qui précède, il ne serait pas exagéré de dire que le dossier Bodjona a encore de beaux jours devant lui. Et si, jusqu’alors, le pouvoir n’a pas envoyé l’ancien ministre en prison, c’est parce qu’il n’a pas encore trouvé « ses bonnes raisons ». Le moment venu, il le fera d’une manière ou d’une autre. A monsieur Bodjona de prendre ses dispositions pour qu’il n’en soit pas ainsi. Comment le faire quand on sait qu’il est toujours enfermé entre quatre murs à la Gendarmerie? Voilà toute la question. Mais pour la plupart des observateurs, le slogan est unanime au nom de l’apaisement et de l’instabilité autour de Faure Gnassingbé : Pitié pour Pascal Bodjona et sans doute pour Bertin AGBA…
independantexpress

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